Le rythme des menaces, des avertissements et des déclarations s’accélère, laissant présager un possible bouleversement d’une réalité à la fois ancienne et persistante. L’insistance du Hezbollah à conserver son arsenal et les informations faisant état d’un regain de contrebande le long de la frontière libano-syrienne occupent le devant de la scène. Pourtant, un développement tout aussi déterminant suscite bien moins d’attention : la capacité du groupe à continuer de faire transiter ses fonds malgré des années de pressions internationales et d’étouffement financier.
Après la dernière guerre, l’association al-Qard al-Hassan — la “banque” officieuse et illégale du Hezbollah — a été frappée. On a alors cru que la milice avait perdu une artère financière essentielle. Pendant deux mois, les transferts ont cessé, renforçant cette impression. Mais discrètement, sans qu’aucune autorité officielle ne pose de questions, al-Qard al-Hassan a repris ses opérations : business as usual.
La presse internationale affirme désormais que le Hezbollah a en grande partie reconstitué ses capacités financières, recevant des fonds d’Iran et poursuivant ses activités illicites. Une interrogation cruciale s’impose alors : comment ?
Comment le Hezbollah peut-il continuer de financer ses opérations après l’effondrement du régime syrien comme vecteur logistique, la fermeture de ses frontières, le contrôle accru de l’aéroport et du port, l’absence de voies alternatives et les frappes israéliennes visant toute voiture suspecte ?
La seule réponse crédible renvoie à une vérité dérangeante impliquant des canaux officiels. Les institutions de l’État libanais et ses organes de régulation, par incapacité ou par négligence, n’ont pas réussi à arrêter les opérations financières du Hezbollah. Si elles avaient agi, la formation ne pourrait pas gérer ces flux avec tant de facilité.
Il existe un précédent illustrant ce que signifie une réelle pression de l’État. Lorsque les Forces libanaises ont été dissoutes en 1994 — comparaison imparfaite, les circonstances étant différentes —, la milice était dans l’impossibilité de transférer des fonds. Des restrictions ont été imposées aux comptes personnels de Sithrida Geagea, et quiconque entrait ou quittait son domicile était soumis à des inspections strictes menées par les renseignements libanais et syriens.
Il faut donc poser la question : comment des millions peuvent-ils aujourd’hui affluer vers le Hezbollah alors que les Forces libanaises, pourtant désarmées en 1994, n’arrivaient même pas à payer le salaire d’une employée de maison ?
Encore plus inquiétant : le risque institutionnel. Si des transferts financiers vers le Hezbollah étaient avérés — ou si les autorités se contentaient de fermer les yeux —, alors l’État libanais, y compris la Banque du Liban, apparaîtrait comme complice. La communauté internationale verrait le Liban comme partenaire d’une organisation classée terroriste. Cette complicité entraverait l’application de l’accord de cessez-le-feu, y compris ses dispositions visant à limiter les sources de financement du Hezbollah.
L’État doit donc agir.
Si les informations sur la restauration des flux financiers du Hezbollah sont exactes, c’est d’abord l’État libanais qui est coupable — incapable de contrôler ce qui se passe sur son territoire et envoyant au monde des signaux inquiétants sur sa tolérance à l’égard des circuits de financement illicites. Si ces informations sont fausses, une question tout aussi urgente se pose : d’où provient alors l’argent du Hezbollah ?
Dans tous les cas, le Liban doit une réponse — à la communauté internationale, mais surtout à ses propres citoyens. Seule la transparence peut préserver ce qu’il reste de la légitimité de l’État.



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