Yémen: l’avancée du Conseil de transition rebat les cartes du conflit
Une vue du village d'al-Hajrayn dans le district de Dawan, dans le gouvernorat central d'Hadramawt au Yémen. ©AFP

L'offensive lancée fin novembre par le Conseil de transition du Sud (STC) au Yémen marque un tournant majeur dans la configuration politique d'un pays déchiré par la guerre depuis une décennie. 

En quelques jours, cette force militaire soutenue par les Émirats arabes unis a pris le contrôle de l'ensemble des huit gouvernorats qui constituaient autrefois le sud du Yémen, ouvrant la voie à une possible déclaration d'indépendance. Ceci ramènerait le pays à une division déjà existante avant 1990, date à laquelle le Yémen du Nord et le Yémen du Sud ont été unifiés.

Une offensive éclair dans le Hadhramaout

L'opération baptisée «Avenir prometteur» a culminé le 3 décembre avec la prise de Seiyoun et d'autres sites stratégiques de la vallée du Hadhramaout, après des affrontements limités avec les troupes de la Première Région militaire yéménite. Le Conseil de transition du Sud (STC) a fait état de 16 combattants tués de son côté, contre 6 relevant de l'Alliance tribale du Hadhramaout.

Le STC, aligné sur le gouvernement internationalement reconnu et le parti Al-Islah affilié aux Frères musulmans, contrôlaient ce territoire depuis des années.

Jusqu'à 10.000 soldats du STC ont déferlé sur le gouvernorat pétrolier du Hadhramaout. Il s’agit du plus grand secteur administratif du Yémen, s'étendant du golfe d'Aden jusqu'à la frontière saoudienne. Puis les forces du STC ont avancé dans le gouvernorat de Marah, limitrophe d'Oman. La production de PetroMasila – la plus grande compagnie pétrolière yéménite – s'est arrêtée le 2 décembre en raison de l'escalade, après que le chef tribal Amr Bin Habreish a déployé ses forces autour des installations pour, selon lui, «défendre les ressources nationales contre toute agression potentielle».

Un revers pour l'Arabie saoudite

Cette avancée représente un retournement pour Riyad, jusqu'alors acteur extérieur dominant au Yémen. L'Arabie saoudite a retiré ses troupes du palais présidentiel d'Aden, la capitale du Sud, ainsi que de l'aéroport. Cette évacuation suggère que les forces soutenues par Riyad au sein du gouvernement reconnu par l’ONU ont probablement été, du moins pour l’heure, repoussées. 

Une délégation saoudienne dépêchée dans le Hadhramaout le 3 décembre pour désamorcer la crise a exigé le retrait des forces entrées dans la région.

Le président yéménite Rashad al-Alimi, soutenu par les Saoudiens et chef du parti Al-Islah, s'est réfugié à Riyad où il a rencontré dimanche des diplomates français, britanniques et américains. Il a rejeté «toute mesure unilatérale qui sape le statut juridique de l'État et crée une réalité parallèle», appelant le STC à retourner dans ses casernes.

L'équilibre fragile du Sud vole en éclats

Depuis que les Houthis, avec le soutien de l'Iran, ont pris le contrôle de la capitale Sanaa en 2015, une alliance politique précaire gouvernait le sud du Yémen. Elle réunissait au sein d'un conseil de direction présidentiel le parti Al-Islah dirigé par Alimi et le STC mené par Aidarous al-Zubaidi. Mais ce dernier a toujours disposé de forces militaires supérieures, et cette supériorité vient de se traduire sur le terrain.

Le STC justifie son offensive. Selon le groupe, ces dernières années, des zones de la vallée auraient été transformées en plateforme pour des opérations de contrebande au profit des milices terroristes houthies et en foyers pour les activités d'organisations extrémistes comme Daech et Al-Qaïda. L'organisation promet de «restaurer la stabilité dans la vallée du Hadhramaout, de mettre fin à l'effondrement sécuritaire et d'arrêter l'exploitation de la région par des forces étrangères».

Quid de la communauté internationale?

Les diplomates occidentaux et l'ONU se sont toujours opposés à la partition du Yémen, privilégiant une feuille de route saoudienne censée aboutir à un gouvernement fédéral incluant les Houthis et les forces du Sud. La semaine dernière, des diplomates occidentaux ont contacté Zubaidi pour évaluer ses intentions, notamment ses relations avec la Russie et les implications pour la lutte contre les Houthis. Aucun pays occidental n'a encore commenté publiquement ces événements.

Maysaa Shujaa al-Deen, analyste senior au Centre d'études stratégiques de Sanaa, citée par The Guardian, estime qu'il s'agit «probablement du plus grand tournant pour le Yémen depuis la chute de Sanaa aux mains des Houthis en 2015». 

Une déclaration immédiate d'indépendance serait toutefois risquée. Le STC privilégierait plutôt l'organisation d'un référendum sur l'indépendance vis-à-vis du Nord, une décision qui dépendra ultimement de son sponsor, les Émirats arabes unis.

Cette nouvelle configuration ouvre également des questions sur le statut des deux gouvernorats de Taiz et Marib, hors du contrôle houthi mais situés en dehors des frontières traditionnelles du Sud, auxquels le STC pourrait offrir un statut de protectorat.

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