La crise bancaire a débuté en douce juste avant le soulèvement du 17 octobre. Elle a ensuite gagné en acuité, mois après mois, à la suite de la ruée des déposants et au crétinisme des pouvoirs publics. Un mélange unique d’incompétence et d’intention délibérée pour casser le secteur. Un cas d’école enseigné dans le cadre du cours nouvellement introduit sur le «stade ultime de la bêtise économique». Il faut dire que Hassane Diab était aux commandes, avec le berryiste Ghazi Wazni aux Finances. C’est un début d’explication. Mais, on ne va pas y revenir.
Voyons plutôt où en sont arrivées les différentes données chiffrées de ce secteur vital avec les explications nécessaires, vu que presque tout le monde semble avoir perdu la raison, à raison. À cette occasion, on est désolé pour ce trop-plein de chiffres rébarbatifs, qu’on va faire notre possible de rendre un tant soit peu digestes.
Petite remarque avant de s’embarquer: les chiffres sont supposés couvrir quatre ans, de septembre 2019 à septembre 2023, avec parfois un décalage d’un mois ou deux selon leur disponibilité, ce qui ne change rien à la tendance, à quelques décimales près. Autre remarque: la plupart des opérations bancaires ci-dessous ont été imposées par les autorités, au détriment des banques et des déposants.
- Capitaux propres: Ils ont dégringolé de 21 à 6,5 milliards de dollars. Deux explications: d’abord, une partie du capital était à l’origine en livres libanaises (LL). Avec la chute du taux officiel à 15.000 LL, leur valeur en dollars a suivi la tendance. Ensuite, le capital a été érodé par les pertes annuelles subies et les provisions nécessaires sur les crédits.
- Dépôts en dollars: Diminution de 124 à 92 milliards de dollars. Comment ces 32 milliards se sont-ils envolés? Quatre causes principales, qu’on va énumérer par ordre décroissant d’importance.
La première est qu’ils ont été utilisés pour éteindre les crédits. Ce remboursement anticipé représente 62% de la contraction des dépôts.
La deuxième, au début de la crise, pour acheter de l’immobilier et autres biens par des chèques en lollars.
La troisième en sacrifiant des dépôts coincés à la banque en échange de cash, avec une ristourne augmentant sans cesse, pour atteindre actuellement 85%. Le processus est désormais connu: un déposant se met d’accord avec sa banque pour encaisser 15.000 dollars en cash, en échange de 100.000 dollars déduits de son compte. Cette opération, interdite ensuite par la BDL, se poursuit entre des acteurs privés.
La quatrième via des retraits en cash, limités dans chaque banque au début, avant que la BDL n’unifie le processus avec les circulaires 151 et 158.
La dernière a pris la forme de transferts à l’étranger; certains sont justifiés sous forme de transferts en faveur des étudiants ou en raison d'autres urgences. D’autres dépôts provenaient de banques correspondantes qu’il fallait absolument servir si on ne veut pas s’isoler du système financier international. Et, enfin, la plus petite partie, quoiqu’en pense le commun des criards déposants, par des transferts en faveur de quelques privilégiés, à hauteur de 2 ou 3 milliards, selon les sources.
- Crédits en livres libanaises: Presque réduits de moitié, de 24.000 à 13.000 milliards, par le mécanisme de remboursement anticipé. Exemple: un ménage qui avait contracté un crédit immobilier de 200 millions de LL, avec une traite mensuelle de 1,5 million, soit à l’époque 1.000 dollars, a décroché le jackpot. Car, avec la chute de la monnaie, ces 1,5 million mensuels ne représentent plus, deux ans plus tard, que 100 dollars, et quatre ans plus tard, 15 dollars. Résultat effarant: un ménage qui a acquis son logement en 2017 ou 2018, l’aura eu presque gratuitement.
Crédits en dollars: Encore un gros gouffre, le montant a chuté de 38 milliards à 8 milliards. Comme indiqué ci-dessus, l’opération s’est d’abord réalisée par le remboursement via les dépôts (en lollars), puis par chèques en cash, 15.000 dollars en liquide pour éteindre 100.000 de dette. On pouvait même rembourser en livres libanaises au taux de 1.500 pendant les premières années de la crise.
Exemple: un client qui avait un emprunt de 100.000 dollars pouvait le rembourser à l'origine en versant 150 millions de LL. Plus tard, avec un dollar, disons, à 50.000 LL, cela lui aura coûté alors seulement 3.000 dollars, équivalents à 150 millions de LL.
Un projet de loi actuellement à l’étude au Parlement vise à taxer ceux qui ont remboursé leurs crédits à bas coût. Mais le texte exclut les emprunteurs particuliers de moins de 100.000 dollars (ou équivalent en LL au taux d’origine), y compris les crédits immobiliers et crédits de consommation. Ce qui enlève une bonne partie de son utilité. Plus on se laisse aller au populisme, plus on gagne en absurdité. C’est mathématique.
- Liquidité à l’étranger: Un indicateur important car il mesure la solidité des banques. En quatre ans, cette liquidité est passée de 8,4 milliards de dollars, à 4,4 plus quelque 900 millions actuellement dans les coffres-forts locaux des banques. Une chute due aux paiements selon la circulaire 158, d’autres retraits plus généreux au début de la crise et d’autres transferts comme listés ci-dessus.
Eurobons: Encore une chute, de 15 à 2,7 milliards de dollars. Les banques ont dû vendre la plupart de ces bons à l’étranger, à perte, dans les premiers mois de la crise. En plus, selon la BDL, les banques devraient amasser des provisions égales à 75% de la valeur nominale.
Bref, après tout ce déballage, les banques sont-elles viables ou non? Cela dépend évidemment de chaque banque. Mais disons d’abord qu’elles ont sûrement un problème de liquidité. Et la plupart probablement un problème d’insolvabilité, car leurs actifs, en l’état actuel des données, ne couvrent pas les passifs. C'est pour cela que l'ancien gouverneur leur a demandé de reconstituer leur capital sur cinq ans.
On décèle une jubilation du côté des déposants: qu’est-ce qu’on attend alors pour déclarer leur faillite? Pour ne rien vous cacher, quelques rares banques y ont pensé et auraient déposé même une demande à la BDL, qui a été refusée par l’ancien gouverneur.
En réalité, cela aurait été l’issue la plus avantageuse pour les banquiers: Ils sont déjà riches, et pourraient se débarrasser ainsi de tout souci. Si la plupart ne le font pas, ce serait par attachement à un patrimoine construit pendant des générations.
Mais ce serait la pire solution pour les déposants, car ils perdraient alors toute possibilité de récupération. Et pourtant, il reste encore quelques délirants qui l’exigent.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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