La saga de la génisse rousse

Le monde a les yeux rivés sur l’Iran. Le prochain président sera-t-il aussi radical que son prédécesseur? Les États-Unis ont réagi à la mort d’Ebrahim Raïssi en affirmant «qu’il a du sang sur les mains». Est-il le seul à en avoir? Benjamin Netanyahou est critiqué, à l’échelle mondiale, pour des opérations militaires qui rappellent le fameux «Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens» du massacre des Albigeois?
Dans un récent reportage de la BBC, un responsable militaire israélien calculait que les dommages collatéraux, pour chaque combattant du Hamas éliminé, étaient de deux civils tués. Ainsi, pour éliminer deux brigades du Hamas et du Jihad islamique, soit environ 10.000 hommes, 20.000 civils, y compris femmes et enfants, devaient en payer le prix. Ce chiffre est certainement bien en deçà de la réalité. Et l’on a vu assez souvent que, pour éliminer un homme, c’est toute une famille qu’il fallait enterrer sous les décombres.
Un vent de barbarie souffle sur toute la planète, à commencer par le Soudan et l’Ukraine. Des leçons d’humanité des deux guerres mondiales, il ne reste vraiment rien, depuis que la menace nucléaire a été brandie par Poutine.
Le conflit entre Israël et les Palestiniens a évolué de national à religieux, en l’espace de quelques décennies. La gauche séculière, jadis majoritaire, ne représente plus, en Israël, que 17% de la population. Une bonne moitié des Israéliens croit en l’avènement d’un Messie temporel, qui doit restaurer Israël et rebâtir un temple détruit par les Romains en l’an 70 de notre ère.
L’Institut du Temple, une organisation fondée en 1987, s’est fixé pour objectif le rétablissement de ce Temple, qui doit cependant s’édifier sur le site même de la Grande mosquée (Al-Aqsa), en lieu et place du Dôme du Rocher, où la plupart des archéologues situent le Saint des Saints. Ce processus doit être aussi subordonné à l’immolation d’une génisse rousse parfaite, sans défauts, dont les cendres, mélangées à de l’eau lustrale, doivent servir à asperger les restaurateurs du lieu saint.

Ce projet, à première vue, ressemble à un film dystopique ésotérique. Or, il se fait qu’il a tellement grandi en crédibilité, en Israël, que début avril 2024, le texte d’une pétition hostile à ce projet, a été rendu public, portant notamment la signature du patriarche émérite Michel Sabbah et de l’évêque auxiliaire de Jérusalem, Mgr William Shomali.
Les objectifs de l’Institut du Temple sont notamment appuyés par les Évangéliques américains qui, à partir d’une lecture littérale de certains passages symboliques de l’Ancien Testament, s’efforcent ouvertement de hâter l’arrivée de la Fin des Temps, et le retour en gloire du Christ, tel qu’annoncé par les Évangiles.
Pour ces Évangéliques proches du courant sioniste, les Juifs sont le peuple élu auquel Dieu a promis une terre qui s’étend du «Nil à l’Euphrate», et comprend notamment les territoires conquis durant la guerre des Six jours (1967): la Judée-Samarie (la Cisjordanie), la bande de Gaza, les hauteurs du Golan et Jérusalem Est. Or ces territoires constituent l’armature essentielle de l’État palestinien, dont la capitale administrative est en ce moment Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne.
Les partisans de cette lecture fondamentaliste de la Bible sont nombreux aux États-Unis. Ils représenteraient quelque 30 à 40 millions de fidèles, soit 25% des chrétiens US. Il va de soi que l’Église catholique désavoue cette lecture de la Bible et défend la solution à deux États. Mais la pétition signée par le patriarche Sabbah, vient tard. Cinq génisses rousses sont en fait arrivées en Israël en 2022, en provenance d’un élevage au Texas. Elles devaient être sacrifiées à la Pâque juive. «Le fermier qui a élevé le bétail est un chrétien fervent qui s’est intéressé de près à ce commandement et a commencé à élever le bétail dans ce but», explique le média israélien, i24News.
Les partisans de la construction du troisième Temple gagnent en audience et le site de l’Institut du Temple foisonne d’informations sur la préparation des prêtres, des outils nécessaires au Temple, les conditions de pureté rituelle de la génisse rousse et les règles de son immolation. Pour les plus fanatiques, la purification du Mont du Temple et son usage religieux exclusif sont à portée de main. Mais ce genre de «passage à l’acte», auquel Israël ne se hasardera pas et qui prévoit la destruction de la mosquée Al-Aqsa, serait, n’en doutons pas, une provocation insupportable pour près de 2 milliards de musulmans dans le monde.
Jusqu’à présent, toutes les tentatives de provocation de l’Institut du Temple ont été mises en échec par l’ensemble des services de sécurité en Israël. Toutefois, quand la provocation vient du ministre de la Sécurité lui-même, Itamar Ben-Gvir, qui a pénétré de force dans la Grande Mosquée, et que le gouvernement israélien en place, avec son Premier ministre, engage son peuple dans l’engrenage de la guerre, des verrous de sécurité semblent sur le point de sauter.
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