Au théâtre « 13 à table » pour une explosion de fous rires
La compagnie Free-Vol revient sur scène pour présenter 13 à table, la savoureuse comédie de Marc-Gilbert Sauvageon mise en scène par Valérie Debahy, à l’amphithéâtre Samir J. Abilama de l’Académie libanaise des beaux-arts jusqu’au 9 décembre 2022.

Après trois ans de silence dus à la pandémie, la troupe de comédiens bénévoles et passionnés Free-Vol vient apporter joie de vivre et éclats de rire en cette période sombre où le rire est la meilleure thérapie et la résistance culturelle et artistique une question de survie. Une panoplie d’acteurs se déchaîne sur scène sur fond de décor moderne, dans une pièce mythique revisitée et mise au goût du jour et de l’époque Covid-19, nous emportant dans un tourbillon de plaisir.

Tout commence quand la maîtresse de maison, Madeleine Villardier (Valérie Debahy) réalise qu’elle a invité, sans s’en apercevoir, 13 personnes pour le réveillon de Noël. Ne pas être 13 à table se transforme alors en obsession superstitieuse – élément central et perturbateur venant dérégler la mécanique bien huilée d’un simple dîner de réveillon. Madeleine use ainsi de tous les stratagèmes pour repousser le chiffre funeste, objet de toutes ses angoisses: faire sortir son mari Antoine (Étienne Kupéluian) en pyjama pour inviter un voisin; réajuster le nombre de convives en conviant Amélie Salamet (Patricia Baddour), remise à peine d’une peine de cœur; accepter l’intrusion d’une certaine Dolorès (Maryline Jallad) qui dissimule dans son sac revolver et bombe à retardement pour se venger d’Antoine, son ancien amour qui l’a quittée; décommander des invités; entonner qu’il n’y aura pas de réveillon sans le copain Dupaillon (Élie Nabaa) et se réjouir ensuite de l’accident qui empêche ce dernier d’arriver; se désoler du désistement de l’un des invités, le docteur Peloursat (Antoine Char), qui doit accoucher une patiente, déclenchant la remarque acerbe de Madeleine: «Pour qui se prend-elle? pour la Sainte Vierge?»

Pendant que la maîtresse de maison prise à son propre piège rentre dans le cycle infernal de la fatalité du 13, le sort, lui, s’acharne à déjouer toutes ses ruses puisque le compteur qui s’affole un moment revient toujours au point mort, le chiffre 13 qui s’affiche et devient ainsi l’acteur principal de la pièce, prenant un malin plaisir à tirer les ficelles de la comédie et du drame. Madeleine, victime de son propre engrenage, à la fois complice et victime de ses angoisses, est prête dans son délire à pousser quelqu’un dans l’escalier, inviter le plombier, ou se disputer avec sa meilleure amie, Véronique (Cynthia Odsi), afin de repousser l’ombre du chiffre funeste.

La menace d’un malheur plane comme une bombe à retardement concrétisée par le tic-tac du mécanisme caché dans le sac de Dolorès. La machine finit par s’emballer, déclenchant une série d’incidents confirmant les appréhensions de Madeleine. Les invités s’enivrent à l’étage en dessous, organisent une partie de saute-mouton, le docteur Peloursat se retrouve au-dessus de l’armoire, accusé par la gouvernante Eugénie (Rima Hadjithomas).

Toutes les supercheries des couples prétendument modèles se dévoilent. La copine Véronique croit laisser son mari malade à la maison et s’aperçoit qu’il la trompe... La Maison Prunier qui livre des huîtres ne fait que dissimuler la relation adultère de Madeleine avec un amant de fortune. Dolorès dévoile à Madeleine le passé révolutionnaire de son mari Antoine, de son vrai nom Antonio El Caballéro, mais découvre qu’il n’est qu’un faux héros... Une pièce à rebondissements multiples, aux répliques tordantes, aux retournements de situation à donner le vertige, où s’enchaînent les incidents les plus cocasses et fuse la drôlerie des réparties. Des clins d’œil incessants prennent le spectateur à témoin des drames secrets qui se jouent et se déjouent sur scène à l’insu même des protagonistes.


La comédie prend le dessus sur le drame qui n’est jamais pris au sérieux, déjoué constamment par l’intelligence de l’humour et la finesse des traits d’esprit. La sentence de la condamnation à mort d’Antoine à «l’unanimité plus une voix» devient elle-même objet de dérision, considérée exotique et applaudie par Madeleine.

Bien plus qu’une satire sociale ou un simple vaudeville, cette pièce est un rappel ô combien nécessaire que le rire peut constamment conjurer le mauvais sort, remplacer l’abattement par la joie de vivre. Servi par des acteurs exceptionnels et des personnages exquis, le jeu s’enchaîne à un rythme endiablé, entraîne le public dans une mise en scène hilarante, le maintient en haleine, bien accroché à une course trépidante conduite par le chiffre 13 qui finit par exploser en éclats de rire en guise de fermeture de rideau.

Laissez-vous inviter à cette table des réjouissances, pour un avant-goût des réveillons de Noël et du Nouvel An – un vrai moment de bonheur et d’apesanteur.

PS: Toutes les recettes de la pièce sont reversées à des ONG et associations libanaises.

Jocelyne Ghannagé
joganne.com
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