Il y a quelques jours, le président français Emmanuel Macron a invité au château de Versailles, pour la sixième année, la crème des patrons des plus grandes firmes internationales. Plus de 200 ont répondu à l’appel. Le sujet-titre est auto-explicatif: «Choose France». Autrement dit, choisissez la France pour votre prochain investissement.
L’industrie est promue en premier, mais pas que. Les services et la haute technologie sont aussi visés, symboliquement représentés par un Elon Musk, convoité comme jamais, et primé par une audience privée à l’Élysée. Pour information, la France est déjà le plus grand récepteur d’investissements en Europe.
Voilà un fait tellement loin de chez nous, selon tous les critères. Qui sommes-nous donc pour nous mesurer à la gouvernance française? Mais l’idée n’est pas là. Il s’agit juste de reconfirmer que les investissements étrangers sont un facteur vital pour toute économie. Il l’a été pour nous dans le temps. On était souvent placés, parmi les pays arabes, juste après les pays du Golfe et l’Égypte. Tout cela s’est dégringolé ensuite, jusqu’à arriver en 2022 à un seul investissement orphelin de 500 000 dollars, probablement par un expatrié.
Les raisons sont tellement évidentes qu’on n’a pas besoin de s’y attarder. Il suffit de remarquer qu’on est dans le dernier quart, parmi les pays du monde, dans tous les critères de réputation: corruption, règne de la loi, efficience du service public, judiciaire, infrastructure, etc. On y ajoute maintenant la problématique bancaire. Un aspect qui pourrait à la rigueur être atténué par une loi qui garantit à l’investisseur la possibilité de rapatrier ses bénéfices, et même son capital à tout moment. Mais, qui s’en soucie?
Comme tout cela est déjà connu, allons maintenant vers un aspect plus spécifique: la défiance des entreprises étrangères à prendre en charge un projet étatique. Exemple significatif dont personne ne semble s’émouvoir: l’appel d’offres pour l’exploration gazière dans les huit blocs restants, prolongé pour la cinquième fois, n’a toujours rien donné. Aucune entreprise n’a manifesté un quelconque intérêt. Un cas unique dans les annales pétrolières du monde.
Oublions l’aspect géostratégique de ce cas, qui pourrait effrayer quelques-uns, et élargissons le spectre vers d’autres domaines. En plus des aspects répulsifs pour tout investisseur cités précédemment, il y a un phénomène que peu de gens connaissent. Ce sont les contentieux qui ont accompagné presque tout projet d’exploitation confié par l’État à une entreprise étrangère. Choisissons-en au hasard quelques-uns, étalés sur 30 ans.
Dans les années 1990, deux entreprises allemandes ont été chargées d’étudier, de réaliser, et d’exploiter un réseau d’autoroutes à péage dans tout le pays. Une équipe d’expatriés allemands, établis des mois à Beyrouth, a conclu que, pour que le projet soit viable, il fallait commencer par l’autoroute du Nord, puis celle de l’Est vers Damas, de loin les plus fréquentées. Nabih Berry a alors objecté, insistant sur la primauté d’une autoroute vers le Sud. Projet donc avorté, et le contentieux qui a suivi a coûté à l’État des millions de dollars.
À la même époque, une entreprise canadienne a signé un contrat pour la gestion et le développement de la poste, le LibanPost actuel. Dès la phase de préparation, le pouvoir et ses sbires ont commencé à multiplier des conditions rédhibitoires, bien au-delà du contrat. Et SNC-Lavalin est promptement partie traînant derrière elle un contentieux.
Toujours dans les années 1990, le réseau cellulaire a été mis en place par deux sociétés, Cellis et Libancell, dont les partenaires opérateurs étaient, respectivement, France Telecom et Finland Telecom. Dix ans plus tard, des chicaneries politiques internes ont amené le gouvernement à nationaliser les réseaux. Un arbitrage international nous a obligés à casquer des dizaines de millions de dollars de dommage.
Lors de la construction de l’aéroport, on a confié à une entreprise koweïtienne le soin de développer et d’exploiter le parc de stationnement. Parmi les droits et les obligations, les autorités devaient interdire tout stationnement en dehors de ce parc, ce qui n’a jamais été respecté. Le contentieux s’est terminé avec des millions de dollars de dommage et d’intérêt.
À Tripoli, une entreprise française a pris en charge au début des années 2000 le développement et la gestion du réseau d’eau, ce qui a assuré à la ville une fourniture continue. Mais, la société Ondeo a jeté l’éponge quelques années plus tard, évincée par un gouvernement qui n’a pas tenu ses promesses et des politiques locaux qui avaient d’autres visées.
Au début des années 2010, une entreprise greco-chypriote a gagné un appel d’offres pour construire une grande centrale de production électrique pour 500 millions de dollars à Deir Ammar. Mais à peine les travaux démarrés, le ministre des Finances Ali Hassan Khalil refuse de payer, sous prétexte que la TVA n’était pas incluse. S’ensuit alors un imbroglio juridico-politique pendant des années comme on en a le secret. Pour éviter un arbitrage international dommageable, le gouvernement a proposé à l’entreprise de transformer le contrat de construction en un accord de type BOT (build, operate, transfer). Ce qui a été accepté. Mais les entraves ne se sont pas arrêtées, et la centrale n’est toujours pas construite 13 ans plus tard.
Les barges turques Powership, amenées par Gebran Bassil pour fournir au pays du courant électrique, étaient au centre d’une polémique continue, teintée d’une suspicion de corruption, tellement la dilapidation de l’argent public était évidente. Les barges sont reparties en 2021, suivies par un flot de mandats du procureur général.
L’entreprise publique algérienne Sonatrach qui nous a fourni des carburants pendant des années à des conditions favorables a été accusée de fraude sur le produit, et lynchée sur la place judiciaire et publique. Depuis, le ministre actuel essaie de renouer le contact. Mais les Algériens ne veulent plus entendre parler de ce pays peu fiable.
L’inspection mécanique des voitures a été confiée à une entreprise saoudienne, qui a fonctionné tant bien que mal pendant des années malgré les interventions continues des politiciens du coin. Jusqu’à l’arrêt complet des activités avec un procès contre ce gestionnaire pour cause de relèvement des tarifs sans accord préalable. Le tarif, qui était autour de 30.000 LL, valait 20 dollars. En 2022, il valait 1 dollar, mais «l’entreprise devait continuer à respecter les termes du contrat, en attendant un accord avec l’Administration».
Si vous n’avez pas encore régurgité, nous avons plein de cas similaires. On veut bien suspecter que le monde entier a formé une association de malfaiteurs chargés de nous plumer, pauvres candides que nous sommes. Mais, il y a peu de chances que quelqu’un vous croie.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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