Au Liban-Sud, décembre n’a plus la même magie. À Nabatiyé, Hasbaya, Marjeyoun et Bint Jbeil, les guirlandes brillent faiblement, les vitrines restent vides, et les familles jonglent avec des budgets réduits. Inflation, chômage et tensions sécuritaires transforment les fêtes en un défi quotidien. Pour beaucoup, la magie des fêtes n’a pas disparu, mais elle s’est fragilisée – reléguée derrière la priorité absolue: tenir jusqu’à la fin du mois.
À l’aube des festivités, le Liban-Sud aborde décembre dans un état de fragilité persistante. Le calme relatif depuis 2024 n’a pas suffi à rétablir un tissu économique ravagé par deux années d’affrontements intermittents.
Selon des études réalisées par plusieurs municipalités de la région, l’agriculture, le commerce et le tourisme – moteurs traditionnels de l’économie – ont absorbé près de 77% des pertes économiques liées au conflit.
Même ralentie à 15%, l’inflation continue d’éroder un pouvoir d’achat déjà laminé. Pour la plupart des familles, chaque visite au supermarché est devenue un arbitrage douloureux entre l’essentiel et le symbolique. «Cette année, on ne choisit plus un menu de fête. On choisit ce qu’on peut encore payer», explique Amal, mère de trois enfants à Klayaa
Des décorations qui ne masquent plus la crise
Dans les villages de Marjeyoun, Khiam ou Rmeich, les décorations subsistent, mais l’éclat n’y est plus. Derrière les vitrines de fortune, les commerçants décrivent la même scène: beaucoup regardent, peu achètent. «Les clients regardent, comparent… puis reposent les objets. Ils ne prennent que l’essentiel», souffle Fahed, propriétaire d’un supermarché à Marjeyoun.
Selon plusieurs municipalités du sud, les revenus moyens ont chuté de 20 à 40% en deux ans. Les loyers ont grimpé jusqu’à 20% dans les zones perçues comme plus sûres. Même les étudiants sont touchés: près de 30% d’entre eux ont changé d’université, par manque de moyens ou par crainte de l’instabilité.
Un panier de Noël désormais hors de portée
La saison des fêtes, autrefois moteur de consommation, révèle désormais l’étendue de la crise.
Le coût des célébrations a explosé. Une étude locale, réalisée par des ONG sur le terrain et menée en novembre 2025, montre une hausse de 80% du panier de Noël en un an. Les prix de la volaille et de la viande, éléments essentiels des repas libanais, ont doublé, tandis que ceux des fruits et légumes ont augmenté de 60%.
«On a dû donc réduire de moitié notre budget de décorations», déplore Souad, commerçante à Aïn Ebel. «Les prix explosent, et les gens préfèrent économiser plutôt que décorer.»
Dans un magasin de jouets, Rami constate une tendance similaire: «Pour beaucoup de familles, offrir un cadeau est devenu un luxe. Les parents achètent le strict minimum.»
Commerçants à bout de souffle, marges sacrifiées
Dans les souks de Nabatiyé, habituellement animés dès la Sainte-Barbe, les vitrines se sont vidées. Les commandes sont minimes, centrées sur des produits de base.
Les commerçants du sud ne cherchent pas seulement à survivre à décembre, ils espèrent une relance durable, portée par une stabilité politique, des réformes économiques et une reprise du tourisme.
Plusieurs commerçants ont mis en place des stratégies de survie: paiements échelonnés, dépendance accrue aux produits locaux bon marché, réductions agressives. Mais ces efforts ne compensent pas la chute de la demande. «Avant la guerre, décembre représentait presque 30% de mon chiffre d’affaires annuel. Depuis l’année dernière, je fais à peine un tiers de ce que je vendais en 2019», explique un détaillant de chaussures.
Dans certaines zones urbaines du sud, l’association des commerçants de la région annonce que jusqu’à 60% de commerces ont fermé ou fonctionnent en mode restreint : horaires réduits, rideaux entrouverts, employés payés partiellement en marchandises. «On ouvre pour exister, pas parce qu’on gagne notre vie», lâche un épicier de Khiam.
Entre fournisseurs exigeant des paiements en devises et clients incapables d’absorber de nouvelles hausses, les marges disparaissent.
Décembre sous contraintes : une fête au rabais
La fête se vit désormais sous contraintes et en mode «économie de survie». Beaucoup renoncent aux cadeaux, remplacés par de petites enveloppes symboliques ou des vêtements nécessaires. La précarité sécuritaire joue aussi un rôle : les déplacements baissent, les rues se vident plus tôt, et la soirée perd son animation habituelle.
«Le soir, les rues sont vides. On n’a plus cette ambiance de décembre, ces lumières, ce bruit, cette agitation», soupire Samir, commerçant à Hasbaya.
«Les expatriés ne viennent plus comme avant», raconte une vendeuse de vêtements.
Même les pâtisseries, tradition incontournable des veillées de décembre, ont vu leur prix doubler.
La peur d’un nouvel éclatement des hostilités agit comme un couvercle sur toute tentative économique.
La résilience comme dernier refuge
Malgré l’amertume des bilans, la volonté de célébrer persiste dans les villages. Comités paroissiaux, associations locales, et ONG: beaucoup organisent des colis alimentaires ou des distributions des jouets d’occasion.
Face à l’effondrement des budgets municipaux et des petites économies familiales, les organisations locales jouent un rôle devenu vital, mais ces structures souffrent avec la baisse des dons et la hausse des demandes.
«La demande a augmenté de 40% depuis l’été, et nos stocks sont au plus bas», indique Maya, responsable d’un centre de distribution à Bint Jbeil.
Tenir, encore
Au Liban-Sud, les décorations ne suffisent plus à masquer l’inquiétude grandissante. Les familles comptent, calculent, renoncent. Les commerçants espèrent des jours meilleurs. Les villages s’accrochent à leur solidarité.
Noël 2025 se vit entre retenue, improvisation et solidarité.



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