Après l’adoption de la Gap Law par le Conseil des ministres, la balle est désormais dans le camp du Parlement, appelé à la rejeter ou à la réviser, afin de rétablir une hiérarchie claire des responsabilités: faire porter en priorité le poids de la crise à l’État, adopter une approche équitable garantissant les droits des déposants, consacrer le principe de la reddition des comptes et empêcher l’anéantissement de ce qu’il reste du secteur bancaire libanais.
Après approbation par le Conseil des ministres du projet de Gap Law, le gouvernement semble avoir accordé une priorité pour le moins incompréhensible aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) et à la protection des actifs de la Banque du Liban, au détriment des droits des déposants, pourtant premières victimes de la crise financière. À ces derniers, qu’ils appartiennent à la classe moyenne ou qu’ils soient de grands déposants, il est aujourd’hui proposé ce que l’on appelle des «obligations négociables», assorties de conditions opaques, étalées sur des échéances très longues, et grevées d’un risque majeur de pertes substantielles sur leurs dépôts.
Depuis le début de la crise, les Libanais ont déjà perdu des milliards de dollars, et voilà qu’on leur propose une ‘sorte’ de compensation: en réalité, des obligations à la valeur incertaine, dont il est impossible de déterminer le prix réel. Malgré les assurances données par le Premier ministre, les déposants seront confrontés à des décotes significatives, concrètes et tangibles, ce qui donne l’impression que la nouvelle loi protège davantage l’État et la Banque du Liban qu’elle ne protège les dépôts des citoyens.
Le projet de Gap Law illustre la mainmise du FMI sur les orientations économiques et financières du Liban. En effet, l’institution internationale dicte ses conditions au Liban, transférant de facto les pertes de l’État et de la Banque du Liban sur les déposants. Selon les experts, cette approche n’est pas viable et pourrait précipiter l’effondrement total de l’ensemble du secteur bancaire. Ils rappellent par ailleurs que la dette publique, estimée à environ 16,5 milliards de dollars, ne sera pas remboursée, faisant peser la charge finale aux déposants qui seront contraints d’assumer les conséquences de politiques financières imposées de l’extérieur, au mépris de leurs droits et de leurs économies.
Les experts rappellent que l’effondrement au Liban est le résultat de décennies de mauvaise gouvernance de l’État et de la Banque du Liban, de politiques financières erronées et d’une utilisation abusive des ressources publiques. Un constat d’ailleurs reconnu par le Premier ministre Nawaf Salam: «Nous avons vécu six années de paralysie et de mauvaise gestion de la crise financière. C’est une grande part du problème; ce n’est pas la faute des banques mais bien celle de l’État.»
Or, le projet de Gap Law ne reconnaît pas équitablement les responsabilités; il adopte plutôt une logique punitive à l’égard des banques, tout en faisant payer, in fine, le coût réel aux déposants: ceux-ci subiront des décotes importantes sur leurs dépôts et supporteront le transfert direct, opaque et peu lisible des pertes de l’État et du secteur bancaire.
L’État a pourtant une obligation à la fois légale et morale de recapitaliser la Banque du Liban et de traiter les pertes résultant de ses politiques défaillantes. Il lui incombe de cesser de se plier aux injonctions du FMI et de mobiliser les ressources financières nécessaires pour honorer ses engagements légaux envers les déposants et les citoyens.
En dépit des discours officiels invoquant la restitution des droits, le projet de loi viole en fait les droits les plus élémentaires: il vide de leur substance la responsabilité et la reddition des comptes, réduites à de simples slogans sans aucune portée concrète. Le fardeau retombe une fois de plus sur les déposants, déjà amputés de milliards de dollars.
L’État et la Banque du Liban devraient, conformément aux cadres juridiques en vigueur, mobiliser les actifs publics afin de couvrir leurs engagements envers les déposants et de protéger les droits des citoyens ayant confié leurs économies au système bancaire. Or, le plan actuel fait fi de cette option et privilégie la protection des actifs de l’État et de la Banque du Liban au détriment des déposants, transformés en principales victimes des politiques en vigueur et réduisant leur droit au remboursement à de simples arguments rhétoriques.
Parvenir à une solution juste et équilibrée est une condition essentielle pour débloquer les dépôts, relancer le crédit aux ménages et aux entrepreneurs, et ouvrir la voie à une véritable reprise économique. Alors que le Premier ministre présente ce texte comme un processus de «récupération des droits», la réalité démontre qu’aucun redressement n’est possible sans un secteur bancaire sain, viable et crédible.
Dans sa formulation actuelle, le plan place les banques commerciales sur la voie d’une destruction méthodique et pousse davantage l’économie vers le cash et le chaos, aggravant la perte de confiance et infligeant au Liban des dommages supplémentaires au lieu de le sortir de sa crise profonde.
L’existence d’un secteur bancaire pérenne n’est pas un détail technique, mais une condition fondamentale pour relancer l’économie, créer des emplois et restaurer un minimum d’espoir chez les Libanais. Tandis que le Premier ministre affirme que cette loi conduira à une «stabilité sociale», la réalité est implacable: il ne peut y avoir de stabilité sans confiance, et aucune confiance ne peut subsister si les banques commerciales s’effondrent et si les déposants subissent des pertes massives.
Par conséquent, en vertu du Code de la monnaie et du crédit, il incombe à l’État de rétablir la confiance dans le système financier; non pas en faisant porter les pertes aux déposants, mais en assumant ses responsabilités et en corrigeant les dérives dont il a été l’un des principaux artisans.
Après l’adoption de la Gap Law par le Conseil des ministres, la balle est désormais dans le camp du Parlement, appelé à la rejeter ou à la réviser, afin de rétablir une hiérarchie claire des responsabilités : faire porter en priorité le poids de la crise à l’État, adopter une approche équitable garantissant les droits des déposants, consacrer le principe de la reddition des comptes et empêcher l’anéantissement de ce qu’il reste du secteur bancaire libanais. Il est également impératif de refuser que le Liban devienne un simple terrain d’expérimentation aveugle des injonctions du FMI, déconnectées de la réalité sociale et économique du pays.
Les Libanais ont déjà trop payé le prix de la crise. Celle-ci ne saurait être traitée en sacrifiant simultanément les banques et les déposants. Une action rapide et décisive de l’État et de la Banque du Liban est indispensable pour restaurer la confiance et la stabilité financière, avant qu’il ne soit définitivement trop tard.



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