Un des problèmes, apparemment insolubles, de la situation au Liban est que les protagonistes ne combattent pas avec les mêmes armes. En politique, d’un côté une faction libérale, démocrate mais non armée, face à une faction totalitaire et armée, de l’autre. Une position politique contre une milice. Le combat est vicié à la base.
En judiciaire, c’est un peu pareil, des légalistes convaincus de l’État de droit face à des magistrats manipulés ou aux méthodes coercitives contre les magistrats intègres. Terminée la confrontation saine basée sur les jurisprudences et les arguments. Les victimes du 4 août, entre autres, en font les frais.
L’insolubilité du problème provient du fait que si la première partie décide que la seule issue est de changer de tactique et combattre à armes égales, celles portées par l’autre partie, elle perdrait son âme, sa raison d’être, son idéologie, et embrasserait l’idéologie de l’autre contre laquelle elle a toujours combattu.
Cette situation inextricable est un classique dans l’Histoire mondiale. Surtout au XXᵉ siècle avec les violences coercitives fascistes ou staliniennes. Des tendances contre lesquelles les démocrates libéraux, pacifistes par nature, ne pouvaient rien faire s’ils ne voulaient pas abandonner leurs principes, se contentant alors d’émettre des idées, et accessoirement aller en prison, au goulag, ou à la morgue. En attendant un retournement de l’Histoire, là où ils ont survécu et finalement triomphé (comme le décrit un livre récent du politologue Joshua Cherniss).
Si on transpose ce paradoxe dans la sphère économique, le même phénomène se répète. Simple exemple, anecdotique: la séquence des banques et leurs braqueurs. Oublions un instant la controverse sur les responsabilités de l’effondrement financier – chacune des parties défendant sa propre interprétation. Il n’empêche que les banques ne peuvent lutter contre ces braqueurs. Elles n’en ont ni la vocation, ni les outils, ni la culture, à moins de fournir des armes létales à leurs agents de sécurité ou de recruter Wagner!
Et, l’arbitrage, qui devait être assuré dans de tels cas par une autorité supérieure, ne viendra pas. Le ministre de l’Intérieur, une des éminences grises du pouvoir, ayant déclaré que ce n’est pas à lui de protéger les banques. De même, le judiciaire échoue lamentablement à faire la part des choses. Résultat: on a une confrontation à armes inégales, provoquant le retrait d’une des parties sous forme de fermeture des agences bancaires.
Autre cas bancaire qui peut se manifester même en dehors de toute crise financière: c’est le système bancaire légal contre un certain al-Qard-al-Hassan. D’un côté, des dizaines de réglementations et de normes, et de l’autre un électron libre échappant à toute obligation. Si ce comptoir chiite difforme décide de s’étendre partout, en propre ou en proxy, alors que personne ne semble intéressé à l’en empêcher, les banques légales, même en situation normale, auront du mal à lutter contre cette propagation, n’ayant pas les mêmes armes.
Autre exemple: l’économie formelle, libérale, légale, contre l’économie informelle, souterraine. La blanche contre la noire. Commerce et industrie légaux, taxés, contrôlés, contre une contrebande ou des entreprises non déclarées et jouissant des appuis nécessaires à leur développement. Esprit d’entreprise et d’innovation, source historique de croissance au Liban, contre un business mafieux. Deux mondes économiques se confrontant avec des armes inégales.
L’issue semble incertaine. Soit les légalistes devront abandonner leur souci de l’éthique dans les affaires, soit, à terme, ils sortent du marché, éloignant du même coup tout investisseur étranger sérieux. Et beaucoup sont effectivement partis, du moins partiellement, chercher fortune ailleurs, remplacés forcément par une nouvelle génération d’investisseurs escrocs, et de pratiques louches.
Si cette tendance se perpétue, une sélection naturelle à la Darwin fera graduellement son chemin, et transformera en profondeur la face économique du pays. Et c’est ce qui est probablement demandé.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
En judiciaire, c’est un peu pareil, des légalistes convaincus de l’État de droit face à des magistrats manipulés ou aux méthodes coercitives contre les magistrats intègres. Terminée la confrontation saine basée sur les jurisprudences et les arguments. Les victimes du 4 août, entre autres, en font les frais.
L’insolubilité du problème provient du fait que si la première partie décide que la seule issue est de changer de tactique et combattre à armes égales, celles portées par l’autre partie, elle perdrait son âme, sa raison d’être, son idéologie, et embrasserait l’idéologie de l’autre contre laquelle elle a toujours combattu.
Cette situation inextricable est un classique dans l’Histoire mondiale. Surtout au XXᵉ siècle avec les violences coercitives fascistes ou staliniennes. Des tendances contre lesquelles les démocrates libéraux, pacifistes par nature, ne pouvaient rien faire s’ils ne voulaient pas abandonner leurs principes, se contentant alors d’émettre des idées, et accessoirement aller en prison, au goulag, ou à la morgue. En attendant un retournement de l’Histoire, là où ils ont survécu et finalement triomphé (comme le décrit un livre récent du politologue Joshua Cherniss).
Si on transpose ce paradoxe dans la sphère économique, le même phénomène se répète. Simple exemple, anecdotique: la séquence des banques et leurs braqueurs. Oublions un instant la controverse sur les responsabilités de l’effondrement financier – chacune des parties défendant sa propre interprétation. Il n’empêche que les banques ne peuvent lutter contre ces braqueurs. Elles n’en ont ni la vocation, ni les outils, ni la culture, à moins de fournir des armes létales à leurs agents de sécurité ou de recruter Wagner!
Et, l’arbitrage, qui devait être assuré dans de tels cas par une autorité supérieure, ne viendra pas. Le ministre de l’Intérieur, une des éminences grises du pouvoir, ayant déclaré que ce n’est pas à lui de protéger les banques. De même, le judiciaire échoue lamentablement à faire la part des choses. Résultat: on a une confrontation à armes inégales, provoquant le retrait d’une des parties sous forme de fermeture des agences bancaires.
Autre cas bancaire qui peut se manifester même en dehors de toute crise financière: c’est le système bancaire légal contre un certain al-Qard-al-Hassan. D’un côté, des dizaines de réglementations et de normes, et de l’autre un électron libre échappant à toute obligation. Si ce comptoir chiite difforme décide de s’étendre partout, en propre ou en proxy, alors que personne ne semble intéressé à l’en empêcher, les banques légales, même en situation normale, auront du mal à lutter contre cette propagation, n’ayant pas les mêmes armes.
Autre exemple: l’économie formelle, libérale, légale, contre l’économie informelle, souterraine. La blanche contre la noire. Commerce et industrie légaux, taxés, contrôlés, contre une contrebande ou des entreprises non déclarées et jouissant des appuis nécessaires à leur développement. Esprit d’entreprise et d’innovation, source historique de croissance au Liban, contre un business mafieux. Deux mondes économiques se confrontant avec des armes inégales.
L’issue semble incertaine. Soit les légalistes devront abandonner leur souci de l’éthique dans les affaires, soit, à terme, ils sortent du marché, éloignant du même coup tout investisseur étranger sérieux. Et beaucoup sont effectivement partis, du moins partiellement, chercher fortune ailleurs, remplacés forcément par une nouvelle génération d’investisseurs escrocs, et de pratiques louches.
Si cette tendance se perpétue, une sélection naturelle à la Darwin fera graduellement son chemin, et transformera en profondeur la face économique du pays. Et c’est ce qui est probablement demandé.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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