Vente de F-35 à Riyad, nouveau test des alliances américaines au Moyen-Orient
Le président américain Donald Trump et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane s'entretiennent avant une cérémonie du café à la Cour royale de Riyad, le 13 mai 2025. ©Brendan Smialowski / AFP

À la veille de la visite du prince héritier Mohammed ben Salmane à Washington, Donald Trump a annoncé lundi son intention d’approuver la vente d’avions F-35 à l’Arabie saoudite. 

«Nous allons vendre des F-35», a déclaré le président depuis la Maison-Blanche, louant les liens avec Riyad et affirmant que le royaume avait été «un grand allié». L’annonce marque une rupture importante dans la manière dont les États-Unis gèrent le transfert d’armes de pointe à leurs partenaires arabes. 

Elle intervient alors que Washington cherche à encourager Riyad à normaliser ses relations avec Israël, même si le royaume réaffirme son attachement à l’initiative de paix arabe et à l’établissement d’un État palestinien viable.

Le contexte diplomatique est dense. Selon le Financial Times, la visite de Mohammed ben Salmane doit sceller une série d’accords couvrant la défense, l’énergie nucléaire civile, les technologies avancées et un renforcement des investissements saoudiens aux États-Unis. Pour Donald Trump, qui fait face à une situation intérieure difficile, l’événement est aussi l’occasion de mettre en scène un partenariat renouvelé avec l’un des États les plus influents de la région.

Pourquoi Riyad veut des F-35

Malgré une flotte aérienne déjà impressionnante, dotée de F-15SA, d’Eurofighter Typhoon et de Tornado IDS, l’Arabie saoudite souhaite franchir un cap décisif. Le F-35, considéré comme l’avion de chasse le plus avancé au monde, combine furtivité, capteurs intégrés et capacité à pénétrer des défenses aériennes sophistiquées. 

Comme le rappelle la Foundation for Defense of Democracies (FDD), il opère dans des environnements hostiles avec une efficacité bien supérieure à celle des appareils de génération précédente. C’est cette polyvalence qui explique l’intérêt de Riyad, désireux de renforcer ses capacités face à l’Iran et de s’inscrire dans une architecture sécuritaire régionale plus intégrée.

Le F-35 offrirait au royaume un avantage qualitatif décisif, même si les F-15 saoudiens, capables d’emporter davantage d’armements, conserveraient des rôles complémentaires. L’association des deux plateformes constitue un potentiel redoutable, démontré par Israël lors de la guerre de douze jours contre l’Iran.

L’inquiétude israélienne : maintenir l’avantage militaire qualitatif

L’enjeu central reste la protection de «l’avantage militaire qualitatif» (ou «quantitative military edge») d’Israël, principe inscrit dans le droit américain. Depuis les années 1960, Washington s’engage à préserver une supériorité technologique israélienne sur l’ensemble des forces régionales. Selon Al Jazeera, plusieurs responsables israéliens jugent que l’introduction du F-35 dans un pays voisin remettrait en cause un équilibre patiemment construit.

Les avis divergent toutefois au sein de l’appareil israélien. D’après un article d’Axios datant de vendredi dernier, les responsables politiques interrogés affirment que l’État hébreu n’est pas opposé à une vente de F-35 à Riyad, à condition qu’elle soit strictement conditionnée à une normalisation complète des relations bilatérales. En l’absence de contreparties diplomatiques, ce serait selon eux «une erreur».

L’armée de l’air israélienne adopte au contraire une ligne dure. Un article du Times of Israel paru ce mardi rapporte que l’armée israélienne a remis au gouvernement un document officiel exprimant une opposition nette, estimant que son avantage technologique serait irrémédiablement «érodé» si d’autres États de la région accédaient à l’appareil. 

Israël rappelle qu’il est aujourd’hui le seul pays du Moyen-Orient à disposer du F-35, avec quarante-cinq appareils opérationnels et trente autres en commande.

Washington face au risque chinois et aux obligations légales

Le débat ne se limite pas à Israël. La question de la protection des technologies sensibles est cruciale. Selon une enquête du New York Times, citée par le Times of Israel, le Pentagone craint que des éléments liés au F-35 puissent parvenir à la Chine en raison des liens militaires et technologiques entre Riyad et Pékin, notamment après les exercices navals conjoints « Blue Sword-4 » menés en octobre 2025. La FDD souligne que ces coopérations nourrissent le scepticisme de nombreux responsables américains.

Le Congrès jouera un rôle décisif. Il peut bloquer la vente et devra vérifier que la loi américaine, en particulier l’article 36(h) du Arms Export Control Act, est respectée. 

Cette disposition impose d’évaluer si Israël peut « répondre aux capacités accrues » du pays acheteur et si la vente altère le «rapport stratégique et tactique» régional. La FDD estime qu’il est impossible de livrer le F-35 à Riyad sans réduire, même partiellement, l’avantage israélien, ce qui nécessiterait alors de nouvelles compensations militaires en faveur de l’État hébreu.

De paria à partenaire stratégique

Le Washington Institute rappelle l’évolution spectaculaire des relations entre Washington et Riyad : après l’assassinat de Jamal Khashoggi, le prince héritier était devenu persona non grata dans une partie de la classe politique américaine. 

Aujourd’hui, la coopération prend une ampleur sans précédent. Le royaume devrait obtenir un engagement de défense renforcé, des partenariats technologiques avancés et un soutien accru à son programme de diversification économique.

Reste l’obstacle politique majeur : l’établissement de relations diplomatiques entre Israël et l’Arabie saoudite. Axios souligne que Riyad exige des progrès tangibles vers un État palestinien, condition que refuse Benjamin Netanyahou. Les positions semblent éloignées, mais Washington espère que la rencontre Trump-MBS relancera les échanges tripartites.

La vente des F-35 ne dépend donc pas seulement d’intérêts militaires. Elle cristallise un ensemble de dossiers (sécurité régionale, rivalité sino-américaine, avenir du partenariat stratégique entre Washington et Riyad, et statut d’Israël) qui détermineront la géopolitique moyen-orientale des années à venir.

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