Les députés du clan Berri ont rendu leur homework sans attendre leur reste et ce sont les députés souverainistes qui, en revanche, ont chahuté l’émissaire français Jean-Yves Le Drian. De quoi se demander si ce n’est là un commencement de preuve par écrit qu’un renversement d’alliances est en train de se produire.
Un commentateur sagace de l’actualité vient de s’exclamer: «Je n’arrive pas à m’expliquer le faux pas de M. Le Drian, ancien ministre des Affaires étrangères et diplomate avisé, dans la gestion du dossier de l’élection présidentielle libanaise, survenu après l’échec de la proposition initiale française consistant à élire le candidat du Hezbollah à la présidence et un Premier ministre réformateur. J’espère que ce double échec ne nuira pas à l’influence de la France au Liban après les déboires qu’elle connaît malheureusement au Niger, au Mali et au Burkina Fasso.»
Voilà où en est la situation! Mais ce qui est encore plus inexplicable, c’est la réaction abrupte de certains élus à l’initiative française qui, somme toute, ne nécessitait peut-être pas une levée de boucliers.
Une réaction indue et disproportionnée?
Reprenons: M. Le Drian, dans l’exercice de sa mission, et en sa qualité d’envoyé spécial du président français, Emmanuel Macron, avait été amené le 15 août dernier à adresser aux divers députés et chefs de file politique une lettre les priant «d’exposer leur vision des qualités du nouveau président et des priorités de son sexennat» (1). Mal lui en prit; ladite approche s’est révélée si insolite et si maladroite qu’elle «en a surpris plus d’un» (2). Les députés des Kataeb et des Forces libanaises récusèrent le procédé, et même Waddah Sadek, député du changement, refusa de se prêter au jeu, considérant la gracieuse requête comme «une atteinte à la souveraineté du Liban et de son Parlement» (3). Les choses auraient pu tourner à l’aigre, n’était la pondération d’un vieux routier comme Marwan Hamadé, qui a estimé que les réactions des souverainistes étaient injustifiées.
Était-ce l’effet d’une interprétation erronée, d’un misreading inconsidéré ou d’une réaction épidermique? À moins que la France n’ait opéré un renversement de ses alliances sur la scène libanaise. On serait tenté de le croire en apprenant que le mouvement Amal, réagissant au récent développement de l’initiative française, a salué «tout effort sincère au service du Liban» (4).
Y aurait-il une autre explication? N’est-ce pas que le questionnaire français vient d’exhumer les pratiques inquisitoriales de M. Abdel Halim Khaddam, ancien vice-président syrien?
Rappelons que ce dernier, quand il avait la main haute sur les destinées libanaises, faisait passer un test (imtihan) à tous nos compatriotes, dès qu’ils se portaient candidats à certains postes officiels. Aux dires de Mohsen Dalloul, même le général Michel Aoun, alors commandant en chef de l’armée, s’était plié à cet exercice dégradant pour obtenir le feu vert de Damas dans sa course effrénée à la présidence de la République. Souvenons-nous également que la Syrie, de concert avec les Américains, lui avait préféré feu Mikhael Daher, qui aurait passé ledit test avec plus de succès (5). Et, bien entendu, par la suite, arriva ce qui devait arriver!
Mitterand: La marine française n'est au service de personne.
Expectatives et changeantes réalités
Certes, «le Liban n’est pas seul… la France se tient aux côtés du Liban. Toujours», déclarait le président Macron pour marquer une présence et une solidarité indéfectible dans les heures difficiles. En fait, depuis Jacques Chirac, qui s’est rendu quatre fois à Beyrouth, la diplomatie française en notre pays est «une diplomatie exclusive du signe», comme n’a pas manqué de le souligner Jean-François Daguzan (6).
Mais attention, la France a surtout une politique arabe et certains «s’imaginent à tort que la marine française est ou sera à leur disposition», rétorquait le président Mitterrand au général Michel Aoun en août 1989. Ce dernier avait réclamé, sur les ondes, l’appui de la Royale dans son duel improvisé avec les artilleurs syriens. C’était dans le cadre de sa «guerre de libération», lancée en mars de la même année. Nos souverainistes auraient intérêt à méditer cette réplique qui résume la position de la France officielle.
Et si l’approche «néo-gaulliste» et volontariste du président Macron est à souligner, on ne peut feindre d’ignorer la nouvelle donne de la politique française qui «entend prendre en considération les mutations de la société multiconfessionnelle libanaise» (7). En somme, la France est la protectrice du Liban et non plus des seuls chrétiens du Liban (8), comme elle avait pu l’être par le passé.
À Munich en 1938 on crut apaiser Hitler en lâchant sur la Tchécoslovaquie.
Des Munichois parmi nous?
Il n’empêche que le chantage auquel procède le duo chiite, en martelant «ou notre candidat ou l’impasse», semble être relayé par un ultimatum français, une source diplomatique venant rappeler à qui veut l’entendre les propos suivants: «Nous avons présenté une proposition de médiation et de facilitation. Si les Libanais ne veulent pas de cette mission, elle aura une fin.» (9)
La France a ses intérêts, c’est entendu. Mais est-ce à dire qu’une politique de complaisance à l’égard du Hezbollah est payante? Le dialogue global est réclamé par les forces du 8 Mars comme un préalable à un règlement de la crise, mais c’est là encore une de ces exigences qui ne sont satisfaites que dans l’opprobre, un opprobre pareil à celui qui a rejailli sur Chamberlain et Daladier à Munich. Ce n’est pas en passant sous les fourches caudines des mollahs que se créera un «cadre pour favoriser un consensus entre Libanais pour sortir de l’impasse présidentielle». Pas plus qu’on n’aurait dû apaiser Hitler en 1938, on ne saurait «reproduire les erreurs du passé, c’est-à-dire accepter, au nom d’une realpolitik, des compromis qui ne feront que prolonger un état de fait devenu insupportable, voire fatal pour le pays» (10).
Il n’y a que la fermeté qui vaille et ceux qui plient devant le chantage ne peuvent commander le respect.
Youssef Mouawad
yousmoua47@gmail.com
1- Alissar Boulos, «Présidentielle: La mission de Le Drian se complique», Ici Beyrouth, 18 août 2023.
2- Rolla Beydoun, «L’initiative française toujours de mise, mais en rectifiant le tir», 22 août 2023.
3- Alissar Boulos, op.cit.
4- «Initiative française: Amal salue ‘les efforts sincères’ au service du Liban», Ici Beyrouth, 21 août 2023.
5- Qui ne se souvient de l’apostrophe assassine lancée par Richard Murphy, en 1989: «Mikhael al-Daher ou le chaos»?
6- Cité in Gérard Claude, «Les relations franco-libanaises sous la présidence de Jacques Chirac», Politique étrangère, 2008/4, Hiver, pp. 885-897.
7- Ibid.
8- Interview de M. François Mitterrand, président de la République, accordée à Europe1 et Antenne 2, le 10 décembre 1989.
9- Rolla Beydoun, op.cit.
10- Alissar Boulos, op.cit.
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