Annexer, c’est aimer à la folie!

«Vous barboterez si vous le voulez, mais vous ne barboterez pas à nos frais», avait rétorqué un diplomate français à son homologue britannique(1).
Insolite et même lamentable niveau d’expression entre gens des mêmes sphères, me diriez-vous! Mais nous sommes en novembre 1920, Londres et Paris, ayant remporté la Grande Guerre, allaient s’attribuer le Levant arabe conformément aux dispositions des accords Sykes-Picot. On imagine aisément les difficultés des négociations qui se déroulèrent entre ces deux capitales victorieuses, lorsqu’il s'agit de fixer notre frontière sud avec la Palestine sous mandat britannique. Les Alliés, qui côte à côte avaient combattu les empires centraux, étaient redevenus rivaux une fois installés dans le Bilad al-Sham.
Allaient-ils pour autant se comporter comme des chiffonniers? Mais passons outre et attachons-nous à l’essentiel! Que nous voulaient les Anglais qui avaient à cœur les intérêts des colons?
Souveraineté biblique et frontières nationales
Et que dire de la France qui, quant à elle, opposait une fin de non-recevoir au gouvernement de Sa Majesté. Pour la simple raison que le Foreign Office n’était «pas disposé à conclure avec la France un arrangement qui ne contiendrait pas les dispositions appropriées pour l’utilisation future par la Palestine des eaux du Yarmouk et du Litani, utilisation qui était sans doute d’une nécessité vitale au développement économique du pays et à la création d’un home national pour le peuple juif». Mais, en l’espèce, le Quai d’Orsay allait refuser toute concession. La fermeté française se révéla payante: à la conférence franco-britannique de Paris du 4 décembre 1920, Lloyd George «renonça à soutenir les revendications sionistes d’une expansion territoriale à l’extérieur de la Palestine historique», celle de la Bible, qui ne s’étendait que de Dan à Beersheba(2). Le Liban-Sud était sauvé. Du moins en droit, et pour un moment!
Si j’ai rappelé l’échange verbal plutôt incongru de l’incipit, c’est que désormais, dans certains cercles, certes minoritaires, de l’extrême droite israélienne au pouvoir, le projet d’élargissement de la colonisation vers le Nord fait son chemin. À l’idée de certains, seules les implantations juives, se développant jusqu’au cours d’eau du Litani et même jusqu’à celui du Zahrani, seraient en mesure d’assurer la sécurité d’Israël. Cette tendance à l’extension géographique pour assurer la sécurité nationale, depuis le choc produit par l’attaque sanglante du 7 octobre, est échafaudée à partir de l’hypothèse suivante: «Where there are settlements, there is security» (Là où il y a colonisation, il y a sécurité)(3).
De Gaulle et Ben Gourion
En somme, Israël est un pays condamné à l’expansion, aux conquêtes et aux guerres incessantes. De Gaulle l’avait bien dit au Premier ministre israélien qu’il avait reçu à Paris en 1960 et 1961: «C’est pourquoi, quand Ben Gourion me parle de son projet d’implanter quatre ou cinq millions de juifs en Israël qui, tel qu’il est, ne pourrait les contenir et que ses propos me révèlent son intention d’étendre les frontières dès que s’offrira l’occasion, je l’invite à ne pas le faire»(4). L’État hébreu est par essence avide de territoire, le sud libanais ne saurait lui échapper. Il va profiter du contexte et saisir l’occasion dont parlait le général De Gaulle, pour élargir son emprise et étendre ses frontières. Quitte à annexer ce qui n’est pas sien, comme il l’a fait pour le Golan syrien!
Après Gaza, la Cisjordanie! Et après la Cisjordanie, le Liban-Sud! Naïf qui croirait que l’armée israélienne, pour avoir évacué le Jabal Amel en mai 2000, n’y remettrait plus les pieds. Ladite armée s’est bien retirée de Gaza en 2005 et voilà qu’elle ratisse sous nos yeux la Bande rebelle. Alors, au Hezbollah de ne pas donner un prétexte à Tel-Aviv; à lui de se plier aux résolutions internationales tant les eaux du Litani sont fort appréciables en ces temps de réchauffement climatique.
Mais la milice iranienne qui fait le jeu de Téhéran n’est pas souveraine, la décision finale n’est pas sienne. Et puis, et surtout, elle s’est prise à son propre jeu et, de bravade en bravade, elle réserve à la population du Sud le même sort que celui de la population gazaouie, c’est-à-dire les décombres. Songez qu’au 341ᵉ jour de la confrontation, la chasse israélienne a bombardé trente objectifs du Hezbollah dans le Bilad Bechara. Voici la liste des agglomérations ciblées: Jibbain, Naqoura, Deir Siriane, Zibqine et Ghayra. L’idée est certes de créer un glacis entre belligérants, mais également une zone d’insécurité qui, avec le temps, serait déserte de ses habitants.

Quel intérêt avait le Hezbollah à intervenir dans le conflit au lendemain du 7 octobre, et de façon aussi calibrée? N’ayant pu libérer un pouce de la terre de Palestine, son action a cependant servi à enclencher un mouvement de déplacement de la population sinistrée en direction du nord.
Mauvais calcul, mais aussi dénomination erronée: cette «transhumance» ne peut être qualifiée de «résistance»!
yousmoua@gmail.com

  1. Henry Laurens, «La Question de Palestine», Tome I, Fayard, p.540-1.

  2. Ibidem.

  3. Cf. Shany Littman, «Overtime we aim to end up settling on the other side of Gaza border», Haaretz, 5 septembre 2024

  4. Mémoires d’Espoir.


 
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