Même si toutes les parties libanaises sont d’accord pour éviter une vacance à la tête de l’armée, qui résulterait du départ à la retraite le 10 janvier prochain du commandant en chef de la troupe, le général Joseph Aoun, elles divergent sur la meilleure façon de procéder.
Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël a poussé les responsables à «mettre les moteurs en marche», surtout que le poste de chef d’état-major de l’armée, censé assurer l’intérim en cas de vacance à la tête de l’institution militaire, est lui-même vacant depuis décembre dernier, le processus n’a pas encore vraiment «démarré».
Quatre options
En fait, quatre options se présentent aujourd’hui:
– Premièrement, pourvoir aux postes vacants au sein du conseil militaire, l’organe qui prend les décisions dans l’armée. Parmi ces postes, celui de chef d’état-major de l’armée (généralement réservé à un druze), mais également ceux d’inspecteur général (grec-orthodoxe) et de directeur général de l’administration (chiite).
Ces nominations, effectuées par le Conseil des ministres, permettraient de compléter la composition du conseil militaire autour du commandant en chef de l’armée. À ce moment-là, même si le général Joseph Aoun part à la retraite, le chef d’état-major, considéré comme le numéro 2 de l’institution militaire, assurerait l’intérim.
Il y a d’ailleurs un précédent. Le chef d’état-major, le général Chawki el-Masri, avait assuré l’intérim à la tête du commandement des forces régulières après l’élection de Michel Sleiman à la présidence de la République en 2008, et avant la nomination du général Jean Kahwagi.
Pour ce poste, le nom de Hassane Audi circule. Il aurait la bénédiction du Parti socialiste progressiste et succèderait ainsi à Amin el-Orm, parti à la retraite le 24 décembre dernier.
– Deuxièmement, retarder le départ à la retraite de plusieurs officiers, parmi lesquels le général Joseph Aoun. Le secrétaire général du Conseil des ministres a été chargé d’élaborer un projet de loi à cet égard.
– Troisièmement, proroger le mandat du général Aoun. Dans ce cadre, on rappelle que la durée du mandat d’un ancien commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwaji, avait été rallongée par l’ancien ministre de la Défense, Samir Mokbel, sous le gouvernement de Tamam Salam, qui avait géré le Liban durant la période de vacance présidentielle (2014-2016).
– Quatrièmement, nommer un nouveau commandant en chef de l’armée. Le Conseil des ministres pourrait s’en charger, sur proposition du ministre de la Défense.
L’obstacle aouniste
Les quatre options butent cependant sur le refus du Courant patriotique libre, lequel a son mot à dire dans ce cadre puisque le ministre sortant de la Défense, Maurice Slim, est un proche de la formation aouniste. Le ministre de la Défense par intérim, à savoir le ministre de la Justice, Henri Khoury, est également un proche du CPL…
Cette formation, et surtout son chef, Gebran Bassil, souligne qu’ «il faut appliquer la loi» en vertu de laquelle l’officier le plus haut-gradé au sein du conseil militaire doit assumer l’intérim en cas d’absence du commandant de l’armée. Et cet officier, c’est Pierre Saab (grec-catholique), un autre proche du CPL.
Le courant aouniste fait valoir que le principe appliqué lors de la vacance à la tête de la Banque du Liban, avec le départ de l’ancien gouverneur, Riad Salamé, et de la Sûreté générale, avec le départ de l’ancien directeur général, Abbas Ibrahim, doit être maintenu dans le cas de l’armée. Dans les deux cas, l’intérim avait été assuré conformément à la Constitution et à la loi en vigueur.
Telle est l’explication légale. Il n’en reste pas moins que la justification politique de la position du CPL à cet égard est claire. Selon des sources politiques, Gebran Bassil souhaiterait, bien sûr, qu’un de ses proches soit à la tête de l’armée. Mais ce qu’il désirerait surtout et plus que tout, c’est écarter le général Joseph Aoun du commandement de l’armée et de la course à la présidence.
Le maintien de Joseph Aoun à la tête de la troupe renforcerait les chances du commandant de l’armée d’être élu à la présidence et réduiraient à néant celles du chef du CPL d’y accéder, actuellement et dans l’avenir.
Campagne contre Joseph Aoun
Gebran Bassil est prêt à tout pour éviter l’élection du chef de la troupe, selon les sources précitées, et préférerait même voir le chef des Marada, Sleiman Frangié, accéder à Baabda. D’ailleurs, lors de sa récente tournée auprès de plusieurs responsables et blocs politiques, il a clairement exprimé sa «disposition à coopérer» avec l'ancien député de Zghorta. Il a en revanche largement critiqué Joseph Aoun, l’accusant notamment «d’ouvrir les frontières terrestres aux déplacés syriens, afin qu’ils entrent au Liban, et de leur fermer les frontières maritimes, afin qu’ils ne partent pas, au lieu de faire le contraire», comme le rapportent des députés qu’il a rencontrés.
La question de la vacance à la tête de l’armée a d’ailleurs été évoquée lors de la rencontre tenue mercredi entre Gebran Bassil et Sleiman Frangié. Les deux hommes ont exprimé leur refus de la prorogation du mandat du général Joseph Aoun.
Réunion de concertation
La position du CPL vis-à-vis de Joseph Aoun est claire, et ce qui s’est passé mercredi lors de la réunion ministérielle de concertation au Grand Sérail est significatif.
Le ministre de la Défense, Maurice Slim, arrivé très énervé au siège du gouvernement, a eu un entretien tendu avec M. Mikati. M. Slim était d’ailleurs venu au Sérail pour protester contre la lettre que lui avait envoyée le Premier ministre sortant. Dans cette lettre, il lui demandait de proposer le nom d’un candidat au poste de commandant en chef de l’armée, de proroger le mandat du général Joseph Aoun ou de proposer des noms d’officiers pour mettre fin aux vacances au sein du Conseil militaire. Selon la Constitution et la loi du Conseil supérieur de la Défense, ces tâches sont du ressort du ministre de la Défense.
Alors que M. Slim a refusé d’assister à la réunion, d’autres ministres représentant le CPL, notamment les ministres de la Justice, Henry Khoury, des Affaires sociales, Hector Hajjar, et des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, y ont participé.
Dans un communiqué publié en soirée, M. Slim a dénoncé le ton utilisé par le Premier ministre dans sa lettre, ainsi que le fait que M. Mikati ait envoyé une copie de cette missive au ministre Khoury et une autre au commandement de l’armée.
Calme et prudence
Les choses étant ce qu’elles sont, il faut procéder avec «prudence et calme» pour éviter la vacance à la tête de l’armée. C’est en tout cas le message qui a été véhiculé par le président du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre sortant, Najib Mikati, dans un communiqué publié à l’issue de leur réunion jeudi à Aïn el-Tiné.
La solution viendra-t-elle du gouvernement, à travers les options évoquées plus haut, ou du Parlement, par le biais d’une proposition de loi proposant de reporter d’un an le départ à la retraite de plusieurs officiers?
Alors que, selon des sources parlementaires, il serait plus facile de résoudre le problème dans l’hémicycle, arguant du fait que même les blocs de l’opposition voteraient en faveur d’une loi visant à éviter la vacance, d’autres sources insistent sur le fait qu’il revient au gouvernement d’agir dans ce cadre.
«Nous avons encore le temps. Nous cherchons la meilleure solution, à la fois consensuelle et constitutionnelle», à en croire différentes sources. Quoi qu’il en soit, celle-ci serait appliquée avant le départ du général Joseph Aoun à la retraite, et il n’y aurait pas de vacance à la tête de l’armée.
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