Gaza, les colons et le «jour d’après»

Pour le cas où la riposte iranienne serait calibrée et ne dégénérerait pas en conflagration générale, c’est-à-dire pour le cas où l’axe de la «récalcitrance» (al-Moumana’a) se contenterait d’une démonstration de force sans conséquence et ne tomberait pas dans le piège que lui tend Netanyahou, il est légitime de revenir à l’essentiel. D’où l’intérêt de se poser, en ces moments d’attente générale, la question lancinante et essentielle: «De quoi serait fait le jour d’après?» C’est-à-dire le lendemain du jour où Gaza aurait été prise. C’est-à-dire quand la Bande aurait été sous occupation israélienne et que toute poche de résistance aurait été théoriquement liquidée. 
Qu’adviendrait-t-il alors? 
La conquête militaire totale et permanente d’un territoire et la liquidation de toute autorité préexistante qui s’ensuit peuvent créer une situation qu’on qualifierait de «debellatio»(1). C’est là un concept de droit romain tombé en désuétude, mais ayant réacquis dernièrement une certaine pertinence avec la résurgence des conflits en Ukraine, dans le Haut-Karabakh et à Gaza. Dans l’histoire antique, l’exemple type en était la conquête militaire de Carthage par la République romaine et l'assujettissement de la cité punique, allant jusqu’à la dissolution de ses institutions et la réduction en esclavage de sa population; population à laquelle se serait substituée une autre, originaire d’Italie. Dans l’histoire contemporaine, songeons à l’Allemagne aux premiers mois de l’occupation soviétique (1945), au Vietnam Nord lorsqu’il phagocyta le Vietnam Sud (1975), à l’Azerbaïdjan qui vient d’incorporer le Haut-Karabagh (septembre 2023).  
Alors, derechef, la même question: Gaza, une fois conquise dans sa totalité et quadrillée par l’armée israélienne, va-t-elle subir le même sort que Carthage en 146 av. J.-C., ou se prévaloir de la feuille de route soumise par Benjamin Netanyahou comme d’un pis-aller?
Le plan de Netanyahou, faute de mieux
Dès décembre 2023, les chancelleries du monde s’étaient penchées sur un plan de l’après-guerre à Gaza. Netanyahou allait révéler le sien fin février 2024(2). Pour l’État hébreu, et à titre de préalable à l’arrêt définitif des combats, il y avait les conditions relatives à la libération des otages détenus depuis le 7 octobre, comme celles concernant le démantèlement des organisations terroristes, à savoir le Hamas et le Jihad islamique. Israël instaurerait, le cas échéant, une mainmise militaire qui ne dirait pas son nom, son armée ayant toujours le droit d’intervenir dans la Bande pour «empêcher toute résurgence de l’activité terroriste»: en bref, une démilitarisation ne souffrant aucune exception et l’établissement d’une «zone tampon de sécurité du côté palestinien». Dans ce plan, toujours à l’état de projet, aucune mention de l’Autorité palestinienne, formellement au pouvoir en Cisjordanie, ne fut faite. 
Nul Brennus n’aurait prononcé un «væ victis»(3) aussi implacable! D’ailleurs, la susdite Autorité allait rejeter la proposition de Netanyahou et la qualifier de tentative de «gagner du temps afin de mettre en œuvre le plan d’expulsion des Gazaouis». Cette fois, Mahmoud Abbas et son ministre des Affaires étrangères avaient vu juste: ils devaient craindre les colons qui, surgissant comme le diable d’une boîte ou arrivant en file indienne comme des chenilles processionnaires, pouvaient s’implanter sans autre forme de procès où bon leur semblait.
Le désengagement de Sharon en 2005
Un bref retour historique pourrait nous éclairer. La politique d’implantation des colons, eût-elle été sauvage ou réglementée, avait toujours été condamnée dans les forums diplomatiques du monde. En droit international, toute occupation est illégale comme vient de le rappeler la Cour internationale de justice. Mais, en dépit de cela, et depuis 1967, plus de 700.000 colons se sont installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Comment résoudre ce problème quand on a encore à l’esprit les difficultés que le gouvernement d’Ariel Sharon avait rencontrées en cherchant à résoudre une question analogue, mais de moindre acabit. L’ancien baroudeur devait assurer, à l’été 2005, le retrait de 7.000 colons installés à Gaza qui refusaient d’être transplantés ailleurs. Il ne s’agissait que d’évacuer 21 petites colonies. Il n’empêche que des violences se déclenchèrent contre les Gazaouis, qui firent une dizaine de victimes. L’armée israélienne dut intervenir pour déplacer les jusqu’au-boutistes. Ces derniers, quoiqu’ayant été indemnisés, refusaient l’évacuation. 
Or le plan Sharon, ce faucon qu’on ne peut accuser de négliger les intérêts de sa nation, n’avait reçu l’agrément ni des colons, ni d’une partie de la droite nationaliste. Benjamin Netanyahou avait été jusqu’à démissionner du gouvernement au prétexte que le plan proposé était «aveugle dans le temps»(4), alors qu’en réalité ledit plan n’accordait que des miettes aux Palestiniens. En fait de souveraineté, ces derniers n’allaient pouvoir contrôler ni leurs frontières, ni leurs eaux territoriales, ni leur espace aérien. De même, pour ce qui est de l’eau et de l’électricité, Gaza restait dépendante de l’État hébreu qui, en outre, se réservait le droit d’intervenir militairement à l’intérieur du territoire si le besoin se faisait sentir.
Lorsqu’on pense que, bénéficiant de toutes ces garanties, 7.000 colons avaient manifesté leur mécontentement et avaient failli renverser le gouvernement, on peut aisément imaginer les réactions de 700.000 autres implantés en Judée et Samarie! Croit-on pouvoir régler la querelle israélo-palestinienne sans désamorcer préalablement la bombe de la colonisation sauvage, les colons n’étant, aux yeux de la diplomatie occidentale que des fauteurs de trouble et des boute-feux que rien n’arrête, ni accords contresignés, ni frontières internationalement reconnues?

Ils auront toujours le dernier mot!
Revenons à l’an 2024, et supposons que Netanyahou ait fini de ratisser le nord du territoire de Gaza. En cet état de «debellatio», lesdits colons vont irrémédiablement saisir l’occasion de s’y réinstaller et de perturber tous les plans «angéliques» qui, croit-on, peuvent rétablir une paix relative entre Arabes spoliés et conquistadors israéliens. 
Car les choses sur le terrain ont irrémédiablement changé: après des mois de combat, depuis le 7 octobre, et l’expulsion de centaines de milliers de Gazaouis en direction de la frontière égyptienne, l’armée israélienne a repris en main la situation, nivelé le terrain et installé des bases militaires et des postes de contrôle, dont le corridor de Netzarim qui confine les déplacés palestiniens dans la zone sud(5). C’est le moment ou jamais pour que les colons fanatisés reprennent pied en ce bout de terre d’où leurs dirigeants les avaient arrachés en 2005.
D’ailleurs, aux murs de Gaza, les graffitis sont éloquents: «Without settlement, no victory»(6). Une paix définitive ne peut s’imaginer en Terre sainte. Les colons veillent à la perpétuation du conflit!
yousmoua@gmail.com
1- À ne pas confondre avec le concept voisin, celui de l’annexion! 
2- «Netanyahou dévoile son plan de l’après-guerre à Gaza», ICI Beyrouth, 23 février 2024. 
3- Qui veut dire: «malheur aux vaincus».
4- En août 2005, Benjamin Netanyahou, opposé au retrait de Gaza, démissionne du gouvernement et se pose en rival du Premier ministre, Ariel Sharon.
5- “Road to Redemption, How Israel’s war against Hamas turned into a springboard for Jewish settlement in Gaza”, Haaretz, web 8 juillet 2024.
6- Ibidem, «Pas de victoire sans colonisation (ou sans implantation)», ce qui constitue un appel à la mobilisation de certaines franges de la population et n’est pas de nature à calmer le jeu.
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