Déclaration de Berry: une tentative d’enterrer la 1559?
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Pour le président du Parlement, Nabih Berry, la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies serait dépassée. C’est du moins ce qu’a affirmé le chef du législatif dans un entretien accordé jeudi soir à la chaîne locale Al-Jadeed: la 1559 est “derrière nous”, a-t-il précisé, soulignant que “la seule résolution internationale” à l’ordre du jour est “la 1701”.

Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions dans les milieux politiques, donnant lieu à plusieurs interrogations. Quels sont les enjeux sous-jacents à la déclaration de M. Berry? Cherche-t-il à tourner définitivement la page sur la résolution 1559? Envisage-t-il réellement d’appliquer la 1701?

Depuis son adoption, la résolution 1559 a été un point de discorde majeur au Liban, notamment sur la question du désarmement du Hezbollah. Pour les alliés de la formation pro-iranienne, dont le mouvement Amal dirigé par M. Berry, cette résolution est perçue comme une ingérence internationale visant à affaiblir un acteur de la résistance face à Israël. D’autant plus que les partisans du Hezbollah soutiennent que l’organisation armée reste nécessaire pour défendre le Liban contre les menaces de l’État hébreu.

“Pour le président de la Chambre, insister sur la résolution 1559 aujourd’hui n’a plus de sens pratique, puisque l’un des principaux objectifs de cette résolution (le retrait syrien) a été atteint”, indique un analyste politique sous couvert d’anonymat. En revanche, “la question du désarmement du Hezbollah reste non seulement non résolue, mais elle aurait également perdu de sa centralité dans les débats internationaux, surtout après la guerre de 2006 et l’adoption de la résolution 1701”, poursuit-il. En se prononçant ainsi, M. Berry chercherait, toujours selon l’analyste, à “détourner l’attention de cette question explosive pour préserver la stabilité relative du Liban et éviter de rouvrir un débat susceptible de polariser davantage le pays”. En d’autres termes, il chercherait, dans un premier temps, à “mettre en confiance le Hezbollah en évitant de l’agresser sur cette question, afin de pouvoir obtenir de lui des concessions progressives en application de la 1701”, explique-t-il.  

En tant qu’allié du Hezbollah, et si l’on veut suivre cette logique, M. Berry serait donc dans une position délicate. Il tenterait donc de trouver un équilibre entre la pression internationale et les dynamiques internes du Liban. “S’il veut apaiser les tensions internationales et éviter des confrontations directes avec Israël, il doit donner des signaux positifs concernant l’application de la résolution 1701”, affirme l’analyste. Son discours reflèterait-il donc une volonté de déplacer le débat vers des questions plus pragmatiques et immédiates, notamment la gestion des tensions avec Israël dans le cadre de la 1701? Le Hezbollah, dont la position et les capacités se sont largement renforcées depuis 2006, serait-il prêt à accepter des concessions sur son rôle militaire en vertu d’une application stricte de la résolution?

Si M. Berry a, ces derniers temps, clairement affiché sa position en faveur d’un cessez-le-feu et de la mise en œuvre de la 1701 (qui fait explicitement référence à la 1559), il ne faut surtout pas, selon les forces de l’opposition, s’y fier.

On rappelle que le 1er octobre dernier, M. Berry avait révélé son adhésion à une cessation des hostilités et à l’application de la 1701, après s’être entretenu avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati, à Aïn el-Tiné. Même schéma deux jours plus tard, après un entretien qui avait réuni les chefs du législatif et de l’exécutif avec l’ancien leader du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt. Or, selon les forces de l’opposition, par application de la 1701, M. Berry entendrait “un retour à la situation qui régnait avant le 7 octobre dernier (date de l’offensive du Hamas contre Israël, ndlr)”, c’est-à-dire une mise en œuvre partielle de la résolution en question, sans le désarmement total du Hezbollah.

“M. Berry veut faire parvenir un message en déclarant que la 1559 est ‘derrière nous’: celui selon lequel l’application de la 1701 ne sera pas non plus possible”, lance Charles Jabbour, responsable de la communication au sein des Forces libanaises (FL). “Il s’agit toutefois d’une résolution internationale et ce n’est pas au président de la Chambre de décider de son sort, surtout lorsque l’on sait que si la 1701 avait été respectée, nous n’en serions pas là aujourd’hui”, martèle-t-il. “C’est donc la raison pour laquelle nous réitérerons demain, à partir de Meerab où nous devons nous réunir avec les députés de l’opposition, notre attachement aux résolutions 1559 et 1701, et à l’élection d’un président de la République qui puisse veiller à la pleine application de ces textes”, ajoute-t-il.     

Rappelons que la résolution 1559, adoptée en 2004, exigeait le retrait des troupes syriennes du Liban, le démantèlement de toutes les milices, y compris le Hezbollah, et l’organisation d’élections libres. Si le retrait syrien a été réalisé en 2005, le désarmement du Hezbollah n’a jamais été mis en œuvre. Par ailleurs, la résolution 1701, elle, a été adoptée en 2006 pour mettre fin à la guerre des 33 jours entre le Hezbollah et Israël. Elle avait pour objectif de régir la cessation des hostilités entre les protagonistes de ce conflit, d’encadrer la présence de l’armée libanaise au Liban-Sud et le déploiement élargi dans la région de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) et d’imposer un embargo sur les armes à destination du Liban. Or, la 1701 n’a, elle non plus, jamais été pleinement appliquée, même si elle a permis de maintenir une certaine stabilité – apparente – 18 ans durant.

De la faiblesse de la 1559 et de la 1701

Si M. Berry continue d’appeler à l’application de la 1701, le député du Kesrouan et vice-président du parti Kataëb, Sélim el-Sayegh, considère que cette résolution, en l’état actuel, “n’est plus suffisante et ne correspond plus à la réalité des choses”. D’après lui, la Finul a échoué dans sa mission, car non seulement elle n’a pas réussi à interdire le survol du territoire libanais par les avions israéliens, mais elle n’a pas pu non plus empêcher la reconstruction des infrastructures militaires du Hezbollah dans le sud du pays. “Nous découvrons tout à coup qu’il existe un maillage sous terrain de grande mpleur au motif de la défense du Liban et de la prévention d’une attaque israélienne contre le Liban. Or, cela est une preuve tangible que la Finul ne faisait qu’observer ce qui se passait sans agir pour autant”, signale M. Sayegh.

“C’est pour cette raison que nous appelons aujourd’hui à la mise en place d’une résolution augmentée, surtout que la 1559 n’avait pas prévu de plan concret pour son application intégrale et l’État libanais ne disposait ni d’un plan d’action ni de l’union nationale nécessaire pour désarmer les milices”, poursuit-il.

Par ailleurs, ne s’appuyant pas sur le chapitre 7 de la Charte des Nations unies, la résolution 1559 est demeurée déclaratoire, ne pouvant jouir de la force contraignante des résolutions normalement édictées par le Conseil de sécurité.

Il convient de signaler qu’il existe deux types de résolutions que peut prendre le Conseil de sécurité: celles basées sur le chapitre 7 de la Charte susmentionnée et celles fondées sur le chapitre 6. Dans le premier cas, les résolutions ont un caractère exécutoire, puisqu’elles sont relatives à des questions de paix et de sécurité internationales. Si l’État échoue dans son application volontaire ou par le biais de sanctions économiques, le Conseil de sécurité peut, lui, intervenir, parfois en recourant à la force militaire. Dans le second cas, celui auquel est soumise la 1559, les résolutions ne sont pas immédiatement applicables.

“La résolution 1701 ne prévoit pas non plus une feuille de route pour la mise en œuvre de la 1559. Elle se contente d’y faire mention et laisse aux parties libanaises, avec le soutien de la communauté internationale, la possibilité de régler le dossier des armes du Hezbollah”, note M. Sayegh. Sur son caractère contraignant, le député interrogé par Ici Beyrouth (IB) répond: “La 1701 se fonde, de manière générale et non explicite, sur le chapitre 7, mais c’est plutôt sous le chapitre 6 qu’elle est placée et jouit donc d’un mandat semi-coercitif”. Pour qu’elle puisse être pleinement contraignante, des “déclarations interprétatives des États membres du Conseil de sécurité se doivent pour permettre l’extension de l’application de la 1701 sur tout le territoire libanais, et donc une mise en œuvre de la 1559”.

Pour l’instant, il semble qu’un statu quo soit privilégié, en attendant, d’une part, les résultats des négociations qui peinent à avancer, et, d’autre part, ceux des élections américaines prévues pour novembre. Entre-temps, le Premier ministre israélien poursuit sa mission, celle d’éliminer le Hezbollah en “rasant” les zones du Liban qui constituent une menace pour la sécurité de son pays.

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