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- Dites, Libanais, qui veut mourir pour Gaza?
Une réponse s’impose, et sur l’heure!
Pour tout vous dire, je ne veux pas mourir pour Gaza, pas plus que je ne voudrais me faire trucider pour Téhéran. Mon sang, qui vaut celui des tribuns de salon qui jamais n’enverraient leurs fils au casse-pipe, je préfère le sacrifier sur l’autel du Liban et de certaines libertés dont se passerait volontiers le Hezbollah.
Sur ce, le président sortant, Najib Mikati, doit être débouté, lui qui, dans un accès irrépressible, a déclaré que la cessation du conflit en cours dans la bande de Gaza est la condition d’un retour au calme dans le Sud libanais. Certes, dans notre bonne ville de Tripoli, au lendemain de la défaite de juin 1967, les jeunes gens de toutes les classes sociales se rendaient dans les camps palestiniens pour apprendre le maniement des armes et se joindre aux fédayins dans leur combat. Seulement voilà, je ne crois pas pouvoir noter, de nos jours, le même enthousiasme qu’autrefois on manifesta devant les bureaux de recrutement. Et pourtant, c’est toujours la même Palestine qu’il faut arracher à l’ennemi israélien. C’est que les temps ont changé, modifiant les mentalités et les convictions. Il y a désormais une patrie libanaise et Tarablus as-Sham ne veut plus par ailleurs être rattachée à la Syrie! Elle veut un destin autonome, libanais de surcroît.
Et notre souveraineté nationale alors!
Or, en sa qualité de président du Conseil sortant, M. Mikati est monté sur ses grands chevaux, et s’est cru obligé de souligner le «patriotisme et la retenue» du parti des mollahs iraniens. En tant que gardien de l’orthodoxie militante, il n’a pas voulu évoquer la responsabilité du Hezbollah dans l’activation du front du Sud dès le 8 octobre 2023, comme n’a pas manqué de le rappeler le Rassemblement de Saydet el-Jabal.
Piqué au vif, il a chargé son bureau de presse de répondre à ses contradicteurs en expliquant que ses propos s’inscrivaient dans le cadre d’une «position globale dont le contenu et la finalité sont clairs», de même qu’il a accusé ses antagonistes «d’avoir tronqué et déformé sa déclaration» faite lors du dernier Conseil des ministres1. Or, il avait déclaré, dans un excès de zèle patriotique, que le Liban ne pouvait envisager un cessez-le-feu unilatéral quand Gaza se faisait dévaster2.
Solidarité et générosité peuvent se manifester mal à propos! Imaginez la tête des diplomates étrangers qui, pour nous épargner l’embrasement général, font des pieds et des mains pour dissocier la question du Liban-Sud de celle de la Palestine!
La dissociation sinon «mourir pour Dantzig»
Dans son éditorial du 4 mai 1939, l’homme politique et journaliste français Marcel Déat fit état de son refus de se battre pour la ville de Dantzig, objet de querelles frontalières entre l’Allemagne hitlérienne et la Pologne. Le lendemain, The Times de Londres lui emboîta le pas en titrant: «Dantzig ne vaut pas une guerre». Marcel Déat, qui se fourvoya sous le régime de Pétain et choisit la voie de la collaboration, fit cependant preuve d’une certaine clairvoyance: «Combattre, dit-il, aux côtés de nos amis polonais, pour la défense commune de nos territoires, de nos biens, de nos libertés, c’est une perspective que l’on peut courageusement envisager… Mais mourir pour Dantzig, non!»
Derechef, je ne veux pas mourir pour Gaza. En revanche, je n’en voudrais pas aux Gazaouis qui ne se porteraient pas au secours du Liban en cas de conflit. Comme je n’aurais pas à blâmer, dans ce cas d’espèce, ni les Damascènes, ni les Bagdadis ou les Cairotes qui se seraient contentés d’un appui rhétorique et de simulacres de mobilisation. Nul mieux que le métropolite de Beyrouth, Monseigneur Élias Audi, n’a été aussi ferme que lorsqu'il a proclamé dans son homélie: «Les Libanais ne doivent pas se sacrifier pour une cause autre que celle de leur patrie», pour ajouter aussitôt: «Personne ne s’était sacrifié pour le Liban lorsqu’il était en crise, en guerre et sous le feu de l’ennemi»3.
Nous et notre monde
Toute notre politique, depuis l’Indépendance, a consisté à nous tailler un destin quelque peu à l’écart des grands courants qui affligeaient le monde arabe: nationalisme vociférant, socialisme hirsute, islamisme sectaire, populisme aveugle et que sais-je? Faut-il rappeler que les surenchères verbales et les aventures militaires eurent raison du régime de Gamal Abdel Nasser comme de celui de Saddam Hussein? Aurions-nous oublié combien la question de Palestine a déchiré le tissu social libanais? Avec cette différence que, dans l’affaire présente, ce n’est pas le salut d’une nation arabe qui est en jeu. À y regarder de plus près, il s’agit de la mainmise iranienne sur notre souveraineté nationale!
Youssef Mouawad
yousmoua47@gmail.com
1. Hommage au Hezb : Mikati défend sa position, ICI Beyrouth, 18 janvier 2024.
2.Jack Khoury, Lebanese PM toes line with Hezbollah: Our fate tied to Gaza, Haaretz, 14 janvier 2024.
3.Audi hostile à l’implication du Liban dans le conflit israélo-palestinien, ICI Beyrouth, 21 janvier 2024.
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