Un nouveau Premier ministre, mais pas de gouvernement
Mikati sera nommé sauf contre-ordre majeur

De nouveaux rapports de forces façonnent l’identité du président

S'il n'y a pas d'évolution majeure de dernière minute avant les consultations parlementaires contraignantes pour désigner le Premier ministre qui formera le prochain gouvernement, le Premier ministre sortant Nagib Mikati, qui expédie les affaires courantes comme le veut la Constitution après les élections législatives, devrait être chargé de former le Cabinet, en l’absence d’accord des blocs parlementaires sur un seul candidat, malgré les efforts de Gebran Bassil avec certaines forces politiques visant à désigner un candidat autre que M. Mikati.

Ce faisant, d’aucuns tendent à fixer le cahier des charges du président du Conseil avant de le nommer, ainsi que la feuille de route du prochain gouvernement. Une façon d’adouber la personne qui répondra aux critères définis et s’engagera à réaliser les réformes. Le chef du législatif Nabih Berry a, quant à lui, exprimé son soutien à M. Mikati tout en lui demandant de tenir bon et de ne pas succomber aux pressions et aux exigences formulées ici et là. De plus, il l’a assuré du soutien du Hezbollah également, agacé par les positions de Gebran Bassil, selon les milieux du duopole chiite, qui précisent que les 27 députés chiites désigneront Nagib Mikati et personne d'autre. D’ailleurs, tout autre candidat ne bénéficiera pas de leur vote de confiance.

Indépendamment de ces positions, les cercles de Aïn al-Tineh confirment que Berry s'efforce d'obtenir une majorité qualifiée pour M. Mikati, soit plus de 65 voix, pour barrer la route à toute mise en cause de sa légitimité. Cependant, un constitutionnaliste réfute cette hérésie et affirme que le Conseil constitutionnel examine les recours contre les résultats des élections présidentielles et législatives et non dans le cas des consultations parlementaires. La Constitution est claire : les résultats des consultations menées par le président de la République sont opposables et le candidat qui obtient la majorité des voix sera chargé de la formation du gouvernement.

Parallèlement, les blocs parlementaires souverains, de l’opposition, les indépendants et les forces du changement ont intensifié les contacts entre eux dans le but de converger vers le nom d'un candidat. Le Courant patriotique libre entreprend des contacts avec les indépendants et les forces du changement dans un premier temps, et peut-être avec les Kataëb ultérieurement, selon des observateurs, pour appuyer une candidature autre que celle de M. Mikati. Les Forces libanaises, de leur côté, concentrent leurs contacts avec le PSP, et Berry consolide sa relation avec ce dernier également.

Dans ce contexte, divers observateurs se posent la question suivante : «Si un nom était convenu, la personne serait-elle pour autant en mesure de former un gouvernement ?»

Les cercles de l'opposition écartent la possibilité de former un gouvernement en raison du désaccord fondamental sur la nature, la mission et le rôle dudit gouvernement. Gebran Bassil, le tandem chiite ainsi que certains indépendants plaident pour un gouvernement politique, tandis que les autres sont en faveur d’un gouvernement de technocrates, loin des répartitions sectaires, avec des portefeuilles réservés d’office à tel parti ou telle communauté. En d’autres termes, un gouvernement apolitique qui correspond aux termes de l'initiative française lancée par le président Emmanuel Macron au lendemain de l'explosion au port de Beyrouth. Sans compter les conditions du FMI, des pays donateurs et du Groupe international de soutien pour aider le Liban. Selon ces derniers, aucune aide ne sera débloquée pour le Liban en l’absence d’un gouvernement de technocrates qui commencera à mettre en œuvre des réformes et s'attaquera au dossier de l'électricité en premier lieu.

Partant, la tâche du futur président du Conseil s’annonce difficile, ardue et délicate, selon les cercles ministériels. Et pour cause : le Premier ministre désigné doit boucler les négociations avec le FMI, mettre en œuvre des réformes, s'attaquer au dossier de l'électricité, entre autres, pour que le Liban obtienne l'aide du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque européenne d'investissement, des banques arabes, des pays donateurs, et les fonds de la réunion CEDRE (Paris, 2018), soit à peu près 12 milliards de dollars sous la forme de subventions et de prêts bonifiés pour financer des projets approuvés par la conférence.

À la lumière de ce qui précède, si M. Mikati se trouvait aux commandes, serait-il pour autant capable de former un gouvernement ?


Les milieux du courant aouniste affirment qu’ils ne laisseront pas Nagib Mikati former un gouvernement qui ne remplit pas leurs conditions. Le refus Gebran Bassil de reconduire Nagib Mikati au Sérail n'est un secret pour personne. Ces mêmes milieux réfutent les informations selon lesquelles Gebran Bassil réclamerait les portefeuilles des Affaires étrangères, de la Justice, de l'Énergie et de l'Environnement, et soulignent qu'il réclame plutôt un nouveau plan de relance, et des nominations qui conduiraient à la mise à l’écart des symboles du système de corruption qui prédomine depuis 30 ans dans les administrations et les institutions étatiques (du temps du Harririsme) et la conduite des permutations diplomatiques.

M. Bassil appelle par ailleurs à la formation d’un gouvernement politique après avoir «balayé d’un revers de main la proposition d’un gouvernement de technocrates». De son point de vue, le contexte nécessite la mise en place d'un gouvernement politique, surtout s'il assumera les pouvoirs du président de la République le 31 octobre, si un nouveau président de la République n'est pas élu au terme du mandat du président actuel.

Pour en revenir à M. Mikati, ce dernier rejetterait toute condition et demande la formation sans plus tarder d'un gouvernement «parce que nous ne disposons pas du luxe du temps.» De même, il refuse l’adoption par certains de «pratiques constitutionnelles» à l’instar de la tenue de négociations en amont des consultations contraignantes, en vue de s’entendre sur la formation du gouvernement avant même de nommer le Premier ministre, sans compter la condition d'instaurer un gouvernement politique, d’imposer les ministres et de choisir des portefeuilles.

En réalité, M. Mikati refuse tout bonnement de transformer la présidence du Conseil et la personne du Premier ministre en un bazar ouvert à toutes les tractations. De plus, il souligne qu’«il est prêt à servir l’intérêt public, mu par des convictions nationales et personnelles et que toute personne qui lève le ton, ou fait de la surenchère politique et médiatique ne réussira pas à le faire bouger d'un iota dans ses convictions». «Je refuse toute tentative de nous impliquer dans des compromis qui desservent le pays ou des marchandages contraires à nos convictions», ajoute-t-il.

Des milieux diplomatiques reconnaissent que la France accompagnera la nouvelle phase et reviendra en force, notamment avec l'activation du fonds commun franco-saoudien. Selon ces milieux, le futur gouvernement donnera une indication sur la nature de la prochaine étape, la voie du règlement ainsi que le nouveau rapport de force.  Par conséquent, le profil du nouveau Premier ministre émergera après que les noms ayant circulé auront été abandonnés. Le président du conseil ne sera pas un président conflictuel ou provocateur envers les dirigeants chrétiens et même le Hezbollah. Ce sera un Premier ministre qui répondra à tous les critères requis et bénéficiera des soutiens politiques et financiers extérieurs.

À ce titre, un politicien libanais récemment rentré de l'étranger révèle l’existence de pressions pour élire le président au début du délai de deux mois, soit la première semaine de septembre, avant la fin du mandat actuel le 31 octobre.

Cependant, des milieux politiques bien informés excluent la formation d'un nouveau gouvernement. Le Liban attend les développements dans la région, notamment en Irak, et leurs répercussions sur le pays. Les milieux politiques arabes affirment que les échéances gouvernementales et présidentielles au Liban coïncident avec des développements dans la région qui ne sont pas sans avoir des incidences sur la scène libanaise, comme les raids israéliens sur la Syrie, la paralysie de l'aéroport de Damas, la menace de cibler l'un des palais du président Bachar al-Assad, et la route internationale entre le Liban et la Syrie pour empêcher les convois d'armes de l'Iran vers le Hezbollah, les menaces israéliennes contre l'Iran, les développements dans le nord de la Syrie, les répercussions de la guerre en Ukraine et l'attachement de la Russie à sa présence en Syrie, le sommet attendu en Arabie saoudite entre les dirigeants des États du Golfe, de l'Égypte, de la Jordanie et de l'Irak avec le président Joe Biden, et la tournée de Mohammed ben Salmane dans la région en prévision de la visite de Biden.

Tous les évènements et facteurs précités concourront à façonner l'identité du nouveau président, qui lancera le processus tant attendu de sauvetage du pays.



 
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