Pourquoi El-Chareh a-t-il été invité à Washington, et non Joseph Aoun ?
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Ici Beyrouth partage avec vous l’article de Hussain Abdul-Hussain pour This is Beirut.

Au regard de ses efforts, Joseph Aoun mériterait pleinement le soutien actif de Washington afin de pouvoir aller encore plus loin.

Jusqu’à la fin de l’année 2024, le président syrien Ahmad el-Chareh figurait sur la liste américaine des terroristes, avec une prime de 10 millions de dollars sur sa tête pour avoir dirigé Hayat Tahrir al-Cham (HTS), organisation affiliée à al-Qaïda. À l’inverse, le président libanais Joseph Aoun, commandant en chef de l’armée libanaise jusqu’à son élection en janvier 2025, était largement considéré comme l’un des partenaires les plus fiables des États-Unis dans la lutte contre l’État islamique.

Dès lors, une question s’impose: pourquoi la Maison-Blanche a-t-elle déroulé le tapis rouge à Ahmad el-Chareh, reçu le mois dernier par le président Trump — une première pour un dirigeant syrien depuis près de 80 ans — tandis que Joseph Aoun attend toujours une invitation comparable ?

La réponse tient en grande partie au lobbying intense mené par des acteurs régionaux influents: le Qatar et la Turquie, aux affinités islamistes affirmées, ainsi que par l’Arabie saoudite, qui a œuvré avec succès à faire oublier son passé lié à al-Qaïda. Ces pays ont facilité ses rencontres avec Donald Trump à Riyad puis à Washington, et obtenu l’allègement des sanctions.

Joseph Aoun, en revanche, ne dispose d’aucun réseau de soutien comparable à Washington. Ironie de l’histoire: son élection comme quatorzième président du Liban depuis l’indépendance a été largement favorisée par la pression américaine, au détriment du candidat soutenu par Riyad, le chef des Forces libanaises Samir Geagea. Washington a ainsi contribué à l’accession d’Aoun à la présidence de la République, sans pour autant lui offrir l’appui diplomatique nécessaire pour peser à la Maison-Blanche.

Les soutiens d’el-Chareh à Washington ont tenté de le présenter comme un nouveau partenaire dans la lutte antiterroriste, faisant de son invitation à la Maison-Blanche un prélude à l’engagement de la Syrie contre l’État islamique. Pourtant, un mois seulement après sa rencontre du 10 novembre avec Donald Trump, deux militaires américains ont été abattus lors d’une patrouille conjointe avec ses forces. La fiabilité de son appareil sécuritaire, déjà infiltré par d’anciens combattants de Daech, a été sérieusement mise en doute.

À l’inverse, les États-Unis combattent l’État islamique aux côtés des forces kurdes syriennes depuis 2014 sans qu’aucun incident de trahison n’ait été signalé.

Face au manque de clarté de Damas sur ces questions, les forces kurdes syriennes et l’armée libanaise apparaissent comme des partenaires bien plus fiables, susceptibles de constituer un «plan B» si les promesses sécuritaires d’el-Chareh venaient à échouer.

À Washington, la disposition à dialoguer avec Israël reste un indicateur majeur d’engagement en faveur de la stabilité régionale. Dans un premier temps, el-Chareh avait fait preuve d’ouverture à cet égard, dépêchant son ministre des Affaires étrangères, Asaad al-Chibani, à des rencontres indirectes avec des responsables israéliens à Paris et dans d’autres capitales, alors même qu’il consolidait son pouvoir. Mais à mesure que son statut international s’est renforcé, il s’est replié sur des références vagues portant sur des «arrangements sécuritaires».

De retour de Washington, le ton d’el-Chareh a durci le ton, notamment à Doha où il a rejeté l’étiquette terroriste, affirmant que son groupe n’avait jamais visé des civils, allant même jusqu’à désigner les États-Unis et Israël comme les véritables agresseurs en Irak, en Afghanistan et à Gaza.

Pendant qu’el-Chareh durcissait sa posture face aux intérêts américains et israéliens, Joseph Aoun suivait une trajectoire inverse, marquée par des engagements concrets. Peu après son élection, il s’est déclaré ouvert à la paix avec Israël, dans le cadre de l’Initiative de paix arabe et de la solution à deux États. En octobre 2025, il a franchi un pas supplémentaire en appelant à des discussions civiles directes avec Israël. Le 3 décembre, il a nommé l’ancien ambassadeur Simon Karam à la tête des premières négociations civiles libano-israéliennes depuis quarante ans.

Deux sessions se sont déjà tenues, la deuxième le 19 décembre, portant sur la sécurité frontalière, la protection des civils et la croissance économique, et une troisième est prévue le 9 janvier. Le Liban devance ainsi plus de quinze pays arabes en matière de contacts civils publics avec Israël.

Joseph Aoun a également ordonné à l’armée libanaise de coopérer avec l’armée israélienne pour l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, conformément à l’accord de cessation des hostilités de novembre 2024, et d’œuvrer au démantèlement des armements du Hezbollah. Ces efforts se poursuivent malgré des moyens extrêmement limités et face à un réarmement du mouvement pro-iranien plus rapide que les efforts de l’armée libanaise, et en dépit même des frappes israéliennes. Là où Israël peut intensifier ses opérations, l’armée libanaise, elle, a besoin d’un soutien américain renforcé pour mener à bien ce désarmement.

Aoun, qui s’est affirmé comme un partenaire fiable contre l’État islamique, a engagé un dialogue direct avec Israël et a œuvré à restaurer, autant que faire se peut, l’indépendance du Liban. Il pourrait bien être le président libanais le plus favorable aux États-Unis depuis Camille Chamoun, au pouvoir entre 1952 et 1958.

Pourtant, à Washington, un lobby influencé par des courants islamistes semble privilégier el-Chareh comme nouvel interlocuteur, encourageant souvent les Libanais à s’aligner sur Damas. Certes, Joseph Aoun découvre encore les rouages de la fonction présidentielle, mais il a fait preuve d’une capacité d’adaptation rapide, et ses orientations correspondent clairement aux intérêts américains. Pour l’ensemble de ses efforts, il mérite un soutien actif de Washington afin de pouvoir aller plus loin.

Un Joseph Aoun renforcé contribuerait à extraire le Liban du cycle sans fin des conflits régionaux. L’indépendance du pays vis-à-vis de l’Iran, de la Turquie et des influences du Golfe — tout en maintenant des relations pacifiques avec tous, y compris Israël — aurait dû être assurée depuis longtemps. Il n’est toutefois pas trop tard: si Joseph Aoun s’engage résolument dans cette voie, il doit recevoir l’appui nécessaire pour la rendre possible.

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