Selon une récente enquête britannique, 58 % des jeunes adultes déclarent déjà avoir ressenti des troubles auditifs après exposition à des environnements sonores intenses. Symptôme éphémère ou avant-goût d’une crise de santé publique ? Plongée dans un fléau invisible mais grandissant.
Dans le vacarme assourdissant du XXIᵉ siècle, la génération Z – ces jeunes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 – se distingue par son rapport inédit au bruit. Entre festivals XXL, écouteurs vissés aux oreilles et usage intensif des réseaux sociaux, jamais l’exposition sonore n’a été aussi massive et continue. Les chiffres issus du Royal National Institute for Deaf People (RNID) claquent comme un avertissement : 58 % des 18-28 ans disent avoir déjà ressenti une gêne auditive – acouphènes, perte temporaire d’audition – à l’issue d’un concert ou après avoir écouté de la musique à fort volume (RNID, 2025). Le mal n’attend plus la vieillesse, il s’infiltre dans la jeunesse même.
La culture sonore d’aujourd’hui est celle du « toujours plus fort », du « toujours plus près ». On se rêve au cœur du rythme, emporté par la vibration commune, et la technologie accompagne ce mouvement : casques Bluetooth, enceintes nomades, smartphones capables de délivrer un volume qui aurait sidéré les générations précédentes. Cette abondance a un prix : le sifflement sourd, la gêne au réveil, la sensation de coton, parfois un silence anxieux. Tant de signaux que beaucoup préfèrent ignorer, jusqu’au jour où ils ne s’effacent plus.
L’usure invisible de l’oreille
Car l’oreille, organe d’une délicatesse extrême, n’a pas évolué pour affronter ce tumulte quotidien. À chaque exposition, les cellules sensorielles de la cochlée – ces minuscules cils vibratiles responsables de la conversion des sons – subissent une agression. Elles plient, parfois se brisent, et ne repoussent jamais. L’accumulation des microtraumatismes mène, insidieusement, à une surdité précoce ou à des acouphènes persistants, phénomène autrefois réservé aux ouvriers d’usine, aujourd’hui banal dans les open-spaces et les salles de concert.
La science ne cesse d’enregistrer la progression de ce mal. Aux États-Unis, près d’un adolescent sur cinq montre déjà des signes mesurables de perte auditive due au bruit, selon les données des Centers for Disease Control and Prevention (CDC, 2022). En France, si les statistiques officielles manquent de recul, les ORL tirent la sonnette d’alarme face à l’explosion des consultations pour gênes auditives, souvent passées sous silence par des patients qui, à 20 ans, n’imaginent pas « pouvoir devenir vieux des oreilles ».
La répétition du symptôme aigu – bourdonnement, surdité temporaire – n’est donc jamais anodine. Elle s’inscrit dans une trajectoire, celle de la fragilisation irréversible. Or, la génération Z, largement consciente des risques pour la planète ou la santé mentale, semble bien moins informée, ou concernée, par la fragilité de l’ouïe. La prévention existe, mais elle reste lettre morte : à peine un jeune sur trois prévoit d’utiliser des bouchons d’oreille lors de concerts, selon l’enquête britannique (BAA, 2025). La protection auditive, jugée ringarde ou inconfortable, peine à franchir le seuil de l’acceptabilité sociale.
Sortir du déni
Le paradoxe est cruel : jamais la société n’a autant misé sur l’audition (musique, échanges, vidéos), jamais elle n’a autant mis en péril ce sens. Les conséquences d’une perte auditive ne sont pas que médicales. Elles pèsent sur la vie sociale, l’estime de soi, l’apprentissage, l’accès à l’emploi. Isolement, anxiété, difficultés scolaires : la perte d’audition, surtout lorsqu’elle survient jeune, dessine de nouveaux paysages de la vulnérabilité.
La recherche avance, traque les mécanismes de la fragilité cochléaire, explore les pistes d’une régénération – encore balbutiante – des cellules de l’oreille interne. Mais en attendant une percée, la clé reste la prévention: limitation du volume, pauses régulières, éloignement des sources sonores, usage de protections adaptées. Il appartient aussi aux acteurs de la culture et de la tech d’inventer des solutions: bouchons design, volume maximum sur les applications, campagnes ciblées sur les réseaux sociaux. Redonner du sens au mot « écouter », à savoir non pas subir, mais choisir.
Préserver l’audition n’est pas une injonction à la privation, mais une invitation à la nuance. À la curiosité de soi. À l’intelligence de la durée. La génération Z, forte de ses combats et de sa créativité, a tout pour transformer cette contrainte en choix de société. Ce sera le vrai volume de demain.

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