Le silence en psychanalyse ou ce que l’absence de mots révèle
En psychanalyse, le silence n’est pas absence mais espace où la parole naît. ©Shutterstock

Le silence, en psychanalyse, n’est jamais un simple vide. Il est chargé. Il parle autrement, sans mots. Il peut être inquiétant, protecteur, menaçant ou fécond. C’est un élément central de la cure analytique, autant du côté du patient que de l’analyste.

Certains silences sont assourdissants. Des silences qui pèsent, qui coupent, qui figent l’espace. D’autres, au contraire, ouvrent une brèche, suspendent le flux de la parole comme une main apaisant une blessure. En psychanalyse, le silence n’est pas l’ennemi du discours, bien au contraire, il en est la condition, parfois même le moteur secret.

Le silence, dans la cure, est partout. Il est celui du patient, perdu dans ses pensées ou pris dans un affect sans nom. Il est celui de l’analyste, qui résiste à la tentation de combler ou de rassurer, choisissant parfois de ne pas répondre. Il est aussi celui du cadre analytique, ce temps suspendu où rien d’extérieur ne vient distraire l’attention bienveillante. Pour la psychanalyse, le silence est un acte psychique respectant le désir de l’analysant.

Au cours de l’analyse, il arrive que le patient se taise. Longuement. Parfois dès qu’il s’installe sur le divan. Ce silence peut traduire un embarras, une peur du jugement. Mais il peut aussi dire l’impossibilité de symboliser. Car parler, ce n’est pas seulement émettre des mots, c’est mettre en forme, rendre pensable. Or, il existe des vécus psychiques (traumas, angoisses archaïques, hontes profondes) qui échappent au langage.

La psychanalyse n’interprète pas ces silences comme de simples absences, mais comme des présences opaques, des lieux où le sujet se protège ou cherche à se retrouver. Winnicott parlait d’un « moment de retrait » comme d’un état nécessaire chez certains patients, à condition que l’environnement (ici l’analyste) puisse le tolérer sans panique ni hâte.

Chez certains patients très fragiles, le silence est un espace vital. Le moindre mot risque de déclencher un effondrement. L’analyste doit donc faire preuve d’un respect radical pour ce silence, qui n’est pas refus de l’autre, mais une tentative de survie dans la relation.

Le silence de l’analyste, souvent mal compris, est un outil fondamental du cadre analytique. Il ne s’agit pas d’un silence froid ou distant, mais d’un silence attentif, qui laisse au sujet la place d’émerger, le temps d’associer librement. Il faut, en effet, du temps pour qu’une pensée advienne, un affect se révéler, surtout lorsqu’on touche à l’intime, à l’angoisse, à l’archaïque. Le silence devient alors un espace d’accueil, dans lequel la parole peut prendre forme à son propre rythme.

Les analystes postfreudiens, comme W. Bion, J. Lacan ou F. Dolto, ont approfondi cette dimension. Pour Bion, le silence est ce qui permet de « contenir » la pensée de l’autre sans la lui renvoyer trop vite. Il parlait de la nécessité d’être sans projet, sans mémoire ni désir pour le patient, l’analyste ne cherchant surtout pas à le devancer, mais restant ouvert à ce qui surgit, souvent inattendu.

Le silence permet aussi d’éviter l’interprétation prématurée. Un mot mal placé, une question trop directe peuvent stopper un processus naissant. Le silence, en ce sens, est un geste clinique de retenue, qui respecte le rythme d’un sujet porteur d’un désir unique, dont la parole ne se réduit pas à un symptôme ni à un diagnostic. La position éthique du psychanalyste est de ne jamais se poser en maître ou en saint-bernard, car il n’est pas porteur d’une norme, d’un idéal ou d’une mission, mais d’être celui qui offre la possibilité au sujet de retrouver son désir entravé.

La cure analytique vise à servir l’émergence progressive des processus psychiques inconscients à l’origine des angoisses ou des souffrances d’un sujet. L’inconscient parle à travers les lapsus, les oublis, les symptômes, les rêves et le silence. Celui-ci peut alors être vu comme l’espace où la parole s’étrangle, un point de butée du refoulement, ce qui ne peut encore se formuler.

Chez Lacan, le silence de l’analyste est fondamental. Il s’agit de ne pas interférer avec la parole du sujet, de laisser advenir le signifiant-maître. Le silence permet de repérer la structure du langage inconscient. Il fait place au désir de savoir, plutôt qu’au besoin de le combler à n’importe quel prix.

Certes, parfois, le silence peut être défensif, un évitement, une attaque passive contre l’analyste, comme aussi l’impossibilité d’aborder une zone d’angoisse et de douleur. Mais il peut aussi être un espace transitionnel, un moment de suspension où quelque chose se transforme. Il n’est pas rare qu’après un long silence, le patient prononce une phrase inédite, surprenante, comme si l’acte de se taire avait permis d’ôter un poids intérieur.

Dans certains processus comme le deuil ou l’après-coup traumatique, le silence est souvent nécessaire. Le sujet n’a pas encore les mots pour dire la perte. L’analysant n’a que faire de mots de soutien ou de réconfort que tout le monde peut prodiguer. En restant silencieux, l’analyste est présent, il témoigne que ce silence peut être partagé sans être envahissant. Ce partage silencieux peut parfois s’avérer plus thérapeutique qu’un discours bienveillant.

Le silence en psychanalyse est une parole à l’état naissant. Il est la trace d’un mouvement psychique, parfois douloureux, parfois fertile. Il exige de l’analyste une écoute particulière, une écoute de ce qui n’est pas dit, mais qui cherche à se dire. Il requiert du patient une patience intérieure, un consentement à ne pas savoir tout de suite, mais de donner suffisamment de temps à l’inconscient pour évoluer car, nous déclare Freud, «l’inconscient est quelque chose de vivant».

Dans un monde saturé de bruit, la psychanalyse est peut-être un des derniers lieux où le silence est valorisé comme travail du sujet. Et c’est dans ce silence que, parfois, surgit enfin une parole vraie, celle qui n’est plus un récit convenu, mais un dire animé.

Dans une lettre écrite à un jeune poète qui lui demandait conseil, Rainer Maria Rilke lui répond:  «Vous ne pourriez plus violemment troubler votre évolution qu’en dirigeant votre regard au dehors, qu’en attendant du dehors des réponses que seul votre sentiment le plus intime, à l’heure la plus silencieuse, saura peut-être vous donner.»

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