Le Mali s’enfonce dans le chaos après le retrait français
Des piétons traversent une rue à Boundiali, dans le nord de la Côte d'Ivoire, le 1er novembre 2025, où les chauffeurs routiers ivoiriens refusent de se rendre au Mali en raison des attaques jihadistes. ©Issouf Sanogo / AFP

Les États-Unis ont lancé, fin octobre, un avertissement sans équivoque à leurs ressortissants présents au Mali. Dans un communiqué publié le 28 octobre, l’ambassade américaine à Bamako a exhorté les citoyens américains à quitter le pays «immédiatement», alors que la capitale fait face à une grave pénurie de carburant imposée par les groupes armés liés à al-Qaïda.

Depuis septembre, les combattants de la coalition jihadiste Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Jnim) ont instauré un blocus sur les importations de carburant. Les convois de camions-citernes sont pris pour cibles sur les routes, paralysant l’économie nationale et menaçant l’approvisionnement de la capitale.

«Les perturbations persistantes de l’approvisionnement en carburant, la fermeture des établissements publics et les affrontements autour de Bamako aggravent l’imprévisibilité de la situation sécuritaire», a indiqué l’ambassade. Une descente aux enfers malheureusement prévisible depuis longtemps.

Le départ des forces françaises: un tournant majeur

L’actuelle détérioration du Mali est directement liée au vide sécuritaire laissé par le retrait des forces étrangères. Selon l’Atlantic Council, le pays «s’accroche à l’illusion d’une souveraineté militaire» après s’être coupé de ses alliés et plongé dans un isolement complet.

Lorsque le colonel Assimi Goïta a pris le pouvoir par la force en 2021, il avait promis la «refondation d’un Mali souverain et sécurisé». Quatre ans plus tard, le constat est inverse: les lignes de front se sont multipliées, l’armée s’est fragmentée, et les groupes jihadistes contrôlent à nouveau de vastes portions du territoire.

Le départ progressif de la France, amorcé en 2022 avec la fin de l’opération Barkhane, a marqué un tournant décisif. Pour l’Institut Montaigne, cette évacuation, survenue le 15 août 2022, a constitué «le changement le plus radical pour les groupes jihadistes, qui ont retrouvé une liberté d’action perdue depuis près de dix ans». 

Autrement dit, la présence française, bien qu’imparfaite, maintenait une pression constante sur les groupes armés. Son retrait a ouvert la voie à une reconquête lente mais méthodique des territoires ruraux par la Jnim et ses affiliés.

Une décennie d’intervention aux résultats ambigus

L’analyse du Royal United Services Institute (Rusi) nuance toutefois l’idée selon laquelle la présence française garantissait la stabilité. L’institut britannique rappelle que l’intervention de 2013, lancée pour sauver Bamako d’une chute imminente, avait permis de reprendre plusieurs villes du nord.

Mais les succès initiaux de l’opération Serval se sont érodés à mesure que la guerre se transformait. Les groupes jihadistes, d’abord défaits militairement, se sont réorganisés et ont adopté une stratégie d’insurrection diffuse, enracinée dans les communautés locales.

Selon le Rusi, la France a alors commis une erreur stratégique majeure en poursuivant une approche centrée sur la «neutralisation» des chefs terroristes, sans s’attaquer aux causes politiques et sociales du conflit. 

Cette logique a produit l’effet inverse: au lieu d’apaiser les tensions, l’usage prolongé de la force a nourri le ressentiment et renforcé les arguments des jihadistes. Les bavures de l’armée malienne et les abus commis par ses supplétifs ont fini par délégitimer l’ensemble du dispositif.

Le Conseil des relations étrangères parvient à un constat similaire: la fin de la coopération militaire avec la France, suivie du retrait de la mission des Nations unies, a créé un vide dans lequel les organisations jihadistes ont prospéré. 

En 2023, les attaques ont plus que doublé dans le centre et le nord du Mali. Les villes de Tombouctou et de Ménaka demeurent sous la menace directe des insurgés, tandis que la route reliant Bamako à Ségou, principal axe intérieur du pays, reste dangereuse.

La Russie, un remplaçant plus brutal encore

Privé de carburant, de partenaires et d’une armée unifiée, le Mali replonge dans une crise existentielle. Le blocus actuel, en paralysant l’administration et les transports, illustre la capacité de la Jnim à frapper au cœur de l’économie. Ce n’est plus seulement une guerre de guérilla: c’est une guerre d’asphyxie.

Les autorités de transition, épaulées par les mercenaires russes, n’ont pas réussi à inverser la tendance. L’annonce, en juin 2025, du retrait du groupe Wagner après trois ans et demi de présence n’a été qu’un trompe-l’œil. Le think tank RAND Corporation note que les combattants de Wagner ont simplement été intégrés à une nouvelle structure, le Corps africain, placé sous le contrôle direct du ministère russe de la Défense.

Ce changement, censé renforcer la discipline, a au contraire rendu Moscou directement responsable des exactions commises sur le terrain. Depuis 2024, les forces maliennes et russes sont accusées d’avoir tué des dizaines de civils et incendié des villages dans le centre et le nord du pays. Les massacres de Tinzawaten, à l’été 2024, ont provoqué des tensions entre les officiers maliens et leurs partenaires russes, jugés indisciplinés et inefficaces. 

Une leçon stratégique pour l’Occident

Dix ans après le début de l’intervention française, le Mali reste un laboratoire tragique des limites de la force armée. La présence de la France avait permis de contenir la menace sans la résoudre, et son départ a libéré des forces qu’elle maintenait à distance.

La leçon, souligne le Rusi, demeure limpide: la puissance militaire n’a de sens que si elle s’accompagne d’une stratégie politique cohérente. Le blocus du carburant en est la conséquence visible: en se retirant sans relais politique solide, la France a laissé un vide que la Russie a comblé par la terreur. 

Désormais, le Mali vit au rythme des attaques, des coupures d’énergie et des files interminables devant les stations-service. Le pays, jadis soutenu par la communauté internationale, se retrouve pris entre le feu jihadiste et la violence de ses nouveaux protecteurs.

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