Par-delà les postures politiques, le débat sur la reconnaissance internationale repose sur des critères juridiques précis. L’actualité a ravivé cette question lorsqu’Israël est devenu, fin décembre, le premier État à reconnaître formellement le Somaliland comme État souverain, déclenchant une vive réaction de la Somalie, de l’Union africaine et de plusieurs capitales.
Ce choix met en lumière un contraste foudroyant: celui entre un territoire qui fonctionne comme un État depuis plus de trente ans sans reconnaissance, et un autre largement reconnu, mais dépourvu des attributs fondamentaux de la souveraineté.
Un contexte diplomatique révélateur
La reconnaissance du Somaliland par Israël s’inscrit dans la logique des accords d’Abraham et dans une reconfiguration stratégique autour de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb. Le gouvernement israélien a justifié sa décision par la stabilité du territoire, son contrôle effectif et sa volonté de coopération régionale.
En face, Mogadiscio a dénoncé une atteinte à l’intégrité territoriale somalienne, soutenue par l’Union africaine et plusieurs États arabes. Ce bras de fer diplomatique contraste avec la dynamique inverse observée sur la Palestine, reconnue ces dernières années par plus de 150 États, dont plusieurs démocraties occidentales… malgré l’absence d’un État fonctionnel.
Les critères de Montevideo comme boussole juridique
En droit international, la référence demeure la Convention de Montevideo de 1933, qui définit quatre critères de l’État: une population permanente, un territoire défini, un gouvernement effectif et la capacité d’entrer en relations avec d’autres États.
Ces critères ne sont pas théoriques: ils visent à garantir qu’un État reconnu puisse exercer une souveraineté réelle et responsable. C’est à cette aune que la comparaison entre Somaliland et Palestine prend tout son sens.
Le Somaliland : un État de facto depuis 1991
Ancien protectorat britannique, le Somaliland a brièvement accédé à l’indépendance en 1960 avant de s’unir volontairement à la Somalie italienne. L’expérience a tourné au désastre: marginalisation politique, puis répression sanglante sous le régime de Siad Barre, qualifiée par de nombreux observateurs de génocide contre le clan majoritaire Isaaq. En 1991, à l’effondrement de l’État somalien, le Somaliland a rétabli son indépendance.
Depuis lors, il exerce un contrôle effectif sur un territoire délimité et sur une population d’environ six millions d’habitants. Il dispose de ses propres institutions : constitution adoptée par référendum, monnaie, forces de sécurité, administration fiscale et judiciaire.
Surtout, il a organisé des élections pluralistes régulières, avec des alternances pacifiques, fait rare dans la Corne de l’Afrique. Des organismes comme Freedom House le classent très au-dessus de la Somalie en matière de libertés politiques.
Malgré l’absence de reconnaissance internationale, le Somaliland entretient des relations extérieures pragmatiques : bureaux de représentation, accords commerciaux, investissements étrangers, notamment autour du port stratégique de Berbera.
La Palestine : une reconnaissance sans souveraineté effective
La situation palestinienne est inverse. Sur le plan symbolique et diplomatique, la Palestine bénéficie d’un large soutien international. Mais sur le terrain, elle ne satisfait pas aux critères essentiels de l’État. Le territoire revendiqué n’est ni défini ni consensuel : l’Autorité palestinienne évoque les lignes de 1967, tandis que le Hamas revendique l’ensemble d’Israël. Aucun accord de paix n’a fixé de frontières reconnues.
Le gouvernement, deuxième critère clé, est profondément divisé. Depuis 2007, la bande de Gaza est contrôlée par le Hamas, une organisation classée comme terroriste par de nombreux États, tandis que l’Autorité palestinienne administre partiellement la Cisjordanie. Aucune élection nationale n’a eu lieu depuis près de vingt ans. Cette fragmentation prive la Palestine d’un pouvoir central légitime et unifié, capable de gouverner et de représenter l’ensemble de la population.
Absence de contrôle et dépendance extérieure
La Palestine ne contrôle ni ses frontières, ni sa sécurité intérieure. En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne n’exerce qu’une autonomie limitée, encadrée par les accords d’Oslo, tandis que divers groupes armés opèrent en marge de son autorité.
À Gaza, le Hamas gouverne par la force, dépendant largement de soutiens extérieurs. Cette absence de monopole de la violence légitime et de contrôle territorial contredit directement les exigences de la souveraineté étatique.
Deux poids, deux mesures. Le Somaliland remplit depuis des décennies les critères matériels de l’État sans reconnaissance, tandis que la Palestine bénéficie d’une reconnaissance massive sans remplir ces critères. Cette asymétrie révèle une politisation croissante de la reconnaissance internationale, devenue parfois un acte symbolique plutôt qu’un constat juridique.
Une question de cohérence internationale
Reconnaître un État devrait consacrer une réalité : celle d’un pouvoir capable de gouverner un territoire et une population de manière stable. À cet égard, le Somaliland apparaît comme un État prêt à l’emploi, fonctionnel, mais ignoré, tandis que la Palestine reste un projet politique inachevé, miné par les divisions internes et l’absence de souveraineté effective. Il ne s’agit pas de nier le droit des Palestiniens à l’autodétermination, mais de souligner un décalage profond entre reconnaissance politique et critères juridiques.
En définitive, le cas du Somaliland pose une question embarrassante pour la diplomatie internationale: si l’État est défini par les faits plus que par les déclarations, pourquoi celui qui fonctionne est-il ignoré, tandis que celui qui ne fonctionne pas est consacré ? La réponse tient moins au droit qu’à la géopolitique. Et c’est précisément ce que ce débat met en lumière.


Commentaires