Depuis plusieurs semaines, l’Ozempic est en rupture de stock au Liban. La cause: la ruée de personnes non averties, souhaitant perdre un ou deux kilos superflus, vers cet antidiabétique injectable... sans aucune indication médicale.
Durant la période des fêtes, une caricature montrant un père Noël svelte, annonçant allègrement aux rennes et lutins surpris par sa nouvelle silhouette le nom du médicament qui l’a fait maigrir, un antidiabétique très prisé, a fait le tour des réseaux sociaux. Cette caricature, qui fait clairement la promotion du médicament en question, Ozempic, de son nom générique semaglutide, est d’autant plus dangereuse que celui-ci est utilisé à mauvais escient par des consommateurs non avertis.
La molécule en question fait fureur, notamment parmi les femmes, depuis que des influenceuses et des célébrités en ont fait la promotion, il y a près d’un an, le recommandant vivement aux abonnés à leurs pages sur les réseaux sociaux pour «perdre ces quelques kilos superflus». Elles sont même allées jusqu’à poster des vidéos d’elles en train de se l’injecter.
Une molécule prometteuse
Cet antidiabétique fait partie des agonistes des récepteurs du GLP-1 (une hormone gastro-intestinale qui donne une sensation de satiété, NDLR), une famille de médicaments pour le traitement du diabète de type 2, disponible sur le marché depuis 2010. Celle-ci avait alors constitué une révolution dans la prise en charge du diabète, puisqu’elle améliore le contrôle de la glycémie et diminue le poids de près de deux à trois kilos par an.
«À la suite d’études randomisées qui ont prouvé l’effet amaigrissant de la toute première molécule de la classe des agonistes récepteurs du GLP-1, l’Agence américaine du médicament (FDA) avait autorisé son utilisation chez les personnes obèses, même si elles ne sont pas diabétiques», explique à Ici Beyrouth Carole Saadé-Riachy, spécialiste en endocrinologie et en maladies métaboliques.
Au fil des ans, cette classe de médicaments a été améliorée, et au lieu d’une injection par jour, certaines nouvelles molécules sont administrées de manière hebdomadaire, tant pour les diabétiques que pour les personnes obèses qui ne présentent pas de diabète.
Phénomène de société
«La semaglutide présente de nombreux bénéfices pour la prise en charge du diabète, poursuit la Dr Saadé-Riachy. Elle a une action sur le foie, sur la résistance à l’insuline, comme sur l’hémoglobine glycosylée ou HbA1c (dont le dosage permet de mesurer la moyenne du sucre dans le sang au cours des trois à quatre derniers mois, NDLR). Elle protège aussi le cœur et les reins.»
Or, depuis plusieurs mois, l’Ozempic «est au cœur d’un phénomène de société à l’échelle internationale», déplore la Dr Saadé-Riachy. «Des personnes désirant perdre quelques kilos en prennent, sans même consulter un spécialiste, ajoute-t-elle. Ce phénomène, qui dépasse la médecine et les médecins, est tel que la semaglutide est, depuis plusieurs semaines, en rupture de stock au Liban et dans plusieurs autres pays. De ce fait, les personnes qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les personnes diabétiques qui présentent des complications rénales ou cardiovasculaires, ont des difficultés à en trouver parce que certaines personnes se l’auto-administrent pour pouvoir rentrer dans leur robe avant une occasion spéciale, quitte à l’abandonner juste après. Or, non seulement ces personnes en privent les patients qui en ont le plus besoin, mais elles l’utilisent mal.»
De fait, dans le traitement de l’obésité, «les agonistes des récepteurs du GLP-1 doivent être pris sur une durée minimale d’un an». «De plus, il faut poser le bon diagnostic, puisque cette classe de médicaments n’est pas indiquée à toutes les personnes obèses ou qui affichent un surpoids», insiste la Dr Saadé-Riachy. Elle précise à cet égard que «le calcul de l’index de masse corporelle à lui seul ne suffit pas pour prescrire» les agonistes des récepteurs du GLP-1. Il est important d’effectuer un «diagnostic clinique et biologique, souvent accompagné d’imageries, auquel viennent s’ajouter une enquête médicale, ainsi qu’une enquête sur le comportement alimentaire du patient». Ainsi, cette classe de médicaments est indiquée, à titre d’exemple, à une personne qui a une fibrose hépatique. Mais elle est déconseillée à une personne qui a des fringales, une sensation continue de faim ou des compulsions alimentaires. Dans ce dernier cas, «il est indiqué de suivre une thérapie cognitive et comportementale», souligne l’endocrinologue.
Plus encore, selon les recommandations internationales, les doses à administrer diffèrent selon la molécule administrée et le cas du patient: diabétique ou obèse avec ou sans diabète. «Malheureusement, les personnes qui s’auto-administrent la semaglutide sont sous-dosées, même si elles perdent du poids, constate la Dr Saadé-Riachy. Bien sûr qu’il existe des exceptions, mais les recommandations restent la norme.» Aussi, 1 mg par semaine de semaglutide est-il indiqué, en cas de diabète et jusqu’à 2 ou 2,5 mg par semaine en cas d’obésité.
Énormes risques
L’utilisation détournée des agonistes des récepteurs du GLP-1 présente de nombreux risques, puisque cette molécule n’est pas dépourvue d’effets secondaires, à l’instar de tout autre médicament. «Les bénéfices de cette classe de médicaments sont toutefois plus importants que les risques, à moins qu’elle ne soit prise sans aucune indication médicale et sans avoir effectué, au préalable, les bilans médicaux nécessaires, met en garde la Dr Saadé-Riachy. En cas d’hypertriglycéridémie (élévation du taux des triglycérides dans le sang), à titre d’exemple, le risque d’une pancréatite est élevé. Ce médicament est aussi contre-indiqué en cas d’histoire familiale de cancer médullaire de la thyroïde ou de maladies inflammatoires de l’intestin. Ce traitement peut aussi avoir des effets secondaires sur le plan psychique. D’où l’importance d’un examen clinique complet.»
Selon les études internationales, les agonistes des récepteurs du GLP-1 permettent de perdre, sur une durée d’un an, 10 à 15% du poids initial. «Mais la maintenance et la prise en charge multidisciplinaire du patient sont encore plus importantes que la perte du poids en soi, martèle l’endocrinologue. D’où la nécessité d’individualiser le traitement.»
Et la Dr Saadé-Riachy de conclure: «Les agonistes du récepteur GLP-1 sont un excellent médicament. Il est toutefois nécessaire de suivre le traitement jusqu’au bout, comme c’est le cas dans tout traitement ou intervention thérapeutique. Prenons l'exemple de l’antibiotique. On ne peut pas en prendre deux jours et puis l’arrêter. Selon les indications, l’antibiothérapie est d’une semaine, de dix jours, voire de deux semaines, selon les cas. La même logique s’applique à la famille des agonistes des récepteurs du GLP-1. Ce traitement est indiqué sur une durée d’un an, de trois ans ou même indéfiniment. On ne peut pas le prendre durant deux semaines, parce qu’on a un mariage et qu’on veut perdre un ou deux kilos. Et ce, jusqu’à preuve du contraire.»
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