L’héritage pédagogique de l’Imam Chamseddine (2/2)

À la mémoire de Layan,
Talin et Remas Mahmoud Hejazi,
tuées le 6 novembre 2023 au Liban-Sud.

Dans cette seconde partie de l'article portant sur l'héritage pédagogique et social de l’imam Mohammed Mehdi Chamseddine, Ici Beyrouth revient sur les principales institutions mises en place par l’Association caritative et culturelle (ACC), créée en 1966 par l’imam Chamseddine, en relevant la philosophie humaniste et libaniste qui anime l’action et les projets de l’association.
L’école Adduha et l’université Modoon
Outre l’avènement de l’Université islamique, l’imam Mohammed Mehdi Chamseddine a entrepris la fondation de diverses écoles et institutions reprises par son fils, l’ancien ministre Ibrahim Chamseddine. À l’instar de l’école Adduha (Le jour montant, en arabe, titre de la sourate 93 du Coran), inaugurée en 1991, qui prodigue un enseignement spécialisé s’adaptant aux besoins de chaque enfant, notamment des élèves à besoins spécifiques. En 2023, l’établissement, dirigé par la fille d’Ibrahim, Nisrine Chamseddine, et situé à la périphérie de la banlieue sud de Beyrouth, a accueilli plus de 80 élèves, dont 43 à besoins spéciaux.
Pour l’imam Chamseddine, le vrai développement commence «en donnant aux gens les moyens de se développer par l’éducation», explique Ibrahim Chamseddine dans un entretien avec Ici Beyrouth.
L’idée de tels projets éducatifs n’est toutefois pas de remplacer l’État. Ibrahim Chamseddine précise que, depuis 1966, la mission de l’association était d’intervenir «si la société ou le peuple avait besoin de tel ou tel service, de manière à assurer ces services jusqu’à ce que l’État puisse le faire».
Toutefois, dans le contexte présent, le monopole de la représentation imposé par certains partis chiites (Ibrahim Chamseddine précise qu’il n’y a pas «plus grande aberration que de parler de parti chiite») bloque toute initiative de la société civile sur laquelle ces partis n’ont pas prise, spécialement dans la banlieue sud de Beyrouth.
Ainsi en est-il du blocage du projet de l’université Modoon. L’ACC avait lancé le projet d’une université privée au sein même du campus de Beyrouth (aux abords de l’école Adduha). Une collaboration avec l’AUB était en cours, les plans étaient prêts. Mais le projet a été «arrêté en raison de pressions politiques exercées par les partis représentant les chiites au pouvoir (Amal et le Hezbollah, NDLR)», déplore Ibrahim Chamseddine. «Nous n’avons pas de milice, nous n’avons pas recours à des procédures illégales. Nous avons donc été exposés et les «partis chiites» ont réussi à exercer une pression sur les institutions et le projet (d’université) a été arrêté il y a six ans», poursuit-il, en insistant sur l'indépendance totale de l’ACC à l’égard des partis politiques.

Face à l’environnement politique sclérosant, le genre d’institutions proposées par l’ACC «doit être présent». «Jusqu’à maintenant, certaines personnes font des dons tout en insistant pour que leurs noms ne soient pas rendus publics, car ils ne veulent pas subir de pressions», déclare Ibrahim Chamseddine.
Institut technique islamique
L’Institut technique islamique, à Ghobeiri, était un autre projet d’envergure de l’ACC. Cette école de formation professionnelle a été active de 1983 à 2015. Comprenant un internat, l’institut a pu accueillir plus de 200 élèves. L’importance de ce projet, né dans le contexte de la guerre civile et désormais révolu, était qu’il reflétait la philosophie éducative de l’imam Chamseddine, qui avait foi en l’avenir de la jeunesse, appelée à préparer l’après-guerre. Et ce, surtout au lendemain des invasions israéliennes (Opération Litani, en 1978, et Opération Paix en Galilée, en 1982) qui avaient provoqué un important déplacement de population du Sud, en majorité chiite. Dans une brochure de l’ACC datant de 1984, la mission de ces projets éducatifs est très clairement exposée: «Face au drame de la sédition (...) parallèlement à l’aide immédiate et urgente, il était nécessaire de mettre sur pied des institutions capables d’accueillir les jeunes et de les former afin qu’ils se lancent dans la vie active.»
Sayyeda Zeinab
Les projets réalisés par l’association ne se limitent pas à Beyrouth. Baalbeck et le Liban-Sud sont également au cœur de plusieurs initiatives lancées à l’époque de l’Imam Chamseddine. L'ACC a fondé l'orphelinat et l'école Sayyeda Zeinab (du nom de la fille de Fatima et Ali, respectivement fille et gendre du Prophète) à Harouf, Nabatiyeh, en 1981, pour assurer la scolarisation des orphelins et des enfants souffrant d’une extrême pauvreté ou de conditions familiales et sociales difficiles. L’école accueille des élèves depuis la maternelle jusqu’au cycle secondaire.
Le projet de l’orphelinat répondait à un besoin urgent à la suite de l’opération Litani de 1978. L’invasion israélienne de 1982 allait accroître le besoin d’institutions comme celle de Sayyeda Zeinab. Celle-ci sera visée en septembre 1984 par des tirs israéliens. En mars 1985, Ali Moustapha Arabi, un orphelin de l’institut âgé de 9 ans, sera tué par des soldats israéliens.
«Agir uniquement là où c'est nécessaire»
Pour mieux cibler toute cette action, une étude de terrain menée par une équipe spécialisée de l’association des Mabarra a été menée, notamment dans les milieux estudiantins. À la suite de cette étude, l'ACC a lancé en 2010-2011 un programme d'éducation spécialisée dans le but de fournir aux élèves ayant des troubles d'apprentissage l'éducation nécessaire pour faire face à l'environnement et les préparer à être intégrés dans des classes normales. Un projet de centre communautaire devait également voir le jour.
Près de 57 ans après sa création, sous la présidence de l’imam Chamseddine, l’Association caritative et culturelle poursuit, malgré le contexte actuel, sa mission basée sur un postulat: «Agir uniquement là où c'est nécessaire». Et il n’est de meilleure illustration de ce principe que l'anecdote suivante, rapportée par Ibrahim Chamseddine lui-même: «Un homme d’affaires koweïtien souhaitait financer l’association pour construire un nouvel orphelinat au Liban-Sud. C’était un projet de 6 millions de dollars. Mais il a insisté pour que l’institution accueille 500 enfants, uniquement des orphelins. Lors de la dernière réunion, Cheikh Chamseddine et moi-même avons dit à l’homme d’affaires que nous n’avions pas 500 orphelins, et j'ai ajouté 'à moins que nous fassions de ces enfants des orphelins'. C’était une plaisanterie amère pour lui faire comprendre qu'il n’était pas réaliste de créer une institution exclusivement dédiée aux orphelins. Du point de vue pédagogique, ce n'était pas non plus une bonne stratégie. Plusieurs institutions travaillaient déjà sur le terrain comme nous. Il n’y avait donc aucun besoin pour un tel projet. C’était il y a trente ans. Aujourd’hui encore, des membres de l’association disent: «Ibrahim Chamseddine nous a privés de 6 millions de dollars.»
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