Investir au Liban! Sérieusement?
Qui aurait le cran d’investir aujourd’hui au Liban? Qui oserait au milieu de ce brouillard, dans un pays qui, dit-on, va à la dérive, sans pilote ni gouvernail, avec en plus des pirates de haute mer à la commande? Eh bien, vous serez étonnés, mais il y en a. Et, bizarrement, parfois ça marche. 

On a donc voulu scruter de près le résultat de l'expérience de ces acteurs au cours des trois dernières années de crise. Puis dresser une liste, non-exhaustive bien sûr, de ce qui a le plus fonctionné, et qui pourrait continuer à être rentable... ou le devenir.

1  L’industrie

Celle anciennement bien établie, et qui a su s’adapter, ou la toute nouvelle, celle qui a profité du renchérissement des produits importés pour offrir des alternatives de remplacement. Et, ceci risque de durer. Avec simplement deux conseils: viser l’exportation, au moins en partie. Ou, mieux encore, installer une unité annexe extérieure pour répartir les risques, vu l’instabilité légendaire du pays en termes de sécurité, de législation ou de blocage politique ou administratif.

Puis munissez-vous de suffisamment de cash, car il n’y a plus de facilités bancaires, sauf si Cedar Oxygen vous tend la main. Ensuite, pensez à concevoir en priorité la composante énergie de votre projet (énergie solaire, générateurs…), et ne croyez jamais ce que les autorités vous racontent à ce propos.

2  Le tourisme

Non, les hôtels ne fonctionnent pas très bien, malgré les radotages ânonnés par le ministre, car leur clientèle (libanaise, irakienne, jordanienne…) ne génère pas suffisamment de revenus sur une durée annuelle. En attendant donc de nouveau les Golfiotes, le secteur reste à haut risque.

Par contre, les restaurants vont mieux, merci. Mais ne vous laissez pas embrouiller par cet adage populaire: «Mais où est la crise, les restaurants sont pleins à craquer…». Le secteur survit mieux, il est vrai, après deux ans d’hibernation, mais reste risqué, car il est le premier à réagir négativement à toute mauvaise nouvelle. Il faut prévoir au maximum trois ans pour le retour sur investissement.

3 L’immobilier

Si vous avez beaucoup de cash, achetez un appartement ou un terrain. Les prix sont de 30 à 60% moins chers qu’en 2018. Ne vous attendez pas à une réduction supplémentaire des prix. C’est improbable. Mais, pourquoi serait-ce une bonne affaire maintenant? Parce qu’un appartement offert à 1.000 dollars le mètre carré à Hazmieh, ou 2.000 dollars à Achrafieh est inférieur au coût de revient si l’on devait construire le même logement maintenant.

Selon la même logique, si vous êtes propriétaire, ne vous hâtez pas de vendre, à moins que vous ayez un besoin urgent de cash. En revanche, ne vous hasardez pas à entamer un nouveau projet immobilier. Avec la disparition des crédits bancaires, les acheteurs capables de casquer de grosses sommes sont rares et le resteront pour longtemps. En plus, vous ne pourrez pas compter sur un financement anticipé, personne n’achète plus un appartement sur plan ou inachevé.


Alternativement, si vous n’avez pas de quoi acheter un bien immobilier, c’est toujours bon d’acquérir des actions Solidere avec vos lollars. Même si ce constructeur du centre-ville est maintenant en période d’hibernation, il reste détenteur de millions de mètres carrés constructibles. En plus, il a une filiale internationale qui peut rapporter de l’argent frais.

4 Les nouvelles technologies

C'est l'un des domaines qui ont connu et connaîtront une embellie. La main d’œuvre libanaise reste abordable en termes de coût, et son savoir-faire est reconnu. En plus, c’est un secteur exportateur par excellence. Un problème subsiste quand même: il faut s’assurer une infrastructure solide à toute épreuve, dont plusieurs sources d’énergie et d’Internet haut débit, car Ogero agonise. Autre problème potentiel: la pénurie de main d’œuvre. Le vent de l’émigration souffle toujours aussi fort.

5 Le poker de la dette

Enfin, voilà un pari de casino, les eurobonds, ces instruments de dette qui flottent dans les limbes depuis que l’État a déclaré le défaut en mars 2020. Leur prix actuel sur le marché vaut à peine 6% de leur valeur nominale, c’est le ratio le plus faible au monde. Autrement dit, vous pouvez acquérir un coupon d'un million de dollars à juste 60.000 dollars.

Il est vrai que personne au pouvoir ne s’est intéressé depuis trois ans à négocier avec les détenteurs de ces eurobonds sur une réduction des montants dus, autrement dit le pourcentage du haircut. Mais ceci devrait arriver à un moment ou un autre. Il est pratiquement impossible d’y échapper. Pour la petite histoire, l’emprunt tsariste russe de 1916, que les communistes n’ont pas reconnu, continue jusqu’à maintenant de provoquer des contentieux, des accords et des compensations aux détenteurs français et anglais.

Pour donner une idée de ce que l’on pourrait gagner avec les eurobonds, la moyenne mondiale du ratio de haircut sur les dettes d’État (à des créanciers privés) au cours des 30 dernières années, après un défaut, a évolué entre 30 et 35%. Le haircut le plus élevé a été celui de l’Argentine en 2005, avec une moyenne (sur l’ensemble des bons) de 74%. Cela veut dire que même si on applique ce cas extrême au Liban, le montant investi maintenant sera multiplié par quatre.

Mais, personne ne sait quand ceci aura lieu. On peut attendre de longues années. Il faut remarquer cependant ici que la taille du haircut est un prédicteur des conditions de financement sur les marchés internationaux dans les années qui suivront la restructuration. Plus le haircut est élevé, plus le coût de financement futur de l’État tend à augmenter.

Un pouvoir sensé n’est donc pas supposé demander un haircut trop important. Mais, on en est loin. D’un pouvoir sensé, cela s’entend.

nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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