Rassam/Berri: l’extraordinaire épopée d’une dynastie de cinéma   
©Capture d'écran du documentaire: Jean-Pierre Rassam dans sa suite de l'hôtel Plaza-Athénée
Présenté lors du 76ᵉ Festival de Cannes dans la sélection Cannes Classics, le documentaire La Saga Rassam/Berri: le cinéma dans les veines retrace l’histoire hors norme d’un clan qui, à travers ses succès cinématographiques, participe depuis 50 ans à la légende du septième art. 
Initialement attendue à Beyrouth pour la projection du film La Saga Rassam / Berri: le cinéma dans les veines – programmé dans le cadre du Beirut Art Film Festival (Baff), le mardi 14 novembre, au théâtre Béryte – l’équipe de production du documentaire a été contrainte d’annuler sa venue en raison des récents événements survenus dans la région. «Ce voyage nous tenait extrêmement à cœur, regrette la productrice, Marie Avarguez. D’ailleurs, pour la petite histoire, Michel Denisot, journaliste et coréalisateur du documentaire avec Florent Maillet, se faisait une joie de revenir sur les lieux où, plus jeune, il a fait sa demande en mariage auprès de son beau-père, alors en poste au Liban!»
De l’aplomb 
Porté par la voix du célèbre journaliste, le film revient, durant près de 90 minutes, sur l’histoire méconnue de ces aventuriers du septième art qui, par leurs prises de risque et leur audace artistique, ont marqué de leur empreinte un pan de l’histoire du cinéma français et mondial. Allant parfois même jusqu’au scandale.
La Grande Bouffe, satire de la société de consommation, réalisé par Marco Ferreri et produit par Jean-Pierre Rassam, heurte la bien-pensance de l’époque, provoquant dès sa sortie, en 1973, l’ire du public et de la critique. «C’était sacrément culotté de miser sur ce film, commente Marie Avarguez. Mais c’est précisément grâce à cette capacité à oser faire des choses inhabituelles et déraisonnables qu’ils ont pu atteindre cette créativité-là.» Même hardiesse chez son frère Paul qui sauve Apocalypse Now, de Coppola, alors en difficultés financières, en acquérant, contre toute attente, les droits de distribution pour l’Europe de ce qui allait devenir un monument du cinéma mondial. Claude Berri, le beau-frère, repoussera lui aussi un peu plus les limites en engageant jusqu’à sa fortune personnelle dans le budget faramineux de Tess de Roman Polanski. «Ce n'étaient pas des financiers, mais de véritables artistes, des passionnés», souligne à Ici Beyrouth Marie Avarguez.

«Rassam le magnifique»
À travers des témoignages de proches et des images d’archives, le documentaire se penche sur les destins croisés de ces géants du cinéma. Une épopée romanesque menée, d’un côté, pied au plancher, par Jean-Pierre Rassam, personnage flamboyant, haut en couleur, provocateur et excessif. Un écorché vif qui, de l’avis de tous, était doté d’un magnétisme et d’un humour inouï doublé d’une intelligence stupéfiante. Fils de diplomate levantin, né à Beyrouth, l’homme a fasciné les plus grands, de Forman à Godard en passant par Coppola qui voyait en lui «un génie». «Jean-Pierre Rassam ne lisait jamais les scénarios avant de se prononcer sur un film. Il marchait à l’instinct et à l’audace», raconte Marie Avarguez. Au tournant des années 1970, son impétuosité et ses prises de risque finissent par payer. Certains de ses films font date et engrangent des millions d’entrées; de Tout va bien de Jean-Luc Godard à La Grande Bouffe, en passant par Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat et les films de Jean Yanne.

S’ensuivent les années au Plaza-Athénée qui, entre faste et excès, façonnent un peu plus le mythe. Jean-Pierre Rassam y mène grand train dans une suite du palace où il reçoit en peignoir actrices, réalisateurs, call-girls et même militants de l’Organisation de libération de la Palestine. Pourtant, en 1974, la roue tourne. Sa tentative ratée de racheter la Gaumont, jumelée à une série d’échecs cuisants au cinéma, le ruinent. C’est le début de la descente aux enfers, des dérives et des addictions. En 1978, il rencontre Carole Bouquet. C’est le coup de foudre. «J’étais complètement admirative et gâteuse, tellement fascinée par cet homme», évoque-t-elle, émue. Leur fils Dimitri, né en 1981, ne connaîtra malheureusement que très peu son père puisque le producteur décédera en 1985, à seulement 43 ans, d’un arrêt cardiaque.
Le parrain du cinéma français  
Marié à Anne-Marie Rassam – figure centrale et fédératrice du clan qui a transmis le goût du cinéma à ses frères –, Claude Berri a toujours cultivé la discrétion. L’homme est aux antipodes de l’exubérance de ce beau-frère dont il fut un temps très proche jusqu’à ce que les rivalités les éloignent. Issu d’une famille juive ashkénaze, Claude Berri, de son vrai nom, Claude Langmann se destine à une carrière de fourreur, le métier de son père. Seulement, la passion du cinéma l’emporte. Son premier long-métrage, Le Vieil homme et l'enfant (1966), est un succès public et critique, et sera le prélude d’une série d’œuvres autobiographiques. C’est en finançant ses propres films que Claude Berri se lance dans la production avec sa société Renn. Dès la fin des années 1970, le producteur/cinéaste s’attaque à des projets ambitieux, aux budgets colossaux. Artiste dans l’âme, il a su, en tant que réalisateur et producteur, tisser, de fil en aiguille, une œuvre foisonnante, conjuguant à la fois cinéma d’auteur et cinéma grand public. Surnommé le parrain du septième art français, sa filmographie cumule sur un demi-siècle près de 21 réalisations (Tchao Pantin, Jean de Florette, Manon des Sources) 40 productions (La Reine Margot, L’Ours, L’Amant, Bienvenue chez les Ch'tis) et 47 millions d’entrées. Il décèdera en 2009 des suites d’un AVC.
Le cinéma en héritage
Ne reniant rien de ses racines libanaises qu’il évoque souvent, le très discret Paul Rassam, 85 ans, est aujourd’hui le patriarche de cette lignée mythique marquée aussi par les drames; le suicide en 1997 d’Anne-Marie, maniaco-dépressive, suivi quelques années plus tard de celui du fils de celle-ci, Julien Rassam (Langmann). Acheteur de droits de films américains, coproducteur de films à haut risque, ce «chercheur d’or» a été partie prenante de près de soixante longs-métrages à gros budget (Valmont, Danse avec les loups) et cumule plus de 100 millions d’entrées.
Installé aux États-Unis depuis des décennies, «le français le plus puissant d’Hollywood» est resté très proche des Coppola avec lesquels il entretient des liens presque familiaux. Protecteur vis-à-vis de son clan, il veille sur l’avenir de ses neveux, Dimitri Rassam et Thomas Langmann, qui assurent la continuité. Le premier a produit récemment Les Trois Mousquetaires, une fresque ambitieuse, et le second The Artist (cinq Oscars en 2012).
«Après mon premier entretien avec Paul Rassam, j’ai réalisé, en tant que productrice, à quel point notre esprit était étriqué, alors que ces familles réfléchissent tellement grand et ne s’imposent aucune limite, confie Marie Avarguez. C’est ce qui les rend si extraordinaires, aussi hors norme!»
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