Accidents, assassinats, maladies. Depuis plus d’un demi-siècle, la famille Kennedy semble traversée par une suite ininterrompue de drames. À travers cette série de portraits, retour sur les vies brisées et les destins contrariés d’une dynastie où la lumière du pouvoir côtoie l’ombre de la fatalité. Après Tatiana Schlossberg, John F. Kennedy, Robert F. Kennedy, David Kennedy, Jackie Kennedy, John F. Kennedy Jr., Kara Kennedy et Mary Richardson Kennedy, ce dernier chapitre s’arrête sur Saoirse Kennedy Hill, enfant de la quatrième génération, dont la disparition précoce vient refermer la saga sur une jeunesse déjà trop lourde d’héritages et de silences.
Naître Kennedy à la fin des années 1990, c’est venir au monde après les grandes figures, après les assassinats, après les mythes fondateurs. Saoirse Kennedy Hill appartient à cette génération tardive, héritière d’une histoire déjà alourdie de récits tragiques, mais sommée malgré tout d’inventer sa propre trajectoire. Petite-fille de Robert F. Kennedy, elle grandit loin des années de ferveur politique, dans un paysage où le nom n’est plus promesse d’avenir, mais mémoire lourde, parfois écrasante.
Saoirse naît en 1997, au sein d’une famille où l’engagement fait partie du quotidien. Sa mère, Courtney Kennedy, s’investit dans la défense des droits humains. L’idée de responsabilité collective, de justice sociale, circule très tôt dans son environnement. Pourtant, chez Saoirse, cette conscience du monde ne s’accompagne jamais d’une attitude assurée. Elle est décrite comme sensible, introspective, marquée par une lucidité précoce sur ses propres fragilités.
Adolescente, elle fréquente la Deerfield Academy, établissement d’élite de la côte Est. C’est là qu’elle brise, pour la première fois, le silence. Dans un texte publié dans le journal de l’école, elle évoque sa dépression, ses pensées suicidaires, ses hospitalisations. Elle ne cherche ni l’effet ni la compassion. Elle écrit pour dire, avec une précision désarmante, ce que beaucoup taisent. La souffrance psychique n’est pas chez elle un concept abstrait, mais une expérience (un peu trop) vécue.
Ce geste de parole publique est central. Contrairement à d’autres membres de la famille, Saoirse ne se protège pas derrière le non-dit. Elle choisit d’exposer ce qui, dans l’histoire des Kennedy, a souvent été relégué à l’arrière-plan: la vulnérabilité, la dépression, la lutte quotidienne pour tenir. Elle milite pour une meilleure reconnaissance de la santé mentale, convaincue que le silence alimente la honte et l’isolement.
Étudiante à Boston College, elle poursuit ses études avec sérieux, sans rechercher la visibilité. Elle s’engage dans des projets éducatifs et humanitaires, notamment au Mexique. Rien, dans son parcours, ne laisse entrevoir une fascination pour le pouvoir ou la représentation. Elle avance avec discrétion, comme si elle cherchait à s’extraire du récit familial plutôt qu’à s’y inscrire.
Mais dire n’est pas toujours suffisant. La parole, même courageuse, n’annule ni la récurrence de la souffrance ni ses retours imprévisibles. Chez Saoirse, la dépression n’est pas un épisode clos, mais un état fluctuant, une lutte prolongée. Elle alterne les phases de mieux-être et les moments de repli, sans que l’entourage, pourtant attentif, ne puisse totalement contenir ce qui se joue à l’intérieur.
Le 1er août 2019, Saoirse est retrouvée inconsciente dans la maison familiale de Hyannis Port. Elle avait vingt-deux ans. Les autorités concluent à une overdose accidentelle, impliquant plusieurs substances. L’annonce de sa mort suscite une onde de choc mesurée, presque contenue. Comme si, face à la répétition des drames, l’émotion publique s’était émoussée.
Sa disparition réactive immédiatement le vieux récit de la «malédiction Kennedy». Mais ce cadre interprétatif, s’il rassure par sa logique narrative, échoue à saisir l’essentiel. Saoirse n’est pas fauchée par un destin spectaculaire. Elle succombe à une souffrance très moderne, partagée par toute une génération, où la pression, l’exigence de réussite et l’exposition permanente fragilisent les équilibres psychiques.
Elle laisse derrière elle une image singulière dans la galerie des Kennedy. Non celle d’une figure politique, ni d’une héroïne tragique au sens classique, mais celle d’une jeune femme qui a tenté de transformer sa vulnérabilité en parole, et sa douleur en engagement. Son combat pour la santé mentale, loin d’être un simple épisode biographique, constitue le cœur de son identité publique.
En refermant cette série sur Saoirse Kennedy Hill, le regard change d’axe, sans que rien ne se conclue. Des assassinats et des figures héroïsées, on en vient à une fragilité psychique plus diffuse, moins spectaculaire, mais tout aussi éprouvante. La tragédie ne frappe plus ponctuellement, elle s’installe. Elle ne se joue plus sur la scène publique, elle travaille l’intime.
Saoirse n’est pas l’ultime figure du malheur, mais un seuil. Comme Tatiana Schlossberg, qui ouvrait cette série sous le signe de la maladie et de la survie, elle rappelle que l’histoire des Kennedy demeure ouverte. Elle se poursuit dans une vulnérabilité transmise, souvent tue, que les générations suivantes continuent de porter.




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