L’éditorial – Conflit de Gaza: irrationalité et fuite en avant

 
Un peu plus de trois-quarts de siècle… Plus de soixante-quinze ans que dure ce conflit israélo-arabe. Pendant sept décennies et demie, certains régimes arabes, et avec eux les organisations palestiniennes, tentaient d’avancer sur la voie de la «libération de la Palestine». Ou prétendaient le faire, mais uniquement dans leurs envolées lyriques et leurs beaux discours, sans que cela se traduise par une véritable stratégie concrète de libération, de sorte que les régimes en question avançaient sur ce plan… à reculons.
Pour sortir du cercle vicieux et briser les gesticulations guerrières stériles, l’Organisation de libération de la Palestine et les travaillistes israéliens, sous la houlette de Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, ont eu en 1993 l’immense courage politique de jeter les bases rationnelles et solides d’un réel processus de paix durable devant aboutir à la mise en place d’un État palestinien. Ce fut le processus d’Oslo de 1993, fondé sur ce qui sera appelé la solution à deux États.
Ce mécanisme d’Oslo fut cependant saboté en 1995 du fait de l’assassinat de Yitzhak Rabin par un activiste israélien d’extrême droite, parallèlement aux actions terroristes perpétrées en diverses occasions, dès 1994, par le mouvement Hamas. Près de 30 ans plus tard, ce sont ces mêmes protagonistes, l’organisation intégriste palestinienne et l’extrême droite israélienne, qui sont aujourd’hui parties prenantes dans le conflit actuel de Gaza, lequel illustre le plus cyniquement du monde la stratégie de l’irrationnel et de la fuite en avant dont pâtissent depuis de longues décennies les populations palestinienne et libanaise…
Comment ne pas parler d’irrationalité et de cynisme lorsque l’on apprend que des dizaines de tunnels à vocation exclusivement guerrière avaient été construits par le Hamas sur tout le territoire de Gaza, dont une cinquantaine traversant la frontière avec l’Égypte au niveau de Rafah. Ces passages souterrains militarisés avaient nécessité la mise en œuvre de gros moyens logistiques et techniques pour l’exécution d’impressionnants travaux d’infrastructures et de génie civil qui s’étaient étalés sur plusieurs années.

Une question élémentaire se pose sur ce plan: pourquoi les gouvernements israéliens (pour la plupart de droite) n’ont-ils pas réagi face à l’édification de ces vastes infrastructures militaires en béton armé? Cette interrogation se pose avec d’autant plus d’acuité que, depuis 2007, c’est le Hamas qui contrôlait d’une main de fer la totalité de la bande de Gaza, après avoir liquidé, dans le sang, la présence du Fateh dans cette région. Ayant ainsi les coudées franches, l’organisation intégriste deviendra plus tard le bras armé des Gardiens de la révolution islamique iranienne, sans que ce développement majeur provoque une quelconque réaction israélienne.
Ce laisser-faire des gouvernements israéliens ne peut susciter que de la suspicion lorsque l’on se rappelle que le Hamas a été soutenu et renforcé par la droite israélienne qui a misé sur le mouvement fondamentaliste pour affaiblir l’Autorité palestinienne et torpiller le projet d’édification d’un État palestinien qu’elle percevait – et perçoit toujours – comme une «menace» pour Israël.
Même interrogation, côté égyptien. Durant toutes ces années, pour quelle obscure raison Le Caire a-t-il fermé les yeux sur la construction à sa frontière avec Gaza de tunnels par où ont transité en toute impunité, pendant de nombreuses années, armes, munitions, équipement militaire, miliciens, sans compter les marchandises et divers produits de consommation? La tragédie que vit aujourd’hui la population de Gaza (pour laquelle le Hamas n’avait prévu aucun abri…) est la conséquence directe de ce double laisser-faire israélien et égyptien.
Pour schématiser, la situation revenait ainsi à soutenir, renforcer et armer le Hamas pour… mieux le combattre par la suite et enclencher un engrenage susceptible de compromettre tout projet de solution politique durable! Cela permettait au Hamas de mener «la guerre pour la guerre» (sans fin, sans objectifs, sans horizon) et à la droite israélienne de détruire Gaza et de torpiller le projet d’État palestinien. Comment s’étonner, de ce fait, que l’attaque terroriste du 7 octobre lancée par le Hamas, ait pu être menée sans encombre et que les longs préparatifs de cette imposante opération, qui a mobilisé plus de 2.000 miliciens et d’importants moyens militaires, n’aient suscité aucune suspicion de la part des services de renseignement israéliens?
Toute l’histoire du conflit israélo-arabe est marquée, au niveau de certains régimes arabes, par cette stratégie de l’irrationnel, de l’absurde, de la fuite en avant, au détriment des populations palestinienne et libanaise qui paient depuis 75 ans le prix fort, sans qu’aucun objectif précis et réalisable soit clairement défini. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les deux extrêmes, qui se renforcent l’un l’autre, sont pratiquement maîtres du jeu sur l’échiquier régional et se livrent de manière épisodique à des guerres stériles, mais néanmoins meurtrières et destructrices?
À l’ombre de cette fiévreuse escalade, les puissances occidentales ont aujourd’hui la responsabilité historique de briser cet infernal cercle vicieux guerrier en forçant, contre vents et marées, l’adoption d’un salutaire Oslo 2…
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