Les minorités ethniques au cœur de la contestation iranienne
Le drapeau iranien flotte au-dessus de la capitale recouverte d'un épais brouillard de pollution hivernale, à Téhéran, le 25 novembre 2025. ©Atta Kenare / AFP

En Iran, les mouvements qualifiés de «séparatistes» par les autorités ne relèvent pas uniquement d'une logique de fragmentation territoriale. Ils s'inscrivent dans une transformation plus profonde de la contestation politique, marquée par la montée en puissance des revendications ethniques dans les régions périphériques du pays.

Selon le think tank Atlantic Council, cette «périphérie ethnique» est devenue, depuis la fin des années 2010, l'épicentre des mobilisations antirégime, redéfinissant la géographie de la protestation en Iran, au détriment d'un modèle de contestation historiquement centré sur Téhéran et les grandes villes persanophones.

Du centre perse aux marges non persanes

Longtemps concentrées à Téhéran et dans les grandes villes persanophones, les protestations iraniennes se sont progressivement déplacées vers les régions frontalières, habitées majoritairement par des minorités non persanes : les Kurdes à l'ouest, les Baloutches au sud-est, les Arabes dans le Khouzistan à l'ouest, et dans une moindre mesure les Azéris au nord-ouest.

Cette évolution est perceptible dès les manifestations de 2017 contre la cherté de la vie, puis lors des protestations liées au prix du carburant en 2019, à la crise de l'eau en 2021, et surtout après la mort de Mahsa Amini en 2022.

Ces régions cumulent marginalisation économique, répression sécuritaire et exclusion culturelle, dans un État dont l'identité officielle repose sur la langue persane et le chiisme duodécimain. Bien que la Constitution iranienne autorise théoriquement l'enseignement des langues minoritaires, cette disposition est largement ignorée dans la pratique, renforçant le sentiment d'injustice au sein de ces communautés.

Au-delà de l'exclusion symbolique et linguistique, un mécanisme institutionnel verrouille l'accès des minorités aux leviers du pouvoir : le gozinesh. Ce système de «sélection» idéologique, imposé depuis 1985, filtre les candidats à l'emploi public, à l'université et aux postes sensibles sur la base de leur «adhésion à l'idéologie gouvernementale» et de leur «connaissance de l'interprétation officielle de l'islam chiite», selon un rapport du département d'État américain datant de 2023.

Dans la pratique, les directeurs d'écoles privées gérées par les minorités reconnues doivent eux-mêmes «démontrer leur loyauté à l'État et leur adhésion à l'islam chiite» – une exigence qui transforme la discrimination culturelle en ségrégation économique systématique. Les membres des groupes religieux non reconnus, les sunnites et toute personne tenant des opinions contraires au régime se voient barrer l'accès à l'emploi gouvernemental, particulièrement aux postes stratégiques.

Kurdes et Baloutches, fers de lance de la contestation

Parmi les minorités iraniennes, les Kurdes apparaissent comme les plus structurés politiquement. Forts d'une longue tradition de mobilisation ethno-nationale, ils ont joué un rôle moteur dans le mouvement «Femme, vie, liberté», déclenché en 2022 après la mort de Mahsa Amini, une jeune femme elle-même issue de cette minorité.

Si l'événement s'est produit à Téhéran, ce sont les rassemblements massifs dans sa ville natale de Saqqez, au Kurdistan iranien, qui ont servi de catalyseur à la mobilisation nationale.

Les Baloutches, majoritairement sunnites et parmi les populations les plus pauvres du pays, ont également émergé comme un foyer central de contestation. Les manifestations déclenchées en 2022 à la suite d'un viol présumé impliquant un officier des Gardiens de la révolution ont été réprimées dans le sang, un épisode que les habitants désignent comme le «vendredi sanglant».

La répression contre ces deux minorités atteint des niveaux disproportionnés. Selon l'organisation Iran Human Rights, basée à Oslo, entre 2010 et 2024, 97 % des personnes exécutées pour des motifs politiques étaient des Kurdes, des Baloutches ou des Arabes. Les seconds représentent seulement 5 % de la population iranienne, mais comptent pour 29 % des exécutions liées aux drogues, selon le Département d'État américain – un prétexte souvent utilisé pour éliminer des activistes politiques. En 2023, au moins 746 personnes ont été exécutées en Iran, dont 56 % pour des infractions liées aux drogues.

Séparatisme ou revendication d'autonomie ?

Si les autorités iraniennes accusent régulièrement ces mouvements de séparatisme, l'Atlantic Council souligne que cette qualification est souvent trompeuse. Dans la majorité des cas, les revendications portent moins sur l'indépendance que sur une reconnaissance culturelle, une décentralisation du pouvoir et une répartition plus équitable des ressources.

Les appels au fédéralisme, voire au confédéralisme, sont récurrents dans les discours des militants kurdes et baloutches, notamment au sein de la diaspora.

Qualifier systématiquement ces revendications de «séparatistes» permet néanmoins à l'État de les criminaliser et de justifier une répression sévère. Cette stratégie contribue à invisibiliser les causes structurelles de la contestation et à renforcer la fracture entre le centre et les périphéries.

Une unité nationale sous tension

Contrairement aux Kurdes et aux Baloutches, les Azéris turcophones, pourtant la plus grande minorité ethnique d'Iran, ont longtemps été perçus comme moins mobilisés ethniquement. Leur intégration historique dans l'appareil d'État chiite – illustrée par l'origine azérie du Guide suprême Ali Khamenei et du président Masoud Pezeshkian – semble attester d'une trajectoire politique distincte.

Néanmoins, l'Atlantic Council souligne que la question ethnique est devenue incontournable pour comprendre l'avenir politique de l'Iran. Les régions autrefois perçues comme périphériques ne sont plus de simples zones de sécurité à contenir, mais des acteurs centraux de la contestation. Toute transformation politique, qu'elle passe par la rue ou par les urnes, devra composer avec ces revendications, sous peine de voir s'accentuer les dynamiques de fragmentation interne.

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