Le ministre de l’Énergie, Joe Saddi, avance lentement mais sûrement dans la réorganisation du secteur, loin du tumulte médiatique. Plusieurs chantiers se déploient en parallèle, avec un objectif clair : bâtir un système énergétique enfin soutenable.
Sa feuille de route, conçue pour redresser un secteur en hémorragie depuis plus de trente ans, repose sur plusieurs axes : une transition progressive des centrales fonctionnant au fioul vers des centrales au gaz — moins coûteuses et moins polluantes —, l’arrêt définitif de l’endettement destiné à financer l’achat de fioul, la lutte contre le gaspillage et les branchements illégaux, l’ouverture aux investissements privés et publics pour moderniser le réseau et les unités de production, ainsi que la diversification temporaire des sources d’approvisionnement en combustible.
Dans ce tableau, une comparaison fait tache: la Syrie, pays voisin meurtri par plus de dix ans de guerre, a bénéficié à ce jour de plus de 7 milliards de dollars d’aides internationales pour remettre sur pied son secteur énergétique. Le Liban, lui, a englouti près de 21 milliards de dollars en quinze ans… sans jamais parvenir à stabiliser l’alimentation électrique du pays.
Accord avec la SFI
En effet, la semaine dernière, le Liban a franchi une nouvelle étape vers la modernisation de son secteur électrique. En étroite collaboration avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), la Société financière internationale (SFI), bras financier de la BM, a été désignée comme conseiller principal pour les transactions auprès du gouvernement libanais. L’institution travaillera de concert avec le Haut Conseil pour la Privatisation et le ministère de l’Énergie et de l’Eau pour mettre en place un projet gaz-électricité innovant sous forme de partenariat public-privé. Ce plan comprend plusieurs volets majeurs. Il prévoit la création d’une unité flottante de stockage et de regazéification, qui permettra d’importer, stocker et convertir le gaz naturel liquéfié en combustible. Parallèlement, la centrale Deir Ammar I, d’une capacité de 465 mégawatts, sera modernisée pour devenir un producteur indépendant plus propre, plus efficace et plus performant. Le projet inclut également la construction d’une nouvelle centrale à cycle combiné au gaz, Deir Ammar II, de 825 mégawatts, destinée à renforcer la capacité de production du pays.
Arrêt de l’endettement d’EDL
Depuis mars, Électricité du Liban (EDL) s’autofinance entièrement : l’entreprise couvre désormais ses achats de fioul grâce aux recettes qu’elle perçoit, sans recourir à l’emprunt. Cette rupture avec des décennies d’endettement résulte d’une décision conjointe du ministère de l’Énergie et du ministère des Finances, qui ont interdit tout nouveau crédit à l’établissement public. Dans cette logique, le Liban a gelé le quatrième accord d’approvisionnement en fioul avec l’Irak, sa dette envers Bagdad ayant déjà atteint 1,2 milliard de dollars. Une somme que l’État devra, de toute manière, rembourser.
Diversification des sources d’approvisionnement
La Banque mondiale planche actuellement sur une étude de faisabilité pour un projet de raccordement énergétique entre le Liban et Chypre, via un câble sous-marin d’environ 250 kilomètres. L’analyse se concentre sur deux points : la quantité d’électricité que le Liban pourrait importer et le coût de cette interconnexion.
Chypre dispose d’un excédent de production, au point que l’île doit parfois déconnecter certaines capacités faute de demande suffisante. Dotée de centrales performantes et de vastes parcs solaires, elle apparaît comme un partenaire naturel pour contribuer à stabiliser le réseau libanais. Dans un monde où l’interconnexion devient un impératif, et non plus une option, les pays qui restent isolés en paient le prix : électricité plus coûteuse, dépendance accrue aux énergies fossiles, risque élevé de coupures. La dynamique régionale est d’ailleurs déjà en marche : un câble de 900 kilomètres doit bientôt relier Chypre à la Grèce, tandis qu’un autre projet avancé vise à connecter la Tunisie à l’Italie.
Raccordement Liban – Syrie – Jordanie
Les ministres de l’Énergie du Liban, de la Syrie et de la Jordanie se sont réunis la semaine dernière pour étudier la relance de l’Arab Gas Pipeline (AGP), ce gazoduc de 1 200 km pensé pour acheminer le gaz naturel égyptien vers le Moyen-Orient, avec une extension envisagée jusqu’à la Turquie puis l’Europe — un projet resté en suspens en raison de la guerre en Syrie. L’AGP constitue l’un des piliers d’un futur marché énergétique régional intégré. Selon le ministre Joe Saddi, le dossier devra être repris à partir de zéro, l’accord entre Beyrouth et Amman étant devenu caduc. Il faudra également vérifier l’état du tronçon Homs–Tripoli, censé permettre d’alimenter le Liban en gaz via la Jordanie et la Syrie. Plusieurs sections du gazoduc, endommagées par le conflit syrien, nécessitent des travaux de réhabilitation avant toute remise en service.
L’intégration de l’énergie solaire
Au-delà du remplacement indispensable des vieilles centrales de Deir Ammar et de Zahrani par des unités modernes, l’intégration de l’énergie solaire devient une priorité stratégique pour compléter la production traditionnelle. Le ministre Joe Saddi affiche une ambition claire : porter la part des énergies renouvelables à 30 % de la production électrique nationale entre 2030 et 2035. Dans cette optique, onze permis ont déjà été accordés pour la création de parcs solaires, dont trois signés avec le groupe CMA CGM. Le secteur s’active : plusieurs permis ont été cédés à de nouveaux opérateurs capables d’accélérer les préparatifs, avec une mise en production potentielle dès fin octobre 2026. Chaque autorisation prévoit la construction d’un parc solaire d’une capacité de 15 mégawatts.
Least-cost planning study
Depuis sa prise de fonctions, l’Autorité de régulation du secteur de l’énergie s’attelle à l’élaboration d’une étude de planification au moindre coût (least-cost planning study). Cet outil stratégique vise à déterminer la combinaison la plus économique pour répondre à la demande énergétique future. Concrètement, il permet d’identifier les infrastructures prioritaires — centrales, réseaux, interconnexions —, de choisir les technologies les plus adaptées, qu’il s’agisse du gaz, du solaire ou de l’éolien, et de définir le mix énergétique offrant le coût global le plus bas pour le pays, tout en garantissant la fiabilité du réseau. Parallèlement, l’Autorité prépare une réorganisation complète de la distribution, un chantier jugé urgent et indispensable. Le modèle actuel, unanimement considéré comme un échec par les différentes forces politiques, devra être remplacé dans un délai de trois mois par une nouvelle structure plus efficace et durable.




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