Paroles de banquiers

Peu de banquiers ont la possibilité de s’exprimer librement dans les médias. C’est mal vu. On les invite rarement à des débats, ou alors pour les accabler avec des salves d’invectives qu’on a pris soin de préparer, amasser, aciduler à souhait.
En réalité, ce sont les mêmes diatribes depuis cinq ans, même si chaque contradicteur croit avoir découvert la Voie lactée. Et quand les banquiers tentent de répondre, ils sont inaudibles, un phénomène de boules Quies se propage immédiatement pour obstruer l’ouïe de l’assistance.
Pour combler cette lacune médiatique, nous avons cru bon de rassembler des positions éparses exprimées çà et là. Mais aussi de compter sur le rationnel de cette industrie pour sortir ces quelques paroles de banquiers, même si elles ne reflètent peut-être pas l’avis de tout le monde. En fait, ça n’engage personne et seul l’auteur de ces lignes en porte la responsabilité:

1. Les banquiers ne veulent pas perdre leurs établissements. Cela semble évident, mais ça ne l’est pas vraiment. Car, dans la logique économique, certains auraient intérêt à se débarrasser de ce qui est devenu un fardeau qui a perdu le gros de sa valeur marchande.


2. Ils veulent sincèrement tenter de trouver un moyen pour garantir la restitution des dépôts… quoique le terme restitution est impropre. Aucune banque dans aucun pays ne peut restituer tous les dépôts. Il s’agirait plutôt de rendre disponible un certain montant de dépôts, selon les besoins des clients, comme c’était le cas avant 2019. À ce sujet, il faut que ces politiciens populistes cessent d’émettre autant de bêtises au mètre carré.


3. Cette disponibilité des dépôts doit être une des actions pour que la confiance, qui est à la base du système bancaire, revienne graduellement.


4. Ils ne demandent pas de brader les actifs de l’État pour payer ses engagements, mais de mieux gérer ces actifs pour dégager des plus-values. Ce serait un des moyens pour financer justement un «fonds de récupération des dépôts».


5. Ils ne sont pas contre un accord avec le FMI, mais contre sa position qui demande l’annulation des dépôts des banques auprès de la BDL.


6. Ils ne sont pas contre l’idée d’un audit sur leurs comptes, en préalable à la «restructuration» au cas par cas, mais ils demandent de déterminer d’abord les critères de calcul des actifs et des passifs: est-ce que leurs dépôts à la BDL et leurs dettes étatiques seront comptés parmi les actifs?


7. Ils veulent reprendre leurs activités, octroyer des crédits, ais pour cela, il faut que les lois changent, notamment pour imposer la restitution des crédits dans la même monnaie.


8. Ils ne sont pas contre le bail-in (transformation d’une partie des dépôts de la clientèle en actions bancaires), mais à condition qu’il s’effectue avant les augmentations de capital, pour assurer aux nouveaux investisseurs que leurs contributions ne seront pas utilisées pour couvrir d’anciennes pertes.


9. Ils veulent que cessent les agissements abusifs de la part des magistrats: séquestration des actifs, interdiction de voyager… à moins d’un délit suffisamment avéré. Alors que les braquages et les menaces contre les familles des banquiers restent impunis.


10. Ils veulent que cesse l’amalgame entre une banque, en tant qu’entité, et ses actionnaires. C’est un principe juridique majeur de l’invention qui s’appelle «société anonyme».


11. Ils sont disposés à mettre la main à la poche au sein d’un plan équitable de partage des responsabilités et des charges.


12. Ils sont disposés à coopérer avec l’État, le cas échéant, pour démasquer des dépôts illégaux, traiter différemment divers types de dépôts, reprendre les intérêts excessifs, pénaliser ceux qui ont éteint leurs dettes à moindre coût...


13. Ils veulent que l’État sorte de son état de déni et reconnaisse ses dettes, y compris sa responsabilité juridique de renflouer la BDL, laquelle devra reconnaître aussi ses obligations.


14. Ils veulent faire partie prenante des réunions qui mènent aux plans de sauvetage, surtout que tous ces plans touchent au cœur du secteur bancaire, lequel découvre le lendemain dans la presse ce que d’autres ont concocté pour lui, y compris parfois signer son propre suicide.


15. Ils veulent qu’on admette que la crise au Liban est une crise systémique. Un qualificatif qui revient constamment sur le tapis – qui veut dire quoi? Cela veut dire que la crise ne touche pas uniquement quelques banques qui auraient mal agi, mais l’ensemble du secteur. Puis qu’elle ne touche pas uniquement le secteur bancaire qui se serait fourvoyé, mais aussi la BDL et l’État, et l’ensemble de l’économie qui se sont retrouvés en faillite.


Face à ces paroles de banquiers, une fois publiées sur les réseaux, certains seraient pour, d’autres contre, avec chacun ses arguments plus ou moins logiques. Mais on n’aura en majorité ni l’un ni l’autre, plutôt une profusion de ces niaiseries répétées depuis des années. Et c’est incurable: tenter de convaincre un obtus, c'est comme recoller un pot cassé, ça coule toujours.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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