Réinventer la résilience – encore une fois

Comment se financent aujourd’hui les projets qu’on voit émerger ou se développer tous les jours? Et est-ce que les promoteurs trouvent des sources de financement suffisantes? On pose ces questions pour deux raisons. Car d’abord, comme on le sait, la source bancaire de financement n’existe plus, alors que c’était pratiquement la seule au Liban, si l’entrepreneur à court d’argent ne veut pas vendre les bijoux, casseroles et lingeries de la famille.
Mais même si un investisseur a les moyens pour parfaire son projet, c’est économiquement plus rentable d’emprunter une partie, car le vrai retour sur investissement sera d’autant plus significatif. Corollaire, en engageant uniquement ses propres moyens, un investisseur devra viser un rendement plus consistant et plus rapide.
Deuxième raison: le cash qui existe sur le marché reste limité, quoi qu’on dise. Il est vrai que la Banque mondiale avait estimé la partie «cash» de notre économie à presque la moitié du PIB, soit une bagatelle de 10 milliards de dollars. Mais, contrairement à ce que cela peut suggérer, ce ne sont pas 10 milliards qui existent physiquement, mais 1 milliard qui circule dix fois durant l’année, ce qui nous ramène à ces 10 milliards.
Et ça fait quand même du volume, une activité et des investissements qui vont, à titre d’exemple, de 300.000 dollars pour un bon restaurant, à beaucoup plus pour un rooftop sophistiqué, pour rester dans notre sport national.
Simple hypothèse: imaginez alors quel pourrait être l’essor de notre économie si l’argent stocké dans les maisons, ou celui déposé dans les banques locales, se met à circuler lui-aussi. Le premier a été évalué à un moment donné par notre Banque centrale à 5 milliards de dollars, alors que le deuxième est estimé à 3,5 milliards. Sans mentionner les dizaines de milliards de Libanais déjà à l’étranger.
Qui aurait alors besoin encore du FMI, à part – tragique exception – ce simulacre d’État sans tête? D’ailleurs, c’est ce même butin que ces publicités immobilières invasives visent depuis un certain temps.
Mais ces «si» et ces hypothèses sont tributaires d’un retour de la confiance, encore elle. Or, pour cela, il faut que les mollahs perses deviennent des enfants de chœur, leurs acolytes au Liban des soufis à la Mansour al-Hallaj, nos leaders politiques corrompus des bénédictins et cette créature publique difforme un vrai État. Autant dire l’histoire de la lanterne et de la vessie.

En attendant, ce sont les organismes étrangers qui s’occupent de fournir des financements pour des agriculteurs et d’autres PME et startups. Mais c’est loin d’être suffisant. En voilà donc quelques sources supplémentaires potentielles qu’il serait intéressant d’envisager:
1- Des business angels. Le concept est bien connu ailleurs, mettant en scène des financeurs, petits ou grands, qui s’intéressent à aider des startups ou de petites entreprises établies, en échange de parts dans la société. Cela se fait traditionnellement lors de séances privées où des entrepreneurs font des pitch devant un parterre de business angels, espérant décrocher des participations.
2- Des fonds d’investissement. Ceux qui trouvent la formule précédente trop risquée ou hors de leur portée cognitive, devraient pouvoir placer leur excédent de cash dans des fonds d’investissement, généraux ou spécialisés (tourisme, commerce, immobilier…). Ces fonds se chargent d’investir les sommes collectées dans différents projets. L’idée est également courante ailleurs, mais apparemment personne n’a encore pris cette initiative au Liban, du moins à des niveaux de participation réduits.
3- Les microcrédits. Une dizaine d’organisations de microcrédit existent déjà. On met de côté ici Al-Qard al-Hassan, qui n’est qu’un camouflage – en précisant que son opération n’est cependant pas un blanchiment d’argent, comme on le croit souvent, mais un salissement supplémentaire d’un argent déjà sale.
Pour les autres entités, une dizaine au total, les opérations deviennent ardues, en raison de l’argent perdu dans les banques, la dévaluation, etc. En plus, leurs offres de crédit, généralement entre 2.000 et 3.000 dollars, ne sont pas toujours adaptées. Ça peut financer tout au plus un frigo et un four pour un petit snack, ou une machine à coudre pour une couturière au foyer.
La solution est de se regrouper en pool, pour avoir une assise financière plus solide, puis de proposer des crédits pouvant aller jusqu’à 25.000 dollars, de quoi financer des initiatives plus ambitieuses, créatrices d’emplois.
Bref, le défi est donc de s’adapter pour la énième fois, après la centième, à une situation toxique, empestée à dessein. Puis remettre en marche cette malédiction de «résilience» tatouée sur la peau, dont il faut constamment, une fois après l’autre, prouver l’existence et l’efficience. Le pire est que, bien souvent, ça marche encore.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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