«Journée de noces chez les Cromagnons», le cri originel de Wajdi Mouawad

Trente ans après l’avoir écrite, Wajdi Mouawad met enfin en scène Journée de noces chez les Cromagnons, pièce fondatrice de son univers théâtral, avec une équipe libanaise et dans sa langue maternelle.
En 1991, le jeune auteur canado-libanais Wajdi Mouawad écrit Journée de noces chez les Cromagnons , une pièce tragi-comique qui raconte l’histoire d’une famille s’acharnant à préparer, malgré les bombardements, les noces de la fille aînée avec un fiancé… qui n’existe pas. «C’est bête à dire, mais préparer des noces sous les mitrailleuses n’est pas une chose facile», souligne avec ironie l’auteur dans sa préface. Ce texte porte déjà en germe tout son univers théâtral, montrant que la guerre entre la vie et la mort est un combat à bras-le-corps et sans merci.
Pourtant, l’idée de départ était tout autre. Wajdi Mouawad voulait initialement écrire sur Franz Kafka préparant son mariage sous le regard moqueur de son père. Mais en écrivant, ce sont les souvenirs de la guerre civile libanaise qui ont resurgi. «Pourquoi, écrivant sur Kafka, l’idée de faire tomber des bombes ne cessait de me venir?», s’interroge-t-il. De cette «contorsion» est née une pièce essentielle qui lui a permis de «faire se rapprocher deux mondes que tout séparait de manière violente: le judaïsme, le christianisme et l’islam».
Créée en 1994 au Québec dans une version remaniée pour la rendre plus «compréhensible», la pièce n’avait alors pas pu aboutir dans son rythme originel d’écriture. Trente ans plus tard, Wajdi Mouawad ressent le besoin d’y revenir, de la mettre en scène lui-même dans son essence première et dans sa langue maternelle. Un désir nourri par l’expérience marquante de Mère en 2021, sa première pièce jouée en arabe par des comédiennes libanaises, qui lui a donné la sensation d’être «détraduit», de révéler sa véritable écriture.
Entendre ses mots tels qu’il les avait en tête, portés naturellement par des interprètes partageant un vécu et une mémoire similaires, lui fait réaliser qu’il a «toujours écrit en arabe», comme si on avait «enlevé le vernis de français qui voilait la langue». Au-delà du temps, les préoccupations de la pièce font aussi étrangement écho à celles du Liban d’aujourd’hui.

D’où la nécessité de recréer Journée de noces avec une équipe artistique libanaise, sur ce territoire auquel Wajdi Mouawad reste viscéralement lié. Lui qui se considère comme libanais et non d’origine libanaise, qui n’a cessé de parler d’un Liban omniprésent dans son œuvre. Après y avoir présenté plusieurs de ses pièces phares, il revient avec ce texte fondateur traduit par Odette Makhlouf.
Entouré de concepteurs issus de ses anciennes compagnies et de La Colline qu’il dirige aujourd’hui, ainsi que de collaborateurs libanais, il veut favoriser les échanges et la coopération. Pour donner enfin à entendre ce cri originel, cette parole urgente et poétique qui dit la guerre entre la vie et la mort. Et «s’arracher à la rancune que le monde de [ses] parents a nourrie», car «le malheur de vivre de chacun lui appartient déjà depuis le premier instant de sa venue au monde».
Le texte a évolué au fil des années, donnant lieu à de multiples versions stratifiées, mais aucune sans les parents, les jurons, la violence verbale du père ou les plats à préparer. «Il semblerait que l’exil d’une quarantaine d’années se métamorphose en odyssée», note Wajdi Mouawad. Une odyssée aux origines qu’il souhaite achever en mettant lui-même en scène cette pièce dans son rythme initial et sa langue maternelle. Pour révéler pleinement cette écriture qui n’a jamais cessé de parler du Liban.
Un Liban déchiré par la guerre, mais où la vie s’obstine envers et contre tout, comme cette famille préparant une noce impossible. Un pays que Wajdi Mouawad porte en lui et questionne inlassablement, pour «participer au mouvement général qui saura inspirer la flèche» du temps, «pour que la cible qui s’invente au cours de sa course soit prodigieusement magique et légère comme l’enfance». Journée de noces chez les Cromagnons en est sans doute la première étincelle.
Du 30 avril au 19 mai au théatre Le Monnot
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