Ah ! Quel malheur d’avoir un gendre
©Le président Grévy et le président Aoun : à chacun son gendre.
Quand un chef politique est affligé d’un gendre « dégourdi », il va nécessairement au-devant des ennuis. Jules Grévy démissionna en 1887 pour faits d’escroquerie commis par Daniel Wilson, plus connu comme Monsieur gendre. Mussolini ne fut pas très tendre avec son beau-fils Ciano, l’ayant fait exécuter pour haute-trahison. Ne rappelons pas le sort que Saddam Hussein réserva aux époux de ses deux filles ! Est-ce à dire que bientôt nous verrons la chute de l’usurpateur des « revendications chrétiennes » ?

« Ah ! Quel malheur d’avoir un gendre (…)
Avec lui, j’en ai vu des grises
Fallait qu’j’emploie à chaque instant
Mon nom, mon crédit, mon argent
À réparer toutes ses sottises »

Nous sommes à Paris en 1887. Ce n’est donc pas le général Aoun qui s’exprime par la bouche du chansonnier Émile Carré, mais il aurait pu. La République de Taëf, qui démarra avec le président Élias Hraoui, pourrait tout aussi bien être dénommée la « République des gendres ». Nulle dérision, la papauté, à l’époque glorieuse de la Renaissance, a bien vécu de népotisme et de bouillonnement artistique. Et qui viendrait s’en plaindre, s’il vous plaît, au vu de tant de chefs-d’œuvre qui ravissent l’âme et les yeux !

Mais nous sommes au Liban où la France est prise comme modèle, jusque dans ses travers. Or l’histoire de l’Hexagone n’en est pas à une affaire croustillante près : il y eut celle des ferrets, celle des poisons, celle du collier de la reine, etc. Autant de scandales pour alimenter les réserves de frivolité des salons parisiens. Mais dans le récit bleu-blanc-rouge, il y eut un scandale où les décorations et le beau-fils furent si étroitement imbriqués qu’on se serait légitimement cru sous la Deuxième République libanaise. Ce fut ladite « affaire des décorations » qui nous confirma que plus une personne est proche des cercles du pouvoir, plus elle est tentée de se livrer au trafic des « insignes distinctifs ».

Daniel Wilson, monsieur Gendre

En 1887, Jules Grévy, est président de la République. Son gendre Daniel Wilson, député, installé à l’Élysée, se livre à un marché fructueux : il fait accorder par son beau-père les décorations à qui veut le rétribuer. Ce cas de figure a pu « illustrer les ambivalences de la fonction politique… dans ses rapports à la probité publique » (1). La presse s’étant saisie du scandale, le président Grévy démissionna. C’était périlleux d’avoir pour membre de sa famille un « maniaque de la prévarication », comme le surnomma Edmond de Goncourt. On a longtemps cru que le rigoureux président de la République était innocent des machinations de l’écornifleur qu’était Daniel Wilson. Or les travaux récents ont souligné le climat de clientélisme et de compromission qu’entretenait le clan Grévy, un clan qui n’avait pas manqué d’amasser une fortune lors de son passage à l’Élysée (2).

Cela dit, n’allez surtout pas y voir une insinuation malveillante ni une similarité accablante. Car même si le clan Aoun a pris demeure à Baabda, il n’y a pas lieu d’extrapoler.

 

Daniel Wilson ( barbu de gauche) et Gebran Bassil. Par qui le scandale arrive

Des bouts de ruban, in extremis et à tire-larigot


Poursuivons : le président sortant, le général Michel Aoun n’a pas voulu quitter ses fonctions sans distribuer des satisfecit aux loyaux serviteurs de la nation et aux siens. N’obéissant qu’à son cœur, il s’est mis à accorder in extremis des insignes de distinction à tire-larigot. De ces largesses, l’ambassadeur du régime syrien tira profit. Ce qui a amené maître Alexandre Najjar à marquer sa désapprobation sur les réseaux sociaux en se demandant comment on était tombé si bas.

Cher Alexandre Najjar, vous valez mieux que cette faune d’impétrants, alors restituez à qui de droit les « bouts de ruban » (3) qui vous furent accordés. Et je saisis l’occasion pour appeler, les Libanais libres et fiers, à rendre leurs wissam aux autorités, il en va de leur intégrité morale. Au point où en est la dignité de notre République, ils ne perdraient rien à s’en délester. Après tout, les décorations, c’est la libido des vieux, disait un humoriste libertaire (4). Et puis, à quoi peuvent-elles servir sinon à plastronner lors des cérémonies officielles ?

L’homme du discernement ne doit pas baisser la garde !

Quant à ceux qui tiennent les rênes du pouvoir, qu’ils gardent à l’esprit que « les honneurs déshonorent, que le titre dégrade et que la fonction abrutit. » (5)

 

 

  1. Pierre Lascoumes et Frédéric Audren, La Justice, le gendre et le scandale des décorations. Aux origines du trafic d’influence, paru dans B. Dumons, G. Pollet, La fabrique de l’honneur, les médailles et les décorations en France, XIX° - XX° siècles, PUR, 2009, p. 119-142

  2. Ibid

  3. L’expression est de Paul Claudel, Le soulier de satin

  4. Pierre Desproges

  5. Gustave Flaubert


 

Youssef Mouawad
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