Haut les masques! Dieu que cela pue !
Des origines des parfums

L’histoire des parfums a des origines immémoriales. Celles-ci remontent bien trop loin dans les temps archaïques pour pouvoir être datées avec précision. Disons, simplement, que cette histoire se commence peut-être avec le commencement même des premières explorations du genre Homo. L’étymologie latine per fumum le suggère bien d’ailleurs, puisqu’elle désigne par le mot même ce qui parvient « par la fumée », autrement dit, à travers le feu. En effet, quand les primitifs se mirent à maîtriser le feu, en y jetant des os d’animaux, ainsi que des végétaux de toutes sortes, ils eurent vite fait de se rendre compte qu’une fumée odorante s’en dégageait. Les chercheurs s’accordent à faire remonter les plus anciennes traces de foyers à environ 790 000 ans, plus particulièrement au site du Pont des Filles de Jacob, au bord du Jourdain, en Israël. On voit bien donc à quel point ces temps sont ancestraux. Les traces de l’utilisation du feu par Sapiens remontent, elles aussi, à bien loin, les chercheurs ayant retrouvé des lames de silex chauffées dans des foyers sur le site de Djebel Irhoud, au Maroc, occupé alors par Sapiens, il y a environ 300 000 ans. Quoi qu’il en soit, les anthropologues nous apprennent aussi que les primitifs se frottaient le corps avec différents aromates pour attirer le gibier dans leurs expéditions de chasse. Se parfumer ne leur était pas donc étranger.

Dans l’Antiquité, le parfum fait l’objet d’un véritable culte et a une dimension mystique. L’Égypte, par exemple, en crée à partir d’huile végétale et de graisse animale mélangées à des fleurs et à des plantes odoriférantes, en l’occurrence la marjolaine, la myrrhe et l’iris. Le parfum sert à communiquer avec les divinités ; aussi les temples en foisonnent-ils. En l’honneur des divinités, les statues qui les représentent sont frottées avec des onctions parfumées. Brûlés dans de l’encens, les parfums, transportés par la fumée, véhiculent les prières des humains jusqu’aux oreilles des dieux. Par ailleurs, lors des rites funéraires, les dépouilles sont embaumées afin qu’elles ne se détériorent pas et qu’elles puissent accéder à la vie éternelle. Cependant, le parfum est tout également utilisé dans la vie de tous les jours, notamment par les femmes de la haute société, comme moyen de séduction : qui ignore donc que Cléopâtre se baigne dans de l’eau parfumée à l’huile d’amande amère et à la cannelle avant de retrouver Jules César puis Marc Antoine ? Mais c’est bien aux Grecs anciens que l’on doit l’invention de la technique de l’enfleurage qui diversifie et malaxe les senteurs, avec le lotus, le lys, le safran, le laurier, le benjoin, le musc, l’ambre gris, par exemple, ainsi que la découverte des vertus médicinales de celles-ci, notamment grâce à leurs effets antiseptiques, digestifs, sédatifs ou encore, aphrodisiaques. Et, c’est bien aux Romains que l’on doit le commerce en bonne et due forme des essences par les unguentarii, les travailleurs de l’encens, dans les boutiques de qui les gens affluent, se rencontrent, se parlent, s’essaient à de multiples fragrances, transformant les lieux en des espaces de vie où l’on peut se mettre au courant de tout et de rien, c’est-à-dire « être au parfum »…

 

Technique de l'enfleurage

Fabrication du parfum : technique de l'enfleurage

Grasse ou la grâce des essences

Aujourd’hui, la capitale mondiale du parfum demeure la ville française de Grasse, qui se jette sur la si belle Côte d'Azur. Elle l’est depuis le XVIe siècle : célèbre au Moyen Âge pour ses tanneries, la ville de Grasse souscrit un jour au souhait des aristocrates qui portent des gants en cuir mais en abhorrent l’odeur, en immergeant désormais les gants dans des bains de senteur, en l’occurrence à l’eau de rose, au jasmin rouge, au mimosa, à la fleur d’oranger, au myrte et aux épices. C’est là l’idée ingénieuse d’un certain tanneur nommé Gallimard qui se hâte d’en offrir une paire à Catherine de Médicis, reine puis régente du royaume de France, laquelle fait dès lors de Grasse le centre même des essences précieuses. Depuis, les gantiers parfumeurs se sont transfigurés en parfumeurs avec toute la grâce qu’on pourrait leur imaginer, le savoir-faire de la parfumerie y est transmis de génération en génération et les fleurs qui font la beauté de la ville en sont devenues la source même de sa grande richesse (créations pour la parfumerie mondiale de luxe, mais aussi pour les arômes alimentaires, les produits pharmaceutiques, etc.).

Le cas particulier du roman de Süskind

On ne s’étonnerait pas, dans ce sillage, que le romancier Patrick Süskind choisisse dans son roman, Le Parfum. Histoire d’un meurtrier, de camper, vers la fin du récit, son personnage, Jean-Baptiste Grenouille, à Grasse même, où il travaille chez madame Arnulfi, s’engageant corps et âme dans sa quête du parfum des parfums, le parfum absolu. À Grasse, Jean-Baptiste Grenouille apprend les nouvelles techniques dont il ignorait l’existence, en l’occurrence la technique de l’enfleurage. Cette technique lui permettra dès lors de mieux capter l'odeur personnelle de chaque être humain, dont lui-même est étrangement dépourvu et cela, dès sa naissance. Pour ce faire, il devra tuer de belles jeunes vierges dont la dernière, la vingt-cinquième, Laure Richis (ou l’aurée, la couronnée), fille du deuxième consul. Grâce à l’essence de la peau de Laure, qu’il mélange à toutes celles des autres, il parvient au summum de son art. Au Grand Œuvre alchimique.

Patrick Süskind, Das Parfum. Die Geschichte eines Mörders, 1985. Pour la traduction et l’édition françaises, 1986


Or, on ne saurait ne pas le deviner : Jean-Baptiste Grenouille est le diable. C’est pourquoi le récit conte, en fait, l’« histoire d’un meurtrier ». Mais c’est un diable bien bizarre. Dépourvu d’odeur. Car, si l’on en croit la mythologie et les religions, il y a certes les odeurs mystiques, les odeurs de la sainteté (deux des trois Rois Mages n’offrent-ils pas à Jésus qui vient de naître de l'encens et de la myrrhe ?), il en est tout autant de diaboliques. Le Diable, en effet, sent le soufre.

Quand bien même la pandémie prendrait tout de suite fin…

Le soufre que l’on trouve en général au bord des volcans qui vomissent leurs laves et crachent leurs vapeurs toxiques appartient à des paysages destructeurs et détruits, calcinés, stériles et désespérants. Conséquemment, on pourrait bien comprendre pour quelles raisons il serait lié au diable dans l’inconscient collectif. Sous forme de dioxyde de soufre, il devient un gaz toxique à l’odeur insupportablement âcre qu’on a longtemps pris pour le signe même de la présence invisible et létale du diable. Létal, le soufre peut bien l’être : n’est-il pas utilisé pour fabriquer la poudre noire, le plus ancien et le plus célèbre des explosifs chimiques ? Quoi qu’il en soit, nous avons affaire là à une odeur, à une émanation très dangereusement polluante dont il nous faut à tout prix nous prémunir si nous voulons rester en vie. Mettons donc tout de suite nos masques.

Au Liban. Soufre des charniers de la guerre et de l’après-guerre. Soufre des dépotoirs et des centres d’enfouissement. Soufre des pots-de-vin, du népotisme, de l’argent sale. Soufre de la corruption. Soufre de l’imposture. Soufre du despotisme. Soufre de l’incompétence criminelle et du crime tout court. Soufre du terrorisme. Soufre du vampirisme. Soufre persistant après la double explosion du port de Beyrouth. Soufre de la famine qui s’amplifie. Soufre de la Faucheuse qui rôde et sévit. Libanais ! Haut les masques !

Et, quand bien même la pandémie de la CoVid-19 prendrait tout de suite fin, Libanais, gardez vos masques ! Aucune pandémie au monde ne saurait être plus virulente, plus pestilentielle et mortelle que la pandémie de nos gouverneurs. Dieu qu’ils puent ! Ils puent d’une odeur de loin pire encore que celle du soufre diabolique. D’une odeur qu’aucun parfum, qu’aucune senteur, fussent-ils créés à Grasse même, ne sauraient un tant soit peu couvrir, faire oublier, même si nous revenions au masque des médecins de choléra et de peste, ce long bec contenant des pétales de roses et d’œillets, des feuilles de menthe, de basilic et de thym, des épices diversifiées et du camphre, senteurs supposées neutraliser les miasmes des cholériques et des empestés. Libanais ! Haut les masques ! Peut-être aurions-nous un jour la joie de les voir enfin, à défaut de quelque grâce, souffrir et s’étouffer dans le soufre de leur propre crasse

« Pourquoi les médecins de la peste portaient-ils ces drôles de masques ? »

Pourquoi les médecins de la peste portaient-ils ces drôles de masques ?

 

 

 
Commentaires
  • Aucun commentaire