Raï lance une attaque au vitriol contre le pouvoir
Le chef de l’Église maronite Béchara Raï s'est déchaîné dimanche contre le pouvoir en place, dénonçant leur "appétit pour la vengeance et leurs rancunes" ainsi que l'instrumentalisation continue de la justice. Il a appelé encore une fois à un soulèvement populaire «qui rectifie le tir», et plaidé pour la désignation d'un Premier ministre "patriote et représentatif" et pour la participation du gouvernement aux négociations indirectes avec Israël sur la frontière maritime.

«Nous faisons assumer la responsabilité de l’effondrement épouvantable au Liban à tous les responsables, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Les dirigeants au pouvoir ont commis des actes impardonnables et les forces du fait accompli se sont retournées contre l’identité et la Constitution, hypothéquant la terre, le peuple et l’État libanais au profit de projets étrangers», a dénoncé le chef de l’Église maronite, dans son homélie dimanche, faisant notamment allusion au Hezbollah, qu’il critique régulièrement dans ses propos.

Il s’en est pris pour la première fois à l’opposition «dont les composantes se sont enfoncées dans leurs querelles quotidiennes au détriment des causes nationales». «Tous les Libanais vivent les conséquences de l’effondrement à tous les niveaux, ce qui ne doit plus durer», a-t-il martelé en appelant sans détours, une nouvelle fois, à «un soulèvement populaire qui rectifie le tir». Celui-ci est selon lui «indispensable», au même titre qu’«un plan de redressement dans l’intérêt du pays et un recours à l’Onu pour garantir que le Liban demeure libre, neutre et fort».

Les négociations avec Israël

Le patriarche a évoqué ensuite le dossier des négociations indirectes avec Israël au sujet des frontières maritimes, soulignant que "seul l'Etat est habilité à trancher à ce niveau", sans ce qui semble être une réponse indirecte au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait menacé jeudi Israël de représailles en cas d'atteinte aux droits du Liban sur ses ressources gazières offshore. "Seul l'État est garant de tout ce qui concerne la souveraineté et l'indépendance du pays, de ses ressources gazières, de la gestion des négociations avec des parties étrangères, de la prise de décisions et de la conclusion de traités ainsi que des décisions de guerre et de paix. Au besoin, il peut sonder les acteurs politiques libanais mais le mot de la fin lui appartient", a-t-il dit, en proposant qu'un calendrier-programme soit établi pour les négociations indirectes avec Israël ainsi que pour la prospection gazière. Mgr Raï a en outre mis en garde les autorités contre toute "tentative d'exploiter le dossier des pourparlers à des fins liées à des échéances internes politiques ou électorale", en allusion notamment à la formation du gouvernement et à la présidentielle.

"Appétit pour la vengeance"


Dans ce contexte, il a pressé le président Michel Aoun de convoquer les consultations parlementaires contraignantes pour la désignation d'un Premier ministre "patriote et représentatif" qui mettrait en place "un gouvernement doté de pleines prérogatives et qui participerait aux négociations en cours". Il n'est pas permis constitutionnellement mais aussi sur base du Pacte national d'en écarter le Conseil des ministres", a-t-il soutenu, deux jours après que le président Michel Aoun eut annoncé qu'il est le seul habilité à mener des négociations pour la conclusion d'un traité international, en vertu de la Constitution. "Nous regrettons, a-il poursuivi, qu'au moment où des échéances existentielles surgissent, que le seul souci de certains responsables soit de mener la guerre à leurs adversaires dans les secteurs politique, administratif et de sécurité afin de les remplacer par des personnalités qui leur prêtent allégeance". Il faisait ainsi allusion à la campagne menée par le camp présidentiel pour limoger le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, le Pdg de la Middle East airlines, Mohammad el-Hout, le directeur des Forces de sécurité intérieure (FSI), Imad Osman, tous proches de l'ancien camp du 14 Mars, ainsi que des magistrats tels que le président du Conseil supérieur de la magistrature Souheil Abboud et le procureur de la République Ghassan Oueidate.

Instrumentalisation de la justice

"Ces responsables, a insisté Mgr Raï, ne se sont pas libérés de leur appétit pour la vengeance et de leurs rancunes. Nous regrettons qu'en dépit de nos mises en garde répétées, ils continuent d'exploiter certains juges et de leur donner des instructions directes pour ouvrir des dossiers vides et fermer d'autres entachés pourtant d'irrégularités et de détournement de fonds". Dans ce contexte, il n'a pas épargné une certaine catégorie de la magistrature libanaise, en dénonçant «une action judiciaire insupportable» et en fustigeant «des juges qui bloquent des dossiers ayant des fondements sains et d’autres qui montent de toutes pièces des dossiers fictifs, qui défendent des coupables et qui ne font pas de distinction entre un crime et un délit». «Il ne manquait plus à cette magistrature que le refus du ministre des Finances (Youssef Khalil, proche du mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry) de refuser de signer le décret de nominations de juges pour que l’enquête dans l’affaire de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth reste bloquée», a fulminé le patriarche. Ce décret porte sur la nomination de six juges parmi les dix présidents de chambres qui composent l’assemblée plénière de la Cour de cassation, laquelle est la seule habilitée à statuer sur les nombreux recours présentés contre le juge d’instruction Tarek Bitar, en charge de l’enquête. Jusque-là, tous les recours présentés contre ce dernier depuis deux ans ont été rejetés.

"Si seulement nos politiciens et ces magistrats concentraient leurs efforts sur un déblocage de l'enquête relative à l'explosion au port pour rendre justice aux parents des victimes et déterminer le sort des personnes arrêtées depuis deux ans dans le cadre de cette affaire, mais sans jugement. Si seulement ils pouvaient poursuivre ceux qui empêchent la fermeture des voies de passages frontalières illégales, les mafias des générateurs et de l'électricité, les trafiquants de drogue qui compromettent les relations du Liban avec des pays amis, mener des enquêtes auprès de ceux qui confisquent les médicaments, monopolisent les carburants, cachent des produits alimentaires et majorent illégalement les prix. Si seulement, ils pouvaient s'occuper des indemnités de fin de service, qui représentent pour plus d'un demi million de familles libanaises, le fruit du travail de toute une vie et dont la valeur est tombée de 8 milliards de dollars à près de 430 millions de dollars, inexistants de surcroît".

«Trop, c’est trop», a lancé Béchara Raï, avant d’asséner: «Nous allons défendre le Liban de toutes nos forces pour le préserver. Nous voulons vivre ici, libres, la tête haute dans un pays civilisé et prospère». S’adressant ensuite aux fidèles présents à la messe, il a affirmé: «Ayez confiance en vous et en l’avenir. Soyez sûrs que c’est le droit qui triomphe au final et ce droit, c’est nous qui le portons».
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