Identités du lien pour construire l’avenir
L’identité du Liban, qu’elle repose sur la libanité ou sur l’arabité, ou sur une association proportionnellement composite entre les deux, est-elle une identité passéiste, ou ferait-elle partie intégrante d’une assise fondamentale pour façonner l’avenir ?
L’identité en soi est-elle une caractéristique pleinement accomplie, et donc statique et éternelle, liée avec la quintessence de notre culture et de nos traditions, ou bien s’agit-il d’une identité en cours de construction et cumulative ; d’une dynamique dont le développement est lié aux facteurs spatio-temporels, ainsi que par les conjonctures socio-politiques de nos peuples, et la possibilité de sa réalisation et de son enracinement, conditionnée à la fois par la sphère publique et la relation entre nos sociétés et les régimes au pouvoir dans nos pays, ainsi que la légitimité des pouvoirs et leur bonne gouvernance ?

Cette question est cruciale et nous permettra de distinguer entre deux types d’identités, la première étant «l’identité de l’exclusion», qui est utilisée comme prétexte pour justifier la culture de rupture avec la région et le monde, et la deuxième est «l’identité du lien», qui interagit avec l’espace-temps dans le passé, bien entendu, mais aussi au présent et dans l’avenir.
L’identité de l’exclusion considère l’identité comme une partie intégrante de l’essence de l’individu ou de la communauté. Il s’agit d’une caractéristique génétique et culturelle, pleinement accomplie et stable à travers les temps, et qui perdurera ad vitam aeternam. Les adeptes de l’identité de l’exclusion se basent sur la dimension religieuse ou ethnique dans l’affirmation de l’identité et de sa formation.

Bien que la religion constitue une partie de l’identité de l’individu et de sa conscience, néanmoins, l’être humain n’est pas une créature religieuse stricto sensu, et son identité n’est pas unidimensionnelle comme le suggère certains, en disant que le Liban est un pays pluraliste et en réduisant ce pluralisme à la simple appartenance religieuse. Par conséquent, quatre identités libanaises reposant sur une base religieuse pour les chrétiens et une autre confessionnelle pour les musulmans se dégagent, à savoir : la chrétienne, la sunnite, la chiite et la druze. Cette identité composite proposée en l’état est amputée et arbitraire. Elle est amputée dans la mesure où elle veut reconnaître la différence entre les religions tout en dénigrant le pluralisme au sein de chacune d’elles, tout comme elle renie la liberté individuelle au profit de l’unité de la communauté religieuse, alors qu’elle revendique le droit à la différence entre les communautés et cautionne le despotisme afin de gommer les différences au sein de chaque communauté…

Elle est arbitraire car elle part du principe que tous les choix faits par les individus au sein d’une même communauté religieuse sont homogènes, et que ces choix sont divergents et en rupture avec les choix des autres membres des différentes communautés…

Ainsi, au nom «d’identités soi-disant pluralistes», on érige une ségrégation entre les êtres humains où l’autoritarisme règne, empêchant la différence et le pluralisme.

Ce pluralisme permet à la communauté d’annihiler les droits humains de l’individu, d’une part, et les droits souverains de l’État, d’autre part. Ensuite, la communauté se retrouve réduite au parti sectaire, et le parti au chef qui le dirige, préoccupé par sa succession. Cela s’applique à tout parti sectaire dont la prédominance est déjà acquise ou en voie d'acquisition.

De ce fait, résumer l’identité de l’individu à son appartenance religieuse, revient à aller un peu trop vite en besogne au détriment d’autres dimensions de son être, et à commettre un abus qui vient s’ajouter à d’autres abus antérieurs, ce que l’Histoire et la réalité démentent, non seulement au niveau de l’identité, mais aussi par rapport à l’empreinte génétique également ! Une identité pleinement accomplie qui perdure ad vitam aeternam n’existe pas… La confusion au nom d’une prétendue concordance entre l’appartenance ethnique et l’appartenance religieuse au Liban est à la fois hypocrite et retors. Selon une étude scientifique des chromosomes génétiques au Liban, aucune différence entre les chromosomes chiites, sunnites, maronites et chrétiens n’a été décelée. Tous appartiennent à la même souche génétique et correspondent à 95%. L’histoire contemporaine du Liban montre que de nombreuses grandes familles se sont converties en fonction des circonstances politiques et du pouvoir en place.

En conclusion, les multiethnicités n’existent pas au Liban et c’est plutôt une seule ethnie qui existe résultant de l’interaction et des mariages mixtes entre tous les peuples d’Orient, des Phéniciens, aux Cananéens, aux Sémites, aux Qahtanites et aux Adnanites en passant par les Syriaques et les Chaldéens et à l’origine les Sumériens puis les Araméens, et ceux qui leur ont succédé en Mésopotamie, et dans l’ancien Yémen ainsi que les populations indoeuropéennes.

Le Liban n’est pas une terre multiethnique, mais plutôt une seule ethnie gigogne qui résulte de l’interaction et du mariage mixte entre tous les peuples d’Orient.

«L’identité du lien»

Quant à «l’identité du lien», c’est l’identité du monde d’aujourd’hui. Il s’agit d’une identité complexe et multidimensionnelle. Chaque être humain est à lui seule une diversité, riche et variée, et dans chaque Libanais cohabite une multitude d’identités qui commencent par sa petite cellule familiale, son appartenance à sa ville natale et sa région, ou à sa famille élargie, jusqu’à sa confession puis sa religion et son pays, et ensuite son arabité et sa langue maternelle. Il est également marqué par ses choix et ses comportements alimentaires, ses modes de vie, et le développement de ses goûts culturels, artistiques ainsi que par ses préférences sportives et ses intérêts pour les grandes causes humaines.

En plus de tout ce qui précède, il est un consommateur ouvert d’esprit et de cœur sur toute nouveauté, notamment, à l’ère du village planétaire. Il est le socle et l’objectif, pour la créativité, la recherche et l’invention, avec pour espace la compétition et le respect des normes de qualité et d’innovation. C’est un être dont l’existence ne peut se résumer à la religion. Les dimensions de sa personnalité se constituent grâce à sa formation scientifique, à son niveau de consommation et à son statut économique et professionnel. Ses choix et ses activités sont déterminés par toutes ces dimensions, du système politique et les mécanismes de la vie démocratique, au mode de scrutin et au système légal, au modus operandi des services publics. La stabilité des sociétés humaines et leur prospérité sont tributaires des politiques publiques qui doivent incarner ces dimensions réunies et refléter leurs diversités et leurs différences.


A vrai dire, dans chaque Libanais musulman se niche une part de chrétienté, et dans chaque chrétien réside sa part de musulman. Cette stratification s’est déroulée pendant le siècle de l’existence du Liban et c’est un champ en expansion et progrès. En réalité, cet espace de vie constitue l’une des composantes de la coexistence au Liban, rendue possible grâce à l’apport des élites scientifiques dont une partie est issue des établissements de l’enseignement catholique et des différentes universités libanaises. Cet espace de vie commun constitue l’avenir du Liban et sa planche de salut ainsi qu’un gage auquel on ne peut renoncer.

Les Libanais et les Arabes également sont coutumiers de la culture de la rupture entre eux en premier lieu, et avec les pays occidentaux en second lieu. Cela s’est produit à maintes reprises durant le siècle écoulé. Une fois au nom du puritanisme libanais extrême, une autre au nom de la gauche, une troisième au nom du nationalisme, la quatrième au nom de l’appel à l’équilibre entre le Nord et le Sud et la cinquième au nom de l’Islam…

L’appel pour cette culture de la rupture a eu lieu à l’époque de la résurgence des États coloniaux occidentaux face aux États socialistes de l’Est, avec la guerre froide entre les deux camps, et une polarisation régionale et internationale. Cette culture est désormais révolue avec la disparition des circonstances qui l’ont vue naître…Il est clair que le changement du monde nous a pris par surprise. Nous vivons, nous sociétés libanaises et arabes, en marge de l’époque et de ses valeurs. Nos interrogations se différencient de celles du monde et nos réponses le sont également.

La modernité est en cours et impose un changement dans les modes de vie et de consommation. La mondialisation, comme ordre mondial inclusif, nous prend par surprise et reflète un système économique ainsi que des valeurs, et remodèle les systèmes politiques et les formes des États. Nous sommes passés de l’État-nation moderne dirigé par un gouvernement politique souverain, à une nouvelle forme de gouvernements, à savoir les gouvernements administratifs. De même, la nature de la productivité et les sources de profit ont changé. La valeur ajoutée de tout produit industriel tient à sa composante liée au savoir. Les formes des échanges et les frontières des marchés ont changé. Toutes les formes de frontières et de barrières à la circulation des biens, des capitaux, des individus, des sciences et de la culture ont disparu.
L’information est devenue mondiale, les sciences également, et la planète s’est transformée en un espace régi par l’augmentation de la productivité de l’individu, tout en encourageant son innovation et en protégeant sa créativité.

Les caractéristiques de la mondialisation s’articulent autour de quatre valeurs :
• L’individu, sa liberté et sa valeur humaine, sont une valeur morale, mais aussi une valeur économique en tant que producteur de toute créativité, avec ce que cela implique au niveau de la sécurisation des systèmes politiques qui assurent à la fois les conditions de sa liberté et l’espace de sa créativité.
• La productivité, en d’autres termes l’intensification et l’accélération de la production afin de réduire les délais, ainsi que la maîtrise et le respect des critères de qualité et leurs spécificités.
• L’innovation à travers les recherches scientifiques afin de répondre à la création de nouveaux outils, de nouvelles perspectives, des articles innovants et élargir la base de la consommation.
• La compétitivité en produisant des articles qui se distinguent par les avantages qu’ils proposent et leurs fonctions, accessibles à des prix compétitifs pour les couches sociales les plus larges.

Le renouvellement de notre identité libano-arabe requiert une intégration dans la mondialisation appelée étymologiquement, el-aouraba (synthèse de aoulama, la mondialisation, et de ourouba, l’arabité), et l’engagement de garantir ses fondements politiques. Il ne s’agit pas de rompre avec elle mais plutôt de jouer le jeu de la concurrence de l’intérieur et non en la combattant, d’augmenter la productivité pour l’accompagner et ne pas être ébloui par son accélération, de réhabiliter nos programmes éducatifs et moderniser notre enseignement supérieur pour profiter de ses réalisations, de rendre la recherche scientifique un facteur incontournable de la croissance économique et d’augmenter le produit intérieur brut et le niveau de vie de nos citoyens.

Nous n’avons pas le luxe de choisir entre accepter ou refuser la mondialisation. En revanche, nous pouvons reconnaître l’individu en tant que créateur lui-même, et former notre population et nos jeunes pour s’y engager dans la perspective d’augmenter la productivité, la compétitivité et la créativité, contribuant ainsi à ses réalisations et profitant de ses bienfaits.

La condition à remplir pour renouveler notre identité est qu’elle soit avant toute chose une «identité du lien magnanime», et un chantier pour construire l’avenir par la suite. Ainsi elle aura dépassé les identités meurtrières pour se muer en projet de développement porté par une identité composite et fédératrice. Quant aux identités des minorités en crise, elles ne sont, en réalité, qu’un autre aspect de la prolongation de notre impasse.

La liberté de l’individu et ses droits fondamentaux sont devenus une condition universelle, non seulement pour le système de valeurs de la mondialisation, mais aussi pour les conditions de l’efficacité de la mondialisation et de son niveau de productivité et de rentabilité. La politique et les régimes sont devenus des modèles pour protéger l’individualité, sa créativité et ses innovations qui ont constitué les vraies arènes de bataille dans toutes les capitales du monde et leurs centres de recherche et universités, ainsi que dans les centres de décision.

«Le conflit des civilisations» n’a pas engendré de véritables guerres, mais des systèmes idéologiques au sein desquels s’opère une lutte entre des théories, des symboles, des croyances, des émotions et des ressentiments. Les fatwas, les livres et les chaînes satellitaires forment son pilier, alors que tout équilibre entre les camps opposés se retrouve absent de ses champs, de même que toute relativité possible entre les forces combattantes ou toute équivalence entre les techniques de combat. La disparité est encore plus criante lorsqu’il s’agit de comparer les économies soutenant les parties prenant part à cette prétendue guerre.

La lutte fait partie des lois humaines et de l’histoire de l’humanité. Cependant, les peuples et leurs élites, dépendamment de leur niveau de progrès et de leur civilisation, ont abandonné depuis des décennies le conflit des identités qui est destructeur et n’apporte aucune solution ou résultats, et se perpétue de génération en génération. Mener cette lutte est vain, car toute victoire porte en elle le goût amer de la défaite.
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