L’éditorial – L’affaire de Kahalé: lorsque l’on agresse des régions-symboles
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Deux titres qui ont fait la «une» du site d’Ici Beyrouth, jeudi, résument à eux seuls les racines du profond clivage provoqué par la ligne de conduite guerrière du Hezbollah: «Deux morts à Kahalé, la localité en ébullition» ; «A Tripoli, un piano dans les souks pour promouvoir la culture».
Ces titres illustrent parfaitement les deux visions diamétralement opposées de la vocation du Liban qui s’opposent violemment depuis des décennies: celle du parti pro-iranien, d’abord, qui n’agit qu’en fonction des intérêts supérieurs de la République islamique à Téhéran, faisant fi totalement des sensibilités socio-communautaires et de la «géographie politique» du pays; la seconde vision prône un Liban libéral, pluraliste, ouvert sur le monde, prospère, attaché aux libertés… En peu de mots, la «culture de vie» contre la «culture de la mort» (ou du martyre), pour reprendre un slogan du 14 Mars lors de l’une de ses campagnes électorales.
L’affaire de Kahalé constitue une nouvelle illustration – encore une – de l’état d’esprit qui dicte le comportement des chefs du Hezbollah. Ces derniers veulent imposer aux Libanais, sous le couvert de «résistance», l’édification d’une société guerrière de manière à maintenir un climat conflictuel permanent, sans fin et sans horizons, avec pour seul objectif de bétonner la stratégie d’exportation de la «révolution islamique», lancée par les pasdaran dès l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny, en 1979.

Dans la foulée de la dynamique khomeyniste, le directoire du Hezbollah feint d’oublier que les Libanais sont depuis la fin des années 1960 du siècle dernier les otages de différents acteurs régionaux, et de ce fait, il est aujourd’hui totalement légitime qu’ils aspirent au bien-être et à une vie prospère, après 53 ans de souffrances et d’épreuves sanglantes. Il est aussi foncièrement légitime qu’ils réclament l’édification d’un État souverain, efficace et fort, plutôt que d’impliquer le pays dans des conflits régionaux dont il n’a cure.
Plus grave encore, l’aveuglement des chefs du parti pro-iranien va jusqu’à occulter un paramètre fondamental de la vie publique libanaise: la «géographie politique» du pays. L’histoire récente, et un peu plus ancienne, du Liban met en évidence l’existence de régions-symboles qui illustrent chacune une sensibilité, un inconscient collectif, voire un esprit de corps, propre à une communauté bien déterminée. Kahalé est précisément l’une de ces régions qui symbolisent une assabiya, un esprit résistant, à l’instar de Aïn Remmané, Achrafieh, Hadeth, Zahlé, Aïn Ebel, Becharré et Zghorta, ou aussi Moukhtara, Baakline, Aley, Haret Hreik, et dans une moindre mesure Tripoli (malgré sa diversité), pour ne citer que quelques exemples.
Quelle aurait été la réaction du Hezbollah si par une nuit sans lune les Forces Libanaises entreprenaient de parader en armes à Haret Hreik ou d’y faire circuler au grand jour un camion bourré d’armes et de munitions? Le 7 mai 2008, le parti pro-iranien a commis l’impensable et l’incommensurable erreur stratégique de vouloir contrôler Moukhtara (!) et Choueifat qui représentent non seulement des bastions du PSP, mais de véritables symboles de la sensibilité druze. Il faut être totalement ignorant des profondes réalités sociétales libanaises ou dédaigner de telles réalités pour lancer une milice chiite à l’assaut de Moukhtara ou de Choueifat!
L’issue de ces folles «expéditions» contre ces deux places fortes druzes a apporté la preuve qu’au Liban nul ne peut «jouer» avec ces régions-symboles et les agresser militairement. La réaction des habitants de Kahalé au comportement provocateur et effronté des miliciens du Hezbollah, qui ont fait irruption mercredi dans la localité, était prévisible et légitime. De même d’ailleurs que les prises de position jusqu’au-boutistes et à caractère sécessioniste de nombre d’habitants, notables et responsables politiques qui ont exprimé ouvertement leur ras-le-bol. Car les Libanais ont suffisamment subi, pendant plus d’un demi-siècle, les «guerres des autres» pour avoir le droit de revendiquer aujourd’hui un certain bien-être, une vie normale et prospère, loin des attitudes hégémoniques des uns et des autres dans la région.
Le «parti de Dieu» ne cesse de répéter qu’il désire un président de la République qui ne le «poignarde pas dans le dos». En clair, un président en qui il aurait une totale confiance… Sans doute pour compenser le profond ressentiment qu’il a provoqué à son égard parmi l’écrasante majorité des Libanais. Peut-être serait-il temps que cette formation pro-iranienne comprenne que le Liban n’est pas sa propriété privée et qu’elle ne peut continuer à se comporter impunément et indéfiniment comme si elle évoluait en territoire conquis. Wilayat el-faqih ou pas…  
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