Du ruban rose aux robots : l’IA à la rescousse du dépistage du cancer du sein ?
Entre technologie et humanité: le dépistage précoce permet aux médecins de détecter plus vite et mieux, tout en gardant la patiente au centre des décisions. ©Tima Miroshnichenko - Pexels

Alors que le Mois de sensibilisation au cancer du sein s’achève, les rubans roses, les campagnes de prévention et les témoignages de femmes rappellent une vérité essentielle : un diagnostic précoce sauve des vies. Plus le cancer est détecté tôt, plus les chances de guérison sont grandes, avec des traitements souvent moins lourds.

Le cancer du sein ne se manifeste pas de la même manière chez toutes les femmes, et encore moins d’un pays à l’autre. Accès au dépistage, âge, fréquence des mammographies… chaque pays trace sa propre voie. En matière de prévention, le modèle universel n’existe pas.

Mais l’intelligence artificielle (IA) pourrait-elle rendre le dépistage plus intelligent, plus personnalisé, et peut-être plus efficace – à condition qu’il reste encadré par le jugement humain ?

Du dépistage standard au dépistage personnalisé

Les recommandations de dépistage varient considérablement à travers le monde. Aux États-Unis, l’American College of Radiology préconise une mammographie annuelle dès l’âge de 40 ans, tandis que la U.S. Preventive Services Task Force recommande un dépistage tous les deux ans entre 40 et 74 ans.

En Europe, des pays comme la Suède et le Royaume-Uni invitent les femmes de 50 à 69 ans à effectuer une mammographie tous les deux à trois ans dans le cadre de programmes nationaux.

Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, le dépistage régulier reste limité, entraînant des diagnostics plus tardifs. Ces disparités reflètent les écarts de moyens, d’infrastructures et de sensibilisation, et soulignent la difficulté d’équilibrer dépistage précoce et risque de surdiagnostic.

L’IA pourrait servir de pont entre ces réalités. En analysant des millions de mammographies et d’historiques médicaux, elle détecte des schémas invisibles à l’œil humain et évalue le risque de chaque femme de façon plus précise.

Ce que dit la science

Une étude suédoise, connue sous le nom d’essai MASAI et publiée dans The Lancet, a comparé la lecture standard des mammographies à un dépistage assisté par IA. Résultat : l’IA a permis de détecter 29 % de cancers supplémentaires, souvent à un stade précoce, sans augmenter significativement le nombre de faux positifs. Elle a aussi réduit la charge de travail des radiologues de près de moitié.

Aux Pays-Bas, une autre étude également publiée dans The Lancet, portant sur plus de 42 000 mammographies, a révélé que la combinaison de l’IA avec un seul lecteur humain était plus sensible que la lecture double classique. (Les mammographies et autres types de dépistage sont généralement interprétés par deux radiologues, NDLR.)

L’IA peut ainsi signaler les zones suspectes, accélérer les diagnostics et améliorer la qualité des images, limitant les examens répétés.

Pour les systèmes de santé en tension ou confrontés à une pénurie de radiologues, ce gain d’efficacité est crucial. Mais les chercheurs insistent : l’IA ne remplace pas les médecins ; elle les assiste.

Le cas du Liban: sensibilisation, accès et adaptation

Au Liban, le cancer du sein demeure le plus fréquent chez les femmes, représentant plus de 38 % des cancers féminins. Depuis 2002, les campagnes nationales du ministère de la Santé incitent les femmes de plus de 40 ans à effectuer une mammographie annuelle, souvent à tarif réduit ou gratuite — une initiative qui a permis d’améliorer le diagnostic précoce et les taux de survie.

Cependant, des inégalités persistent, entre zones urbaines et rurales notamment, ainsi que dans l’application des recommandations.

Dr Tamina Elias-Rizk, cheffe de la section d’imagerie mammaire à la Lebanese American University SOM-LAUMC, souligne que le dépistage individualisé, plus que le dépistage national standardisé, reste essentiel.
«Nous réalisons une évaluation du risque dès 25 ans», explique Dr Elias-Rizk. «À partir de 40 ans, nous recommandons une mammographie et une échographie chaque année. Pour les femmes aux seins denses, une IRM tous les deux à trois ans est conseillée.»

Quand le risque est familial

L’historique familial joue également un rôle dans la planification du dépistage. «Si la mère d’une patiente a eu un cancer du sein à 42 ans, nous commençons son dépistage à 32 ans», explique Dr Elias-Rizk. «Avant 35 ans, nous nous appuyons sur l’échographie et l’IRM ; après 35 ans, nous ajoutons la mammographie.»

Ces programmes individualisés illustrent l’évolution de la médecine, qui s’éloigne des règles strictes pour adopter une approche basée sur le risque, une approche que l’intelligence artificielle pourrait encore affiner. En analysant des milliers de dossiers, l’IA peut aider à classer les patientes en groupes à risque élevé ou faible, et recommander une surveillance adaptée.

Dr Elias-Rizk précise aussi que «l’évaluation du risque ne se fait pas seulement au niveau du radiologue, mais aussi dans les dispensaires, chez les médecins de famille et les gynécologues».

L’IA au service du dépistage au Liban ?

Au Liban, où la participation au dépistage varie et où la répartition des radiologues est inégale, l’intelligence artificielle pourrait jouer un rôle de soutien. «Lors des campagnes nationales, lorsqu’il n’y a pas assez de radiologues pour analyser chaque examen, l’IA peut aider à prioriser les cas les plus urgents», explique Dr Elias-Rizk.

Dr Mary Chammas, cheffe du service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Saint-Georges, reconnaît que les systèmes assistés par IA peuvent faciliter la détection précoce, mais souligne que le dépistage génétique demeure un outil précieux. «L’IA peut aider à détecter les anomalies», précise-t-elle, «mais le dépistage génétique permet de classer les femmes en groupes à risque élevé ou faible et d’adapter leur protocole de suivi».

Les promesses – et les limites – de l’IA

Les modèles d’intelligence artificielle peuvent parfois prédire le risque de cancer du sein des années à l’avance en détectant des motifs subtils sur les mammographies.

Pour autant, les experts mettent en garde contre une confiance excessive. Un algorithme n’est efficace que dans la mesure où les données sur lesquelles il a été entraîné sont pertinentes. La plupart des modèles reposent sur des populations occidentales, qui ne reflètent pas forcément la réalité des femmes libanaises, souvent touchées plus tôt par le cancer et ayant des seins plus denses.

Se pose également la question de la responsabilité. Comme le souligne Dr Elias-Rizk : «Si une lésion jugée stable s’avère plus tard cancéreuse, qui est responsable: le système d’IA ou le radiologue ?»

Tant que cette question n’aura pas de réponse claire, l’IA doit rester un outil au service du médecin, et non un décideur.

L’humain au cœur du soin

Malgré les réserves, l’optimisme reste de mise.

«L’IA progresse,» reconnaît Dr Elias-Rizk. «La mammographie numérique a déjà amélioré l’imagerie des seins denses; l’IA suivra. Mais la médecine reposera toujours sur le jugement et la compassion humaines.»

Qu’elle soit assistée par algorithme ou non, une certitude demeure: le dépistage sauve des vies.

Au Liban comme ailleurs, de nombreuses femmes repoussent leur mammographie par peur, manque d’accès ou idées reçues. La meilleure technologie du monde n’aura d’impact que si les femmes franchissent la porte du centre de dépistage.

Alors que l’IA continue d’évoluer, son plus grand atout n’est pas de remplacer les médecins, mais de leur permettre de consacrer plus de temps à ce qui compte le plus : interpréter, expliquer, accompagner.

Comme l’a résumé un message partagé pendant le mois de sensibilisation au cancer du sein: «Il n’y a de rose dans le cancer du sein que le ruban qui le représente.»

Faites-vous dépister. Vos chances de guérison sont plus élevées si le cancer est détecté tôt.

 

 

 

 

 

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