Et si l’anxiété et la tendance à trop réfléchir étaient aussi le signe d’une intelligence supérieure? Certaines études montrent un lien entre anxiété, intelligence verbale et capacité à résoudre des problèmes, mais la réalité scientifique est bien plus nuancée.
Longtemps perçue comme un simple fardeau, l’anxiété intrigue aujourd’hui les chercheurs pour une raison inattendue, sa possible association avec une forme d’intelligence plus développée. Sur les réseaux sociaux et dans certains médias, on lit parfois que «les personnes anxieuses ont un QI plus élevé». Mais que disent vraiment les études scientifiques sur ce sujet? Faut-il voir dans le stress ou la rumination un indice d’intelligence supérieure, ou s’agit-il d’un effet de mode sans fondement solide? Plongée dans une question complexe, entre psychologie, neurosciences et évolution humaine.
L’idée que l’anxiété pourrait être liée à une forme d’intelligence n’est pas nouvelle. Plusieurs travaux scientifiques, souvent relayés dans la presse, ont mis en évidence que des patients souffrant de trouble anxieux généralisé (TAG) obtenaient, en moyenne, des scores plus élevés à certains tests de QI –en particulier dans la sphère de l’intelligence verbale– que les personnes non anxieuses [1].
Une étude publiée en 2012 dans la revue Frontiers in Evolutionary Neuroscience suggérait même que la rumination, cette tendance à «trop penser», pourrait être un héritage évolutif: anticiper les menaces et imaginer des scénarios complexes aurait permis à nos ancêtres d’éviter le danger et d’accroître leurs chances de survie. Cette capacité d’anticipation, utile jadis pour repérer un prédateur ou une catastrophe à venir, trouverait aujourd’hui une expression différente: l’anxiété chronique.
D’autres chercheurs ont observé une corrélation positive, dans des populations spécifiques (étudiants, patients suivis en psychiatrie), entre le niveau d’inquiétude et les scores à des tests cognitifs, notamment verbaux [2].
Un lien qui reste modeste et nuancé
Mais ces résultats sont-ils généralisables? La réponse est loin d’être aussi claire. D’abord, les corrélations observées sont souvent modestes, c’est-à-dire que même s’il existe un lien entre anxiété et intelligence, celui-ci n’explique qu’une petite part des différences individuelles. La majorité des personnes très anxieuses n’ont pas pour autant un QI supérieur, et l’inverse est tout aussi vrai.
Ensuite, toutes les recherches ne vont pas dans le même sens. Plusieurs études de grande ampleur ont trouvé qu’un haut niveau d’intelligence n’est pas un facteur de risque pour les troubles anxieux, voire qu’il pourrait jouer un rôle protecteur contre le développement de l’anxiété à long terme [3].
Par ailleurs, la relation pourrait dépendre du type d’intelligence mesurée: le lien semble plus fort avec l’intelligence verbale (facilité à manier les mots, à raisonner avec le langage) qu’avec d’autres formes d’intelligence, comme la logique ou l’intelligence spatiale. Une hypothèse avancée est que la rumination anxieuse consiste souvent à «se parler à soi-même» en boucle, ce qui sollicite particulièrement les capacités verbales [4].
Attention aux biais d’interprétation
Il faut aussi tenir compte de nombreux biais. D’abord, la majorité des études sont dites «observationnelles», elles montrent qu’il existe une corrélation à un instant donné, mais ne permettent pas de dire si l’anxiété cause l’intelligence, si l’intelligence favorise l’anxiété, ou si un troisième facteur (comme la sensibilité ou l’éducation) influence les deux.
Ensuite, d’autres éléments, comme le niveau socio-économique, l’environnement familial ou l’accès à l’éducation, peuvent influencer à la fois le niveau d’anxiété et la performance aux tests d’intelligence.
Enfin, il existe un biais de publication et de sélection: les études qui trouvent un résultat «surprenant» ont plus de chances d’être publiées ou relayées, tandis que celles qui ne trouvent aucun lien sont moins médiatisées.
La popularité de l’idée «trop réfléchir, c’est être intelligent» tient sans doute à sa dimension rassurante. Dans une société qui valorise la réussite cognitive, il est tentant de transformer une souffrance (l’anxiété, le doute, le stress) en atout. Il s’agit aussi d’un mécanisme de réhabilitation: si je m’inquiète, c’est peut-être parce que je perçois plus de choses, que j’anticipe mieux, que je comprends des scénarios complexes. Un récit séduisant, mais à manier avec prudence.
La réalité scientifique est plus nuancée: oui, certaines personnes anxieuses présentent des compétences cognitives élevées, notamment en intelligence verbale. Mais l’anxiété chronique reste un facteur de souffrance, et rien ne prouve qu’elle soit, en soi, le moteur d’une intelligence supérieure. L’essentiel est de ne pas réduire l’intelligence ou l’anxiété à une seule cause, ni d’idéaliser la souffrance mentale. Il est toujours préférable, en cas d’anxiété persistante, de consulter un professionnel et de ne pas la considérer comme une simple marque de génie.
1. Frontiers in Evolutionary Neuroscience, 2012 – Intelligence and anxiety: “The worrying mind is a more intelligent mind”
2. Personality and Individual Differences, 2014 – Intelligence and rumination
3. Intelligence and psychiatric disorders, 2023 – PMC9879926
4. Frontiers in Human Neuroscience, 2013 – Trait anxiety and brain activation during verbal tasks

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