Dans un climat régional saturé de tensions, la visite de l’émissaire américaine Morgan Ortagus à Beyrouth s’est inscrite dans une séquence diplomatique où le Liban, une nouvelle fois, se retrouve sur la ligne de fracture entre guerre et négociation.
Des rencontres à haut niveau
Morgan Ortagus a entamé sa tournée libanaise mercredi par une réunion à Aïn el-Tiné avec le président de la Chambre, Nabih Berry, en présence du chargé d’affaires américain Keith Hannigan et du conseiller du président du Parlement, Ali Hamdan. La rencontre a porté sur les attaques israéliennes quotidiennes au Sud, les travaux du mécanisme de surveillance du cessez-le-feu et la nécessité d’en renforcer le rôle.
La responsable américaine s’est ensuite rendue au palais de Baabda, où elle a été reçue par le président Joseph Aoun, accompagné de membres de la mission américaine. Les discussions ont porté sur la réactivation du comité de surveillance de la cessation des hostilités, la réduction des attaques israéliennes et la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701, afin de permettre à l’armée libanaise d’étendre son déploiement jusqu’à la frontière internationale. Le chef de l’État a insisté sur la nécessité de faciliter le retour des habitants du Sud et de réparer les habitations endommagées, à l’approche de l’hiver.
Morgan Ortagus a ensuite rencontré le Premier ministre Nawaf Salam au Grand Sérail. Aucune déclaration publique n’a été faite à l’issue de ces entretiens, mais l’agence locale al-Markazia indique qu’elle a proposé d’élargir le mécanisme de Naqoura, éventuellement en y incluant des civils, et qu’elle a transmis aux responsables libanais deux options de négociation avec Israël: un dialogue direct, ou un dialogue indirect élargi via la commission existante. Par ailleurs, elle a également rencontré la ministre des Affaires sociales, Hanine Sayed.
Un mécanisme de souveraineté
Contacté par Ici Beyrouth, l’ancien député Farès Souhaid explique que Morgan Ortagus supervise officiellement le mécanisme de Naqoura, cadre de dialogue entre officiers libanais, israéliens, américains et français chargé de régler les différends non résolus entre les deux pays.
Officieusement, ajoute-t-il, elle agit comme relais politique entre Beyrouth et Washington, transmettant «des messages clairs et précis» au gouvernement libanais sur la question de la souveraineté et du contrôle des armes.
Pour M. Souhaid, cette visite, marquée par la présence simultanée de représentants américains, égyptiens et saoudiens, illustre un regain d’intérêt arabo-international pour le Liban, visant à prévenir une nouvelle conflagration. «Cette visite a pour but de conseiller le Liban afin d’éviter qu’il ne s’enlise à nouveau dans une guerre dévastatrice dont nul ne saurait prévoir l’issue», a-t-il indiqué.
Un signal d’alarme au gouvernement
Le général à la retraite Khalil Helou souligne, pour sa part, que la visite de Morgan Ortagus a une portée directe sur la coopération entre l’armée libanaise et les États-Unis. Il rappelle que les aides américaines constituent « la bouée de sauvetage de l’armée libanaise », en place depuis 2008 et oscillant entre 75 et 400 millions de dollars par an. Selon lui, le budget 2025, gelé sous l’administration Trump, a été débloqué grâce à l’intervention de Morgan Ortagus, qui a exprimé sa satisfaction quant au travail de l’armée.
Khalil Helou estime que cette mission est politico-militaire, impliquant nécessairement le gouvernement et la présidence. Les reproches américains viseraient davantage les autorités politiques que l’armée elle-même, en raison de la lenteur dans l’application de la résolution 1701.
Concernant le moment de la visite, il la rattache à une séquence plus large : l’intensification des frappes israéliennes, le sommet de Charm el-Cheikh et la visite au Liban du sénateur américain Lindsey Graham, qui a affirmé en Israël que si le gouvernement libanais ne désarmait pas le Hezbollah, «un plan B» serait activé. «Nous ne sommes pas dans une phase de stabilité menacée, explique Khalil Helou, mais au cœur même d’un état d’instabilité qui risque de s’intensifier.»
Interrogé sur la visite de Morgan Ortagus à Naqoura, il précise qu’elle s’inscrit dans le suivi normal des opérations de la Finul, qui rend compte chaque mois au secrétaire général de l’ONU. Il rappelle enfin que l’armée libanaise demeure chargée de missions multiples: surveillance de la frontière syro-libanaise, sécurité des douze camps palestiniens, lutte antiterroriste et maintien de la stabilité interne – des tâches rendues difficiles par la fragmentation du pouvoir politique.
Washington veut contenir la situation
Pour Hussain Abdul Hussain, analyste à la Foundation for Defense of Democracies, la visite de Morgan Ortagus indique que «les choses ne se passent pas comme prévu». Il explique que la fréquence des déplacements américains à Beyrouth traduit une diplomatie cherchant désormais à contenir la situation plutôt qu’à célébrer des avancées.
Il écarte tout lien direct avec Téhéran, «hormis le fait que l’Iran continue d’armer le Hezbollah». Selon lui, le gouvernement libanais avait promis de travailler au désarmement de la milice, mais «on assiste au contraire à une intensification de son réarmement». Cette évolution, souligne-t-il, inquiète Israël et pousse l’armée israélienne à renforcer à son tour ses capacités, alimentant ainsi une dynamique d’escalade.
Hussain Abdul Hussain précise enfin que la visite de Morgan Ortagus n’est pas liée à la question de Gaza: «Le Liban a conclu son propre accord presque un an avant Gaza et avait la possibilité d’avancer, mais l’État libanais a refusé de remplir ses engagements et a tenté de pousser l’État hébreu à le faire.»
Reste à savoir si cette visite discrète, mais dense en messages, trouvera un écho durable dans l’action du gouvernement libanais.




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