Il y a quelques jours, le Liban a connu un revers aussi surprenant que rare : une défaite à Zouk Mikaël contre le Qatar, un adversaire pourtant largement à sa portée sur le papier. Première défaite en qualifications à la maison depuis 2019, premier succès qatari en éliminatoires depuis 2018, première victoire contre le Liban depuis 2015 : plus qu’un simple accroc, ce faux pas interroge. Baisse de régime, relâchement, sous-estimation de l’adversaire ?
Pendant plusieurs années, venir jouer le Liban à domicile relevait de la mission quasi impossible. Depuis la claque subie contre la Corée le 23 février 2019, Zouk Mikaël était devenu une véritable forteresse : dix victoires de rang en qualifications, toutes compétitions FIBA confondues. Irak, Bahreïn à deux reprises, Indonésie, Jordanie, Arabie saoudite, Philippines, Nouvelle-Zélande, Syrie, Émirats arabes unis : la salle avait vu défiler des profils variés, des challengers ambitieux comme des outsiders, et tous repartaient battus.
Sur cette période, le Liban n’avait concédé que deux défaites en douze rencontres à la maison. Cette statistique avait nourri une certitude : à Zouk Mikaël, la sélection impose son rythme, sa dureté, son caractère. Que la série s’arrête précisément face au Qatar change donc la perception. Quand l’un des arguments majeurs de ton identité sportive, c’est « chez nous, on ne perd pas », le moindre revers à domicile pèse double dans les têtes.
Un exploit qatari qui couvait depuis un moment
Vue de loin, la victoire du Qatar ressemble à un énorme upset. Le classement FIBA place le Liban au 30e rang mondial, très loin devant le Qatar, seulement 87e. L’historique entre les deux équipes n’invite pas non plus à l’optimisme côté qatari : avant cette fenêtre, le Liban dominait largement les confrontations, et Qatar n’avait plus gagné en qualifications depuis le 2 juillet 2018, avec seulement deux succès au total depuis la campagne du Mondial 2019.
Sauf que les chiffres bruts ne racontent pas tout. En 2025, le Qatar avait déjà sérieusement bousculé le Liban à deux reprises. D’abord lors des qualifications à la FIBA Asia Cup 2025, soldées par un 84-80 arraché par les Libanais. Ensuite quelques jours avant le revers de Zouk Mikaël, en qualifications pour le Mondial 2027, avec un 75-74 qui s’était joué sur un rien. Deux fois, le Liban s’en est sorti au forceps, sans jamais vraiment éteindre l’adversaire.
Dans ce contexte, le succès qatari à Zouk Mikaël n’est plus un éclair dans un ciel bleu, mais l’aboutissement d’une courbe. À force de rester au contact, de pousser les matches au bout, de revenir dans les dernières minutes, les Qatariens ont fini par faire sauter le verrou. Une équipe considérée comme « inférieure » ne se met pas trois fois de suite en position de faire tomber la même sélection par hasard.
Baisse de régime, relâchement ou sous-estimation ?
Comment, alors, expliquer que le Liban ait fini par tomber chez lui ? La réalité tient sans doute à un mélange de facteurs. Il y a d’abord une légère baisse de marge. Ces derniers mois, les victoires à domicile sont devenues moins larges, plus accrochées, les écarts se réduisent. Les adversaires n’entrent plus sur le parquet en se sentant battus d’avance. Le niveau asiatique se resserre, et la moindre baisse de régime se paie plus cher.
Il y a aussi une forme de relâchement mental. Quand on aligne les succès à la maison, on finit par croire que le scénario se répétera toujours : le public poussera, le talent fera la différence, l’adversaire craquera. Sauf que les deux confrontations précédentes avec le Qatar disaient exactement l’inverse : cette équipe ne lâche pas, même menée, même bousculée. Ne pas en tirer toutes les conclusions, c’est laisser la porte entrouverte.
Enfin, difficile d’écarter totalement l’idée d’une sous-estimation. Un Qatar déjà qualifié en tant que pays hôte, classé loin derrière au ranking, en manque de victoires en éliminatoires et jamais vainqueur du Liban depuis 2015 en compétition majeure : sur le papier, ce n’était pas le candidat le plus crédible pour briser la série. Justement. C’est ce profil-là qu’une sélection sûre de sa force a tendance à regarder dans le rétroviseur, jusqu’au soir où le tableau d’affichage rappelle que le basketball ne se joue pas sur les fiches techniques.
Et maintenant, que vaut encore l’avantage du terrain ?
Cette défaite ne suffit évidemment pas à effacer l’impact du public libanais ni les dix victoires accumulées à Zouk Mikaël. Mais elle change le regard. Pour les adversaires, venir au Liban ne se résume plus à limiter la casse : cela redevient un terrain où l’on peut espérer signer un coup. Pour le Liban, l’avantage du terrain n’est plus un totem intangible, c’est un capital qu’il faut protéger possession après possession.
Qatar, lui, a déjà validé un jalon majeur de sa préparation vers « son » Mondial 2027 : une victoire fondatrice, contre un adversaire mieux classé, dans une salle réputée hostile, après des années de disette en qualifications. Le message envoyé au continent est clair : ne vous fiez plus au ranking, cette équipe-là est en train de changer de dimension.
Pour le Liban, la question n’est pas de savoir si cette défaite est grave, mais si elle restera un simple faux pas… ou le premier vrai signal d’alarme.




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