La réunion du bloc parlementaire du Liban fort mardi soir a confirmé que l’échéance présidentielle, bloquée depuis des mois, a pris une nouvelle direction. L’entente entre le Courant patriotique libre et l’opposition souverainiste sur la candidature de l’ancien ministre Jihad Azour semble bel et bien sérieuse, et vient changer la donne et l’équation électorales.
La réunion a coïncidé avec celle qu’a eue le patriarche maronite Béchara Raï avec le président français Emmanuel Macron à Paris, ce qui devrait permettre à l’Élysée de mieux entendre le message exprimé par les principaux partis chrétiens et députés de l’opposition vis-à-vis de la présidentielle. Un message que le patriarche a clairement transmis à son interlocuteur. Une troisième rencontre s’est tenue simultanément, celle des partis de l’opposition libanaise, déterminés à ne pas accepter un candidat imposé par le 8 Mars, et «à ne pas avoir à choisir entre la vacance présidentielle et l’hégémonie du Hezbollah», comme le précisent à Ici Beyrouth des députés de l’opposition.
La réunion de Mirna Chalouhi
La participation de l’ex-président Michel Aoun, fondateur du CPL, à la réunion du bloc, fait rarissime ces derniers mois, a démontré l’importance de l’enjeu pour le chef de la formation aouniste, Gebran Bassil. Celui-ci sait, en effet, que la présence de son beau-père a un impact sur certains députés qui n’approuvent pas sa décision de coordonner avec l’opposition, et surtout d’appuyer un candidat non issu du bloc du Liban fort.
Le bloc «a longuement débattu de l’élection présidentielle, les options et orientations politiques ont été présentés en détail, et les députés ont donné leur avis», selon le communiqué. «La voie préalablement convenue, menée par le chef du bloc, et basée sur une entente avec l’opposition sur un candidat, a été confirmée», ajoute le courant aouniste.
L’annonce du candidat «se fera plus tard, quand les discussions sur le programme, les modalités d’élection et la garantie d’un large appui parlementaire auront été complétées», précise le bloc. Il souligne que «l'élection d’un président et sa réussite nécessitent un consensus et non un défi lancé par les uns aux autres».
L’opposition
Le communiqué de Mirna Chalouhi était très attendu par les différentes parties politiques. Alors que les blocs du 8 Mars, notamment le Hezbollah et le mouvement Amal, souhaitaient que Gebran Bassil rebrousse chemin, les partis souverainistes espéraient qu’il confirmerait sa décision de suivre la voie de la coordination.
Sa présence au Parlement mardi, au sein de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, a d’ailleurs surpris plus d’un député, car le chef du CPL assiste rarement aux réunions des commissions. Interrogés en journée par Ici Beyrouth, plusieurs députés, de tous bords, étaient encore dans l’expectative, dans l’attente des résultats de la réunion du bloc aouniste. Il est vrai que les députés souverainistes avaient de quoi être sceptiques, les précédentes expériences avec Gebran Bassil ayant rarement été rassurantes.
Le seul député qui a cru dur comme fer, avant les autres et sans répit, à cette coordination, est Fadi Karam (Forces libanaises), principal artisan de ce rapprochement entre les FL et la formation aouniste, notamment à travers ses rencontres avec son collègue de Koura, Georges Atallah (CPL).
Dans une déclaration à Ici Beyrouth mardi soir, M. Karam a indiqué que la position exprimée dans le communiqué était prévue. Il s’est félicité de «la confirmation par le CPL de la coordination avec l’opposition, et de l’attente de l’annonce du candidat après concertation sur les modalités avec les différentes parties».
Quoi qu’il en soit, des sources de l’opposition soulignent qu’il est important que ce «recoupement» se fasse sur de bonnes bases et soit protégé. Elles relèvent que cette coordination «bloque la candidature» du chef des Marada, Sleiman Frangié, soutenu par le Hezbollah et le mouvement Amal. Après avoir essayé de réaliser cela en ralliant 65 députés de l’opposition autour de la candidature de Michel Moawad, et n’avoir pas réussi à cause d’une quinzaine de députés qui n’ont voulu prendre aucune position claire, les partis souverainistes ont emprunté une autre voie, celle de l’entente avec le CPL sur une personnalité qui représente l’État, seule solution pour «échapper au choix imposé: vacance présidentielle ou hégémonie du Hezbollah».
L’opposition «mènera sérieusement» la bataille de Jihad Azour, selon ces sources.
Le CPL
Côté aouniste, si la présence du président Michel Aoun a contribué à maintenir une ambiance calme durant la réunion du bloc, il n’en reste pas moins que certains de ses membres auraient préféré soutenir la candidature d’un député CPL, comme Ibrahim Kanaan, plutôt que celle de Jihad Azour.
Selon des sources proches du bloc, certains députés n’ont pas caché leur désaccord avec la voie suivie et le «recoupement» avec l’opposition. De l’avis de ces députés, aucune décision finale n’a encore été prise: «Le processus est encore long, attendons de voir la suite, le programme et les modalités.»
Et maintenant?
Cette entente change l’équation au Parlement. Le président de la Chambre, Nabih Berry, qui avait souligné la nécessité de tenir une séance électorale au plus tôt, va-t-il convoquer les députés à une telle réunion, même si les voix en faveur du candidat du 8 Mars ne sont pas assurées? Lui qui avait dénoncé l’incapacité des blocs chrétiens à s’entendre sur un candidat, les appellera-t-il au vote, maintenant qu’ils ont réussi à s’entendre?
Quoi qu’il en soit, il convient de noter que la candidature de Jihad Azour bénéficie donc actuellement de l’appui des principaux partis chrétiens, notamment les Forces libanaises, les Kataëb et le CPL, mais également d’un bloc multiconfessionnel, le Renouveau (Michel Moawad, Adib Abdel Massih, Achraf Rifi et Fouad Makhzoumi). Jihad Azour pourrait compter sur l’appui du Parti socialiste progressiste et d’au moins trois députés du Changement: Mark Daou, Waddah Sadek et Michel Doueihy, auxquels d’autres pourraient se joindre, ainsi que sur des indépendants, comme Bilal Hchaimi.
Où mènera l’entente CPL-opposition? Les prochaines semaines répondront à cette question. Mais, une chose est sûre: l’échéance électorale a pris une nouvelle direction. Pourvu que ce soit celle qui aide le Liban à sortir de l’impasse.
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