Le Liban, ce petit pays coincé entre mer et montagne, a offert, depuis peu, un spectacle aussi fascinant que consternant. Le 5 mars 2024, alors que la nation s’enfonce inexorablement dans les abysses de la faillite, une scène ubuesque s’est jouée dans la capitale. Une meute de femmes, assoiffées de luxe et d’ostentation, a pris d’assaut la boutique H., célèbre griffe française réputée pour ses carrés de soie et ses sacs à main hors de prix, à l’occasion du lancement de la nouvelle collection. Une véritable razzia, digne des plus grandes ruées vers l’or, qui a mis en lumière les travers d’une société en pleine dérive. Curieusement, la vidéo de cette scène n’a fait le buzz que le 21 mars, date de la fête des mères au pays du Cèdre.
Ces nouveaux riches, parvenus d’opérette, paradent sans vergogne dans les rues de Beyrouth, fièrement parés de leurs trophées estampillés d’un H. Ils vivent dans une réalité alternative, sourds aux lamentations de leurs compatriotes plongés dans la misère. Ces «Héros» autoproclamés de la consommation, ivres de leur propre importance, se pavanent tels des paons anesthésiés, inconscients du chaos qui gronde autour d’eux.
Pendant ce temps, les anciens nantis, rescapés de la débâcle financière, grâce aux multiples comptes parallèles qu’ils ont pris soin de placer à l’abri dans des pays plus sûrs, observent avec un mépris teinté d’effroi cette horde de barbares qui a envahi leur sanctuaire du luxe.
Tels des chercheurs d’or des temps modernes, ces nouveaux riches s’emparent sans scrupules des précieux accessoires, symboles d’un statut social qui ne leur échoit pas. Mais au lieu de pépites d’or, c’est une brutalité économique et sociale qui s’abat sur le pays du Cèdre. Les prospecteurs du capitalisme débridé imposent leur loi, écrasant sans pitié les derniers vestiges de décence et d’équité.
La quête obsessionnelle de ces boîtes orange, véritables totems de la futilité, illustre le naufrage d’une société qui a perdu le nord. Ces parvenus, ivres de leur soif inextinguible de reconnaissance, semblent avoir oublié jusqu’au sens même de l’humanité. Leur course effrénée vers ces colifichets de la fortune n’est que le reflet d’une profonde vacuité existentielle, un gouffre béant que même un millier de sacs H. ne saurait combler.

Et que penser de cette classe moyenne, jadis prospère et érudite, aujourd’hui réduite à la mendicité? Ces «nouveaux pauvres», comme on les surnomme cruellement, survivent dans l’ombre, leur dignité en lambeaux, loin des gesticulations obscènes des nouveaux riches. Eux savent pertinemment que derrière le logo H. se dissimule non seulement Hermès, dieu grec des voleurs et des menteurs, mais aussi le H. du Haschich, subtil clin d’œil aux trafiquants de drogue qui blanchissent leurs profits illicites en s’offrant des achats siglés H.
Quelle cruelle ironie pour une nation où les honnêtes gens sont condamnés à l’exil pendant que les mafieux et les escrocs s’enrichissent sans vergogne, transformant le pays du Cèdre en une vaste lessiveuse à billets. Les Libanais déclassés, tels des fantômes errant dans les ruines de leur propre vie, assistent impuissants à cette mascarade grotesque qui se joue sur le cadavre encore chaud de leur pays.
L’affaire H. n’est que l’écume nauséabonde d’une mer de contradictions et d’iniquités qui noie lentement le Liban. Ce «délire orange», véritable allégorie de la décadence, expose au grand jour les vices d’une société gangrenée par l’avidité et l’égoïsme.
Dans ce maelström de folie, les conquistadors du clinquant ne portent pas de masques grotesques, mais exhibent avec impudence leurs accessoires coûteux. Et pendant ce temps, le reste de la population assiste impuissant à ce ballet morbide de l’ostentation, condamné à vivre un cauchemar éveillé sans fin.
Le Liban, jadis perle du Moyen-Orient, n’est plus qu’un théâtre d’ombres chinoises, où les silhouettes difformes des nouveaux riches se découpent sur le mur craquelé d’une nation à l’agonie. Dans cette farce tragique, l’orange n’est plus la couleur du soleil levant, mais celle du crépuscule d’un pays qui a vendu son âme au diable de l’opulence, un pays où le H. de l’Honneur a cédé la place au H. de la Honte.
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