Echmoun, quand il guérit 
Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots, récupérer notre territoire.

Nous vivons sur une terre surprenante. Les pierres de ce pays racontent toutes des histoires. Et souvent nous ne prenons pas le temps de les entendre. Et, pourtant. Si l’on se penchait, comme il aurait fallu le faire, sur nos chemins et nos villes, nos villages et nos forêts, nos fleuves et nos montagnes, il ne sera pas difficile de constater que le Liban mérite de figurer au panthéon des pays qui ont tant à dire et à montrer.

Oui, il y a eu des bâtisseurs. Ceux qui avaient conscience que ce pays, creuset de tant de choses, était un bon investissement humain. Oui, il y a eu des légendes. De celles que se chuchotent les arbres et les rivières, et qui donnent envie d’y croire tant elles sont belles. Oui, il y a eu de l’amour, exacerbé par la lumière et le reflet de la lune sur les collines et qui finalement devient le tenant et l’aboutissement des histoires.

Des histoires de dévotion et de passion comme celle d’Echmoun, dieu guérisseur phénicien souvent associé à Melkart et même par certains à Adonis. On l’identifie également à Asclépios-Esculape, le dieu gréco-romain de la médecine. C’est dire s’il était important ce jeune dieu qui avait commencé par être un beau jeune homme originaire, dit-on de Beyrouth ou de Bchémoun, Beit Chmoun, et sur lequel avait jeté son dévolu la déesse Astarté. Mais, le jeune chasseur ne voulait pas de cette union et préféra se mutiler et se donner la mort. Notre déesse de la chasse et de la guerre, mais aussi de l’amour lui redonna vie et surtout essence divine. C’est à Sidon qu’on célébra le plus vigoureusement son culte et c’est à Sidon que l’on construisit son temple.

Sur les rives du fleuve al-Awali, ce dieu guérisseur, représenté le plus souvent avec deux serpents enroulés autour d’un bâton, aura donc sa maison, son temple, un lieu d’offrandes et de recueillement, édifié autour du VIIᵉ siècle avant J.-C. par Echmounazar II, fils de Tabnit, roi de Sidon (dont le sarcophage est au musée du Louvre). Si l’on en croit les découvertes faites autour de ce temple, Echmoun était surtout connu pour son aptitude à guérir les enfants que l’on amenait se tremper dans les bassins spécialement aménagés et équipée d’un système sophistiqué de canalisations et dont les eaux avaient des vertus miraculeuses. La source d’où provenait cette eau sacrée s’appelait Aïn Ydlel et le lieu Boustan el-Cheikh.

Se plonger dans les rites, les croyances, l’ouverture et l’avant-gardisme de la civilisation phénicienne est passionnant. Ces conquérants du monde, mais aussi du temps et des éléments, étaient également d’un grand romantisme. Tout en bâtissant, en innovant et en découvrant, il n’avait de cesse de célébrer la lune, le soleil et leurs divinités sans qui tout cela ne serait jamais arrivé. Et dans le complexe de Boustan el-Cheikh, des traces du temple d’Echmoun, de ces cuves remplies d’eau curative grâce à un système sophistiqué, mais aussi un autre temple dédié à Astarté, déesse très vénérée dans les villes phéniciennes. Ce temple est d’après les archéologues venu plus tard s’ajouter à l’ensemble.


Si au temps de Fakhreddine II, le site était utilisé comme carrière, la mise au jour des vestiges autour de l’année 1900 a vite passionné les archéologues. Les Français Georges Contenau et surtout Maurice Dunand ont ainsi fait d’importantes découvertes: de nombreuses statues, dons de ceux qui avaient été guéris après s’être trempés dans les eaux miraculeuses, des podiums monumentaux qui témoignent de la majesté du lieu, des trônes à la mesure de la dévotion des Sidoniens pour leurs divinités, des chapiteaux travaillés et d’une finesse inouïe, superpositions et ajouts qui témoignent du profond respect qu’avaient les civilisations d’hier pour ces temples qu’ils embellissaient, renforçaient et utilisaient pour demander protection et guérison.

Monument d’Echmoun à Saïda. ©DR

Aujourd’hui, évidemment à l’abandon et délaissé par les autorités qui ne voient pas l’intérêt des pierres, ce lieu de pèlerinage inscrit sur la liste indicative de l’Unesco du Patrimoine mondial de l’humanité et qui est un des plus beaux ensembles phéniciens survivants, vaut quand même le détour. En parcourant les allées où subsistent de nombreuses traces de la majesté du lieu, il faut avoir en tête les processions, les offrandes, les rituels et les chants, et se rappeler que les hommes avaient su rester humbles et offrir aux dieux qu’ils vénéraient alors les plus beaux des écrins. La disposition du temple et les pierres utilisées témoignent des acquis de l’architecture phénicienne que l’on retrouve également à Byblos. Les inscriptions phéniciennes, les fragments de colonnes et de chapiteaux, les restes de mosaïques dont certaines représentent les saisons et les fondations d’une église sont les témoins de l’époque phéniciennes, hellénistique, romaine et perse, et laissent à penser que le complexe est resté visité et amélioré de manière continue, au moins jusqu’à l’époque byzantine.

Temple d’Echmoun. ©photo C.N.T. Yetenegian

La visite du site doit être le prélude à une redécouverte des objets magnifiques qui sont bien à l’abri de notre très riche musée national. C’est là, et avec beaucoup d’émotion, qu’on regardera d’un nouvel œil les statuettes ex-voto en marbre d’une finesse attendrissante représentant des enfants guéris par Echmoun et offertes en offrande. Ces statuettes avaient été volées, mais ont pu être récupérées par le Musée. On verra aussi dans le hall une très belle tribune datant du IVᵉ siècle avant J.-C. provenant du temple d’Echmoun et présentant des scènes où des danseurs et musiciens de Sidon rendent hommage aux dieux. On ne manquera pas la base de chapiteau ornée de têtes de taureaux retrouvée sur les lieux et qui témoigne de l’incroyable finesse du travail perse. Et, une très belle copie du sarcophage d’Echmounazar et son inscription en langue phénicienne qui raconte qu’il a édifié un temple au dieu Echmoun.

L’eau coule encore sous le temple d’Echmoun. Comme si ce haut lieu de l’histoire et de l’archéologie n’en veut pas à ces années d’abandon et d’amnésie. Il sera là pour l’éternité et surtout pour perpétuer le mythe de la guérison et de la renaissance dans un pays qui en a tant besoin aujourd’hui.
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