« Holy Spider », un Iran des bas-fonds filmé crûment
Un tueur de prostituées, « nettoyant » au nom de Dieu les bas-fonds de l’une des villes les plus sacrées d’Iran, sous les applaudissements de la population : le réalisateur Ali Abbasi dévoile une autre République islamique dans Holy Spider (Les nuits de Mashhad), déjà en salles en France.

L’Iran avait protesté contre la sélection en compétition à Cannes de ce film, qui a valu à l’actrice Zar Amir Ebrahimi, Iranienne qui a trouvé refuge en France, le prix d’interprétation féminine. Un film « complètement politique » et qui vise à « montrer une mauvaise image de la société iranienne », selon le régime.
De fait, ce thriller « à la David Fincher » au pays des mollahs, est « l’un des rares films (iraniens) qui montre la réalité », avait déclaré pendant le festival le réalisateur Ali Abbasi, un Danois d’origine iranienne.

Il s’inspire d’un retentissant fait divers, il y a une vingtaine d’années pour retracer le parcours de l’assassin de seize prostituées qui, lors de son procès, a clamé avoir voulu nettoyer du vice les rues de Mashhad, l’une des principales villes saintes du chiisme. Dans le film, « l’Araignée », le surnom du tueur, rôde à moto dans les rues interlopes d’une ville aux airs de « Sin City », où prostitution et drogue prospèrent - elle est située sur d’importantes routes de trafic en provenance d’Afghanistan. Les prostituées qui montent avec lui finissent le plus souvent étranglées, sur le sol de son appartement.

Après avoir abandonné leur corps sur le bord de la route, il appelle un journaliste, toujours le même, pour revendiquer son crime. La police ne semble pas pressée de l’arrêter jusqu’à ce qu’une journaliste venue de Téhéran se mette en tête de traquer elle-même le criminel et de le faire payer pour ses meurtres.


« Je n’ai pas l’impression que ce soit un film antigouvernemental ou un film d’activiste. Ce qu’il décrit n’est pas loin de la vérité, et si quelqu’un a un problème » avec le film, qui montre crûment sexe et drogue, ainsi que la misogynie de la société, « il a un problème avec la réalité, pas avec moi », expliquait M. Abbasi.

Évidemment, le cinéaste, qui change totalement de registre par rapport à Border, qui l’avait révélé à Cannes en 2018, n’a pas pu tourner dans la ville sainte, ni même en Iran - où il explique n’avoir jamais reçu de réponse à ses demandes d’autorisation de tournage. L’équipe de tournage a été expulsée de Turquie, où elle s’était repliée, sur pression de la République islamique, et a fini par recréer les décors en Jordanie. « Pour moi, il serait très facile de dire que les cinéastes qui sont en Iran ne montrent pas la réalité », précise Ali Abbasi, mais « il ne s’agit pas de les juger, car chaque film fait en Iran est un miracle ».

Dans Holy Spider (Les nuits de Mashhad), face au tueur au double visage, père de famille pieux et rangé le jour, psychopathe la nuit, interprété par l’acteur iranien Mehdi Bajestani, le cinéaste a recruté Zar Amir Ebrahimi, une actrice de télévision qui a fini par quitter le pays après la diffusion d’une vidéo intime, qui lui a valu humiliations et scandale.

Loin de se clore sur l’arrestation du criminel, le film vaut également par sa deuxième partie, son parcours judiciaire au cours duquel il revendique ses actes au nom de la religion en plein procès, l’embarras des juges face au soutien de ceux qui voient ses crimes comme un « sacrifice ». Jusqu’à sa condamnation à mort. Sera-t-il finalement exécuté ? Jusqu’au bout, la pièce semble pouvoir tomber de n’importe quel côté. « En Iran, le système judiciaire (...) est vraiment un putain de théâtre, comme un show télé ou (les scénaristes) peuvent obtenir le résultat qu’ils souhaitent pour les personnages », relève le réalisateur.


AFP
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