Un nouveau document (Put Tax Policy Back on Track), publié tout récemment par le FMI, propose des recommandations sur ce qu’il faut faire au niveau de notre fiscalité. Une tentative qui montre encore une fois combien ces économistes de Washington sont détachés de la réalité. «Scandaleux commentaire! pourrait-on entendre. Comment osez-vous critiquer le summum de l’économie mondiale, l’équivalent de Dieu le Père en la matière.»
En réalité, le FMI ne manque certainement pas de compétences, mais de connaissance profonde de la réalité libanaise, et surtout de courage. On comprend mieux cette polémique lorsqu’on sait que cette initiative a été lancée suite à la demande du vice-Premier ministre Saadé Chami, lui-même détaché de la réalité, comme le montre son positionnement par rapport à la crise financière du pays, et lui-même manquant de courage politique.
L’objectif déclaré de ce document est d’augmenter sensiblement les impôts perçus, tout en les ajustant pour les rendre plus équitables. Certaines de ses recommandations sont, théoriquement, valables, d’autres discutables.
Il y en a pour tous les goûts: cesser de jongler avec les taux de change et adopter en matière de fiscalité le taux du marché, ou au pire Sayrafa; actualiser les droits fiscaux qui ont une valeur fixe, au vu de l’inflation; réduire les exemptions fiscales; taxer les logements vacants et les transactions immobilières à leur juste valeur; unifier et consolider les revenus imposables au lieu de soumettre chacun d’eux à un taux d’imposition différent et séparé; taxer les professionnels libéraux selon leurs revenus réels, au lieu du système forfaitaire; inclure les revenus des résidents réalisés à l’étranger dans le total du revenu imposable, etc.
Cette salve de missiles survient alors que la «pression fiscale» a été divisée presque par trois en valeur réelle depuis 2019, suite à la chute de la monnaie. L’idée est donc non seulement d’actualiser le système, mais aussi d’augmenter son rendement car le niveau d’imposition était déjà bas avant la crise, par comparaison avec des pays similaires.
Le concept est discutable, dans son ensemble et dans le détail. Mais là où ça coince vraiment, c’est l’idée de base disant que le Liban est un pays normal, ce qui est loin d’être le cas. Voyons donc à quoi ressemble le schéma fiscal réel du pays:
– D’abord, le fait que l’État perçoit peu d’impôts, selon le document, ne veut pas dire que les contribuables ne paient pas assez. Car ceux-ci versent des pots-de-vin en plus des impôts officiels, des montants non comptabilisés par le FMI. Une charge à laquelle on ajoute le coût financier des ressources humaines qui perdent un temps fou à finaliser une formalité. Donc la «pression fiscale» est beaucoup plus forte en termes réels que ce que le document calcule en se basant sur ce que le Trésor perçoit.
– Les gens paient extrêmement cher le prix de tout service étatique. Par exemple, un citoyen lambda paie, non pas deux, mais six factures électriques: le courant étatique, le courant fourni par les générateurs privés, les sources d’énergie annexes (solaire, batteries d’appoint…), les salaires des fonctionnaires en surplus à EDL, les intérêts des avances du Trésor fournies chaque année à l’établissement, les intérêts des dettes qui ont servi à construire l’infrastructure électrique, et qui ne sert plus à rien.
– Quoi qu’on fasse, il y a une frange de la population qui ne paie rien ou presque à l’État, et on n’y peut rien contre eux. Le FMI et les autres organismes internationaux se comportent comme si le Hezbollah n’existait pas, comme si l’économie parallèle est marginale, ou comme si on pouvait réduire l’évasion fiscale par une simple mesure de «numéro fiscal unique informatisé», comme il est proposé. Non, ces hors-le-système (variation lexicale de «hors-la-loi») font la loi.
– Le FMI ne semble pas s’intéresser, en réétudiant la fiscalité, à la manière dont les investissements peuvent être encouragés, ou la croissance dopée. Alors qu’on est arrivé au plus profond de l’abîme côté investissement, où les oiseaux migrateurs, entreprises et ressources humaines, sillonnent déjà les cieux plus cléments de Chypre ou de Dubaï.
– Le FMI semble ignorer que les impôts perçus, quel que soit leur montant, seront engloutis par les corrompus dans la sphère politico-administrative, ou par des recrutements à la pelle.
– Enfin, le FMI se comporte comme si l’État existait vraiment. Car, à supposer que ces recettes fiscales augmentaient comme souhaité par le FMI, comment pourrait-on les gérer, alors que l’administration est manifestement incompétente.
Que peut-on espérer d’une administration qui, simple exemple, reçoit en cadeau 50 bus, met sept mois pour aménager le service de transport, n’arrive en fin de compte qu’à faire fonctionner dix bus… pour les arrêter trois semaines plus tard. Ce projet de transport en commun, comparable à celui de Trifouillis-les-Oies (un bled dans le département Rhône-et-Garonne), était apparemment une tâche trop titanesque pour notre administration.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
En réalité, le FMI ne manque certainement pas de compétences, mais de connaissance profonde de la réalité libanaise, et surtout de courage. On comprend mieux cette polémique lorsqu’on sait que cette initiative a été lancée suite à la demande du vice-Premier ministre Saadé Chami, lui-même détaché de la réalité, comme le montre son positionnement par rapport à la crise financière du pays, et lui-même manquant de courage politique.
L’objectif déclaré de ce document est d’augmenter sensiblement les impôts perçus, tout en les ajustant pour les rendre plus équitables. Certaines de ses recommandations sont, théoriquement, valables, d’autres discutables.
Il y en a pour tous les goûts: cesser de jongler avec les taux de change et adopter en matière de fiscalité le taux du marché, ou au pire Sayrafa; actualiser les droits fiscaux qui ont une valeur fixe, au vu de l’inflation; réduire les exemptions fiscales; taxer les logements vacants et les transactions immobilières à leur juste valeur; unifier et consolider les revenus imposables au lieu de soumettre chacun d’eux à un taux d’imposition différent et séparé; taxer les professionnels libéraux selon leurs revenus réels, au lieu du système forfaitaire; inclure les revenus des résidents réalisés à l’étranger dans le total du revenu imposable, etc.
Cette salve de missiles survient alors que la «pression fiscale» a été divisée presque par trois en valeur réelle depuis 2019, suite à la chute de la monnaie. L’idée est donc non seulement d’actualiser le système, mais aussi d’augmenter son rendement car le niveau d’imposition était déjà bas avant la crise, par comparaison avec des pays similaires.
Le concept est discutable, dans son ensemble et dans le détail. Mais là où ça coince vraiment, c’est l’idée de base disant que le Liban est un pays normal, ce qui est loin d’être le cas. Voyons donc à quoi ressemble le schéma fiscal réel du pays:
– D’abord, le fait que l’État perçoit peu d’impôts, selon le document, ne veut pas dire que les contribuables ne paient pas assez. Car ceux-ci versent des pots-de-vin en plus des impôts officiels, des montants non comptabilisés par le FMI. Une charge à laquelle on ajoute le coût financier des ressources humaines qui perdent un temps fou à finaliser une formalité. Donc la «pression fiscale» est beaucoup plus forte en termes réels que ce que le document calcule en se basant sur ce que le Trésor perçoit.
– Les gens paient extrêmement cher le prix de tout service étatique. Par exemple, un citoyen lambda paie, non pas deux, mais six factures électriques: le courant étatique, le courant fourni par les générateurs privés, les sources d’énergie annexes (solaire, batteries d’appoint…), les salaires des fonctionnaires en surplus à EDL, les intérêts des avances du Trésor fournies chaque année à l’établissement, les intérêts des dettes qui ont servi à construire l’infrastructure électrique, et qui ne sert plus à rien.
– Quoi qu’on fasse, il y a une frange de la population qui ne paie rien ou presque à l’État, et on n’y peut rien contre eux. Le FMI et les autres organismes internationaux se comportent comme si le Hezbollah n’existait pas, comme si l’économie parallèle est marginale, ou comme si on pouvait réduire l’évasion fiscale par une simple mesure de «numéro fiscal unique informatisé», comme il est proposé. Non, ces hors-le-système (variation lexicale de «hors-la-loi») font la loi.
– Le FMI ne semble pas s’intéresser, en réétudiant la fiscalité, à la manière dont les investissements peuvent être encouragés, ou la croissance dopée. Alors qu’on est arrivé au plus profond de l’abîme côté investissement, où les oiseaux migrateurs, entreprises et ressources humaines, sillonnent déjà les cieux plus cléments de Chypre ou de Dubaï.
– Le FMI semble ignorer que les impôts perçus, quel que soit leur montant, seront engloutis par les corrompus dans la sphère politico-administrative, ou par des recrutements à la pelle.
– Enfin, le FMI se comporte comme si l’État existait vraiment. Car, à supposer que ces recettes fiscales augmentaient comme souhaité par le FMI, comment pourrait-on les gérer, alors que l’administration est manifestement incompétente.
Que peut-on espérer d’une administration qui, simple exemple, reçoit en cadeau 50 bus, met sept mois pour aménager le service de transport, n’arrive en fin de compte qu’à faire fonctionner dix bus… pour les arrêter trois semaines plus tard. Ce projet de transport en commun, comparable à celui de Trifouillis-les-Oies (un bled dans le département Rhône-et-Garonne), était apparemment une tâche trop titanesque pour notre administration.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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