L’hyménoplastie au Liban, entre pression sociale, tradition et liberté
«Dans certaines cultures, l’hymen de la femme peut affecter ses perspectives de mariage, la réputation de sa famille et même sa vie privée.» Accompagnée de photos de fleurs qui illustrent le sexe féminin, cette phrase que l’on peut lire sur le site d’un spécialiste en chirurgie plastique libanais fait la promotion de l’hyménoplastie, une opération qui permet de reconstruire l’hymen, ou de «redonner à une patiente sa virginité», nous indique le site.
Cette phrase qui semble issue d’un autre temps décrit en fait la réalité d’une pratique répandue au Liban, qui s’inscrit dans le mythe collectif du culte de la pureté féminine. Cette pratique divise les médecins, entre ceux qui en profitent, ceux qui veulent «rendre service» et ceux qui refusent de pratiquer l’hyménoplastie pour des raisons éthiques.
Cette opération légale, pratiquée dans le monde arabe comme en Europe, permet de rétablir l’hymen en recousant les parties de la membrane déchirées par un premier rapport sexuel. Exécutée en 15 à 30 minutes sous anesthésie locale ou sous sédation, l’opération présente très peu de risques pour la santé de la patiente. Il s’agit d’«une technique chirurgicale facile, rapide et non douloureuse», affirme Alain Daher, gynécologue obstétricien exerçant à Beyrouth depuis une dizaine d’années.
Une fois l’opération terminée, la douleur est minime et la femme peut reprendre son travail dès le lendemain. Elle devra toutefois attendre deux à trois semaines que les fils de suture soient résorbés pour avoir un rapport sexuel sans éveiller les soupçons de son partenaire concernant sa virginité.
Un acte chirurgical bénin, ou presque 
Maria*, 24 ans, a subi l’opération il y a quelques mois. «Mon amant était musulman, alors que je suis chrétienne, confie-t-elle. Nous savions tous les deux que nous ne pourrions jamais avoir d’avenir ou nous marier. Il a alors soutenu ma décision de rompre et de me faire opérer.»
Elle décrit les doutes qui l’ont envahie avant de prendre la décision. «Je restais éveillée toute la nuit à me renseigner sur les moindres détails, se souvient Maria. Je n’ai pas dormi pendant des nuits entières.» Une fois la décision prise, la jeune femme explique que «l’opération a été facile». «Le premier jour, j’ai eu un peu de mal à marcher, et puis plus rien», note-t-elle.
Cet acte chirurgical est coûteux, avec des prix qui commencent à 500 dollars et qui peuvent atteindre, dans certaines cliniques, plus de 1.000 dollars, les praticiens profitant de la détresse des femmes et de l’urgence. «Ils savent très bien que ces femmes peuvent payer n’importe quelle somme pour en finir (…), constate le Dr Daher. Ils peuvent ainsi fixer le prix qu’ils veulent.»
Effectivement, contactée par Ici Beyrouth sous la couverture d’une potentielle patiente, une clinique spécialisée dans la chirurgie intime nous apprend que l’opération coûtera 1.600 dollars. Mais pour ce prix, «il y a 100% de chances que vous soyez serrée», nous garantit la gynécologue au téléphone. Nous voilà rassurées.
Tourisme médical
«Contrairement à ce qu’on pourrait penser, des femmes issues de toutes les communautés et classes sociales» cherchent à se refaire une virginité, souligne Farid Bedran, gynécologue. Parmi les patientes, nombreuses sont les femmes originaires des pays du Golfe qui viennent au Liban pour bénéficier de l’opération en toute discrétion. Le Dr Daher estime qu’environ la moitié de ses patientes viennent des pays du Golfe. Ces voyages s’inscrivent dans la dynamique du tourisme médical dont le Liban, jadis «hôpital du Moyen-Orient», était un acteur majeur dans la région avant la crise économique et politique.
Une pureté retrouvée
Les médecins sont unanimes. Une baisse de la demande de l’hyménoplastie a été observée durant la dernière décennie, avec une moyenne d’une opération tous les deux à trois mois, contre une opération par semaine, il y a dix ans. Pourtant, l’impératif de la virginité avant le mariage reste présent au Liban.

«Le fait d’avoir un hymen intact est encore très important pour beaucoup de femmes», affirme Gaëlle Abou Ghannam, gynécologue et co-fondatrice de Métlé Métlik (littéralement, nous sommes pareilles), un programme en ligne sur la santé sexuelle et reproductive des femmes.
En effet, dans son témoignage, Maria répète souvent le mot «erreur» pour désigner l’acte sexuel avant le mariage. «On n’est pas censé coucher avec n’importe qui, dit-elle. Cela devrait être réservé au mariage. Je ne répéterai plus jamais cette erreur.»
Elle fait part de ce sentiment de culpabilité qui l’accompagnait après chaque rapport sexuel avec son amant. «Lorsqu'on a des rapports sexuels, on a l’impression de trahir la confiance de son père, même s’il ne le sait pas, analyse-t-elle. C’est un sentiment que l’on éprouve envers soi-même.» Celui-ci semble pourtant disparaître dès lors que les parois de l’hymen sont recousues. «Maintenant, je suis comme neuve, je commence un nouveau voyage», affirme Maria, enthousiaste. La pureté est retrouvée.
Le drap nuptial souillé de sang
Le symbole du drap nuptial souillé de sang, marqueur de la pureté de la jeune mariée, demeure dans l’imaginaire collectif de certains milieux traditionnels. Oui, mais voilà, «environ 50% des femmes ne saignent pas au premier rapport», tient à préciser le Dr Daher.
En effet, l’hymen est une preuve fragile de la virginité féminine. Certaines femmes naissent sans hymen, d’autres le déchirent en faisant du sport. Et même lorsque l’hymen est intact, sa rupture n’entraîne pas systématiquement de saignements.
Or le Dr Bedran assure avoir «une technique qui garantit à 100% le saignement». Toutefois, «elle fait un peu plus mal et nécessite plus de temps», note-t-il.
Pour assurer ce saignement, certains gynécologues «resserrent l’hymen et une partie du vagin, plus qu’il ne le faut», explique la Dr Abou Ghannam, qui refuse par conviction de pratiquer les hyménoplasties. «La déchirure sera plus grave que celle résultant d’un premier rapport sexuel, poursuit-elle. Elle sera certainement plus douloureuse et il est donc très probable que la femme saigne.»
Éduquer les hommes
Issue d’une classe moyenne, Maria doit désormais vivre avec ce secret. «Je ne le dirai jamais à personne», affirme-t-elle. Elle pointe du doigt l’hypocrisie des hommes concernant la virginité de la femme. Elle raconte ainsi que son ancien amant, celui avec lequel elle a «perdu sa virginité», considérait important que sa future femme soit vierge.
Elle n’est pas dupe. Elle sait que malgré une libéralisation apparente des mœurs, la pureté féminine est toujours glorifiée, voire requise. «Je pense que même les hommes qui prétendent ne pas se soucier de votre passé accordent une importance à la virginité», soutient Maria.
En accompagnant les femmes, Gaëlle Abou Gannam prend soin de ne jamais les blâmer. «Nous abordons le sujet de la virginité et de l’hymen dans l’espoir que les femmes puissent se libérer de cette légende sociétale, insiste-t-elle. Cependant, nous nous assurons de ne pas être conflictuels sur ce sujet. Nous indiquons clairement que nous comprenons l’importance de la virginité dans certains milieux.»
Et Mme Abou Ghannam de conclure:  «Le plus important est d’éduquer les hommes. Car ce sont eux qui perpétuent ce mythe et qui sont à l’origine du recours des femmes à cette procédure.»
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