Le nouveau plan américain : la paix au prix d’une capitulation ukrainienne ?
Des militaires ukrainiens de la 3e brigade de chars des forces terrestres ukrainiennes montent à bord d’un char T-72 dans un lieu non divulgué de la région de Kharkiv, le 10 février 2025, en pleine invasion russe de l’Ukraine. ©Sergey Bobok / AFP

Un an après la réélection du président américain Donald Trump, et plus de dix mois après son retour à la Maison-Blanche, la question russo-ukrainienne demeure au cœur de l’agenda international. Celui qui promettait de mettre fin à la guerre « en moins de vingt-quatre heures » et même « avant son installation à la Maison-Blanche » n’est pas parvenu à concrétiser ses engagements, malgré une diplomatie affichée comme volontariste.

Aujourd’hui encore, après des mois de tractations intenses entre Washington, Moscou et Kiev, aucune perspective crédible de paix ne semble atteignable. C’est dans ce climat d’impasse stratégique qu’un nouveau plan de paix américain, dont les grandes lignes ont fuité jeudi dans la presse américaine, vient raviver les tensions. Un document aussitôt accueilli avec réserves par les capitales européennes et irritation par Kiev. Que contient réellement cet énième schéma diplomatique ? Et peut-il offrir les bases d’une solution durable au conflit ?

Vingt-huit points

Ce nouveau plan de paix américain, qui compterait vingt-huit points, n’en serait encore qu’« à ses balbutiements », à en croire le Financial Times. Il aurait néanmoins déjà été transmis cette semaine à Kiev, d’après la même source. The Economist avance même que cette proposition pourrait être une initiative personnelle de Steve Witkoff, l’envoyé spécial de Donald Trump en Ukraine, même si sa transmission aux autorités ukrainiennes laisse supposer qu’elle bénéficie désormais d’un écho au sein des plus hautes instances de l’exécutif américain.

Selon Axios, le texte envisagerait d’abord que Kiev cède l’intégralité de la région du Donbass, comprenant les oblasts de Donetsk et de Louhansk, y compris les derniers 14,5 % encore contrôlés par l’armée ukrainienne. En contrepartie, le Donbass serait démilitarisé par la Russie, mais demeurerait occupé et placé sous souveraineté russe. Le plan irait plus loin encore en prévoyant la reconnaissance internationale de la Crimée — annexée par Moscou en 2014 mais jamais reconnue comme russe — ainsi que du Donbass comme territoires relevant de la souveraineté de la Fédération de Russie.

Les lignes de front seraient figées dans les régions de Kherson et de Zaporijjia, où Moscou contrôle environ 80 % du territoire, contre 20 % pour l’Ukraine. Le plan prévoit en outre une réduction drastique de l’armée ukrainienne, ramenée à quelque 400 000 hommes, soit une diminution de 60 % — une véritable ligne rouge pour Kiev, que Donald Trump ne semble pas hésiter à franchir. L’Ukraine devrait également renoncer à plusieurs catégories d’armements défensifs essentiels, ainsi qu’à des missiles de longue portée.

Toujours selon le Financial Times, Kiev serait également sommée de renoncer à toute aide militaire étrangère et à la présence de troupes étrangères sur son sol. Washington offrirait, en retour, de nouvelles garanties de sécurité — dont l’ampleur demeure pour l’heure indéterminée, mais si l’expérience de la diplomatie trumpiste nous enseigne quelque chose, c’est bien que ces engagements restent souvent aussi fluctuants que difficilement prévisibles. Enfin, l’Ukraine devrait reconnaître le russe comme une de ses langues officielles et accorder un statut légal spécifique à la branche locale de l’Église orthodoxe russe.

Timing troublant

Le timing de la fuite de ce plan de paix apparaît tout aussi singulier que troublant. Elle survient à peine trois jours après la révélation d’un vaste scandale de corruption au sein de l’exécutif ukrainien — le plus sérieux défi auquel Volodymyr Zelensky est confronté depuis le début de l’invasion. Elle coïncide également avec une journée particulièrement délicate pour le chef de l’État, attendu devant une réunion houleuse du groupe parlementaire présidentiel, où de nombreux députés exigent le renvoi de ses lieutenants les plus controversés, mais aussi les plus influents.

Selon The Economist, citant une source gouvernementale ukrainienne, il s’agit de « l’heure de la vérité » pour le président ukrainien. La même source confie redouter que certaines voix à Washington ne cherchent à exploiter le scandale de corruption pour pousser Kiev à des concessions déraisonnables, ajoutant qu’« il est difficile de comprendre l’objectif d’un tel plan, si ce n’est d’embarrasser M. Zelensky au moment même où il se trouve affaibli ». En tout état de cause, un terme revient de manière récurrente pour qualifier ce projet de paix : une capitulation. The Guardian va jusqu’à affirmer que ce plan ne serait rien d’autre que « le porte-étendard des demandes maximalistes du Kremlin, désormais relayées depuis Washington ».

Non seulement ce plan de paix apparaît comme l’aveu d’une défaite cuisante, mais il comporterait également deux revers stratégiques majeurs pour Kiev. Selon l’Institute for the Study of War (ISW), le dispositif proposé « avantagerait disproportionnellement le Kremlin », alors même que l’armée russe ne dispose d’aucune capacité de conquérir rapidement les territoires concernés. Au rythme actuel de progression de Moscou, la capture de ces zones exigerait probablement plusieurs longues années.

Mais l’enjeu le plus déterminant se situe à un niveau opératif et stratégique : la zone que Kiev serait contrainte de céder comprendrait la « ceinture de forteresses », principale ligne défensive de l’oblast depuis 2014, structurée autour de quatre villes clés situées le long de l’autoroute H-20: Sloviansk, Kramatorsk, Druzhkivka et Kostyantynivka.

Sur une cinquantaine de kilomètres, ce dispositif constitue le cœur du système de défense ukrainien dans le Donbass, renforcé par d’importantes infrastructures industrielles à usage militaire établies par le commandement ukrainien. La perte de cette ligne fortifiée contraindrait l’Ukraine à ériger en urgence de nouvelles défenses plus à l’ouest, sur un terrain ouvert, dépourvu d’obstacles naturels et nettement moins propice à la défense. Les oblasts de Kharkiv — notamment la ville stratégique d’Izium — et de Dnipro se retrouveraient ainsi directement exposés à une avancée de Moscou.

Interdiction de survol

Par ailleurs, plusieurs sources concordantes indiquent que la Russie souhaiterait ajouter au plan une interdiction de survol par des avions diplomatiques de l’espace aérien ukrainien — exigence qui laisse planer le doute sur d’éventuelles incursions aériennes. Une évolution d’autant plus préoccupante que la supériorité aérienne, que Moscou n’a jamais pu revendiquer depuis 2022, demeure un facteur décisif dans tout conflit moderne de haute intensité. « Ces positions constitueraient un point de départ bien plus avantageux pour une future offensive russe que les lignes actuelles », souligne l’ISW. Rien, en effet, ne garantit que Vladimir Poutine ne relancerait pas les hostilités après une période plus ou moins longue de cessez-le-feu, durant laquelle l’armée russe aurait tout loisir de se reconstituer et de se réorganiser.

Rien n’indique non plus que l’Ukraine serait disposée à accepter un tel accord, du moins dans sa forme actuelle. Si certains responsables américains semblent croire que Kiev, fragilisé par une crise politique interne, pourrait être tenté de conclure une paix quoi qu’il en coûte, la réalité apparaît bien différente. Une chose demeure toutefois certaine : Volodymyr Zelensky se montre plus enclin au compromis que Vladimir Poutine, demeuré inflexible sur des exigences maximalistes et largement irréalistes.

Les Européens, de concert avec le président ukrainien, continuent de plaider pour que la ligne de front actuelle serve de base aux futures négociations. Dans cet esprit, la France s’est imposée en chef de file des capitales opposées au projet américain, signant il y a quelques jours un accord historique de vente de plus de cent avions Rafale à l’Ukraine, tandis que le Quai d’Orsay qualifiait ce jeudi le plan américain de simple « capitulation ».

Alternative britannique

C’est dans ce contexte que doit revenir sur la table des négociations le plan Starmer, dévoilé en février dernier et considéré par beaucoup comme seule alternative existante pragmatique, réaliste et viable. Celui-ci prévoit le déploiement de près de 30 000 soldats européens, essentiellement britanniques et français, stationnés dans les villes stratégiques de Poltava, Dnipro et Kryvyi Rih, afin de protéger les infrastructures essentielles tout en laissant les lignes de front, figées dans leur état actuel, sous contrôle ukrainien.

Cette force serait appuyée par une couverture aérienne assurée par des Typhoon britanniques et des Mirage ou Rafale français, par un dispositif avancé d’intelligence, surveillance et reconnaissance, ainsi que par une présence navale anglo-française en mer Noire destinée à sécuriser les routes commerciales. Le succès de cette mission reposerait néanmoins sur un « backstop » américain, avec des moyens aériens et antimissiles stationnés en Roumanie et en Pologne, ainsi que sur des opérations de renseignement pilotées par le MI6, appuyé par la DGSE, afin de détecter toute manœuvre russe susceptible de menacer un éventuel cessez-le-feu.

Au terme de cette séquence diplomatique confuse, une certitude s’impose : la paix en Ukraine ne pourra résulter ni d’un diktat unilatéral ni d’un arrangement improvisé au gré des rapports de force du moment. La fuite du plan américain a révélé les fractures croissantes entre alliés, tout en rappelant la fragilité d’un équilibre stratégique que Poutine entend exploiter.

Mais elle a également montré qu’une alternative européenne crédible existe déjà, portée par Londres et Paris, qui entend concilier sécurité ukrainienne, dissuasion collective et impératifs de stabilité régionale. À l’heure où les scénarios de capitulation se multiplient dans certains cercles washingtoniens, le plan Starmer apparaît, pour l’instant, comme la seule feuille de route existante susceptible d’éviter à l’Ukraine une paix imposée et de préserver, à long terme, l’architecture de sécurité européenne.

 

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