Le fait que le Liban ignore ou tarde à exécuter les mandats internationaux le place face à un double dilemme : d’un côté, il est tenu de réaffirmer son engagement envers le droit international et les droits des victimes dans les affaires transfrontalières ; de l’autre, composer avec une réalité politique interne où toute initiative contre des responsables syriens se transforme en confrontation avec un axe régional influent.
Les mandats d’arrêt internationaux émis contre des responsables syriens, parmi lesquels Jamil el-Hassan et Ali Mamlouk, comptent parmi les défis les plus sensibles et les dossiers les plus délicats dans la relation entre le Liban et la communauté internationale. Le retard manifeste, voire l’inaction, des services judiciaires et sécuritaires libanais face à ces mandats, notamment la notice américaine via Interpol et les commissions rogatoires françaises visant des officiers de haut rang du régime syrien soupçonnés de se trouver sur le territoire libanais, soulève de nombreuses interrogations sur les motivations de cette attitude, sur la portée du rôle libanais en matière de coopération internationale et sur la mesure dans laquelle la politique intérieure peut influer sur des obligations juridiques censées être claires et non sujettes à interprétation.
En principe, la justice libanaise traite les notices d’Interpol selon une procédure technique bien définie : vérification de la légalité de la demande, puis transmission du dossier aux autorités compétentes pour confirmer la présence des personnes recherchées et exécuter les démarches appropriées. Dans la pratique, la réponse effective est souvent conditionnée par des considérations politiques et sécuritaires qui dépassent le cadre juridique. Dans le cas des responsables syriens, droit et politique s’entremêlent à tel point que toute initiative de ce type devient soumise à des calculs minutieux, soulevant une question centrale : comment le Liban doit-il agir vis-à-vis d’un pays voisin avec lequel il entretient des relations sécuritaires complexes. Et comment traite-t-il des personnalités influentes du régime syrien intégrées à des équilibres régionaux sensibles ?
Cette absence de réponse aux demandes judiciaires françaises s’inscrit dans ce contexte. Paris, qui suit depuis des années des affaires liées aux disparitions forcées et aux violations commises pendant la guerre en Syrie, a transmis aux autorités libanaises les noms d’officiers syriens de haut rang soupçonnés de séjourner au Liban. Ces demandes comportaient même des numéros de téléphone libanais permettant de contacter les officiers concernés. Or, près de deux mois se sont écoulés sans réponse définitive de Beyrouth, alimentant le doute sur le sérieux du traitement de la requête et sur la capacité du Liban à se soustraire aux pressions exercées par les alliés du régime syrien déchu.
Après une longue période sans réponse aux demandes américaines et françaises, une question s’impose : existe-t-il une protection partisane qui empêche l’arrestation de ces responsables syriens ? Personne ne l’affirme ouvertement, mais la réalité libanaise, avec ses ramifications politiques et sectaires, révèle que certaines forces alliées au régime de Bachar el-Assad, influençant directement les institutions concernées, freinent l’exécution des mandats.
Cette influence ne se traduit pas toujours par un refus explicite, mais elle installe un climat d’hésitation et de crainte face à toute initiative susceptible d’être perçue comme une escalade politique. Dans un pays aux équilibres fragiles, il est souvent préférable de geler les dossiers sensibles plutôt que de les traiter conformément au droit international.
Le plus préoccupant restent les conséquences possibles de cette inertie. Le Liban, membre du système juridique international, est tenu de coopérer avec Interpol et les autorités judiciaires étrangères. Tout blocage injustifié ou ignorance systématique pourrait nuire à ses relations avec les institutions internationales et entamer sa crédibilité judiciaire. Cela pourrait également ouvrir la voie à des pressions ou des restrictions diplomatiques, voire à des mesures affectant le niveau de coopération sécuritaire ou les aides internationales destinées aux secteurs judiciaire et sécuritaire.
En définitive, le fait que le Liban ignore ou tarde à exécuter les mandats internationaux le place face à un double dilemme : d’un côté, il est tenu de réaffirmer son engagement envers le droit international et les droits des victimes dans les affaires transfrontalières ; de l’autre, composer avec une réalité politique interne où toute initiative contre des responsables syriens se transforme en confrontation avec un axe régional influent.
Cette situation révèle la fragilité des institutions libanaises et l’emprise persistante de la politique sur la justice et les appareils sécuritaires. Elle relance une interrogation essentielle: le Liban peut-il bâtir une justice indépendante capable de résister aux pressions, ou ces dossiers sensibles resteront-ils indéfiniment en suspens ?
L’affaire des mandats d’arrêt internationaux illustre les limites de l’État libanais et sa difficulté à prendre des décisions souveraines sur des dossiers avec lesquels s’entrecroisent enjeux nationaux, régionaux et internationaux. Le retard accumulé n’est pas un simple dysfonctionnement administratif, mais le symptôme d’une crise plus profonde, reflétant le manque de volonté politique pour édifier un État de droit pleinement opérationnel et crédible.



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